Phénomène du siècle

En 1903, Ford se lançait dans la construction d’automobiles. Un siècle plus tard, près de 800 millions de véhicules sont en circulation.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Avec la rentrée, les Parisiens ont renoué avec le rythme « auto-boulot-dodo ». Fini le farniente et le sable sur les pavés de Paris-Plage. Voici revenu le temps des joyeux embouteillages sur le boulevard périphérique, des pervenches et de leurs « papillons ». Pour gagner toujours plus de place sur les trottoirs, les voitures se rêvent en « Smart » – ces élégantes qui ne mesurent pas plus de deux mètres. Les chauffards s’invectivent, les contrôles de police se succèdent. Les écolos ont réenfourché leur vélo, un foulard sur les narines pour éviter de respirer trop de gaz carbonique !
Qu’il est loin le temps où la France, berceau de l’automobile, ne comptait qu’environ 4 500 « voitures sans chevaux ». C’était en 1900, à l’époque où le mot automobile se déclinait tout autant au masculin qu’au féminin (et cela jusqu’en 1915). L’Exposition universelle couronne la toute-puissance de la science, et la voiture est encore une curiosité, réservée à une élite très fortunée. Dans l’euphorie des découvertes, les constructeurs s’acharnent à rendre leurs bolides toujours plus rapides. Entre 1898 et 1910, le record de vitesse passe de 63 à 211 km/h ! Dans le combat acharné que se livrent déjà Peugeot, Renault et Citroën, ces records de pointe deviennent des arguments marketing pour valoriser les modèles de base, à destination du grand public. Mais il faudra attendre la période de l’entre-deux-guerres pour que l’automobile trouve véritablement sa place dans les foyers français. De 1 véhicule pour 400 habitants en 1919, le parc automobile fait un bond en dix ans pour atteindre le rapport de 1 pour 39 habitants.
La France comble ainsi peu à peu son retard : outre-Atlantique, c’est déjà l’image de la « voiture pour tous » qui prévaut. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on compte 1 auto pour 18 habitants. Car si l’invention de la voiture revient en priorité aux constructeurs français, ce sont les industriels américains qui ont, avant tout le monde, consacré sa diffusion en masse. L’un des principaux initiateurs de cette réussite est bien évidemment Henry Ford, dont la légende a retenu qu’il avait fabriqué sa première voiture tout seul. Avec sa Ford Motor Company, créée en 1903, il devient le symbole de la réussite industrielle américaine du début du siècle. Entre 1908 et 1927, la Ford T, le modèle mythique, sera fabriquée à plus de 15 millions d’exemplaires. Baptisée Tin Lizzie aux États-Unis et Ford Araignée en Europe, la petite voiture noire reste l’emblème des années 1920.
Il faudra attendre la reprise économique des années 1950, dans tous les pays industrialisés, pour que l’on puisse parler de véritable « auto-boom », en particulier en France. Dans la première décennie de l’après-guerre, les constructeurs français sortent une série de modèles qui resteront célèbres : la 4 CV chez Renault, la 203 et la 403 chez Peugeot, la 2 CV et la DS chez Citroën. Dans son livre Mythologies – consacré aux mythes de la vie quotidienne -, le sémiologue français Roland Barthes fait l’éloge de la « Déesse » et écrit en 1956 : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. » Les chiffres attestent la naissance du mythe d’un bien de consommation devenu le symbole d’une liberté accessible à tous : de 1,7 million de véhicules circulant en France en 1951, on passe à 4,9 millions en 1960 (soit 11 % de la population équipée).
Pour le consommateur, le temps est aux bonnes affaires : les prix baissent alors même que les voitures deviennent plus performantes. Du côté des constructeurs, la concurrence devient âpre, et les Français doivent désormais prendre garde aux progrès de leurs voisins : les Britanniques – Jaguar, Austin, Triumph -, qui proposent alors une gamme variée de modèles, de la petite berline à la voiture de sport de luxe ; les Italiens – Fiat, Alfa Romeo -, qui lancent des modèles entrant directement en concurrence avec ceux de Renault. Mais, surtout, le début des années 1960 est marqué par l’arrivée de Honda sur le marché mondial. La concurrence nippone ne cessera dès lors de s’accroître : la production japonaise dépasse celle de l’Allemagne en 1971, et même celle des États-Unis en 1980. L’essor de la production automobile dans toute l’Asie du Sud-Est s’est fait sur le même modèle : importation de matières premières et création de produits de haute technicité avec une forte valeur ajoutée. Mais la crise monétaire, qui a terrassé les Dragons asiatiques à la fin des années 1990, a contrarié leur réussite.
En devenant objet du quotidien, la voiture est désormais menacée d’uniformisation. Confrontés à l’obligation de réduire au maximum les coûts de production, les constructeurs sont également soumis aux règles internationales de sécurité : le pot d’échappement doit être catalytique, l’ABS (système antiblocage des freins) et l’airbag doivent réduire au maximum les risques. Et bientôt le système GPS remplacera, dans toutes les voitures, la bonne vieille carte Michelin. Un seul objectif : toujours plus de sécurité. Comme si la voiture devait aujourd’hui conjurer les maux qu’elle a créés : les accidents de la route, la vitesse non maîtrisée, mais aussi les nuages de pollution qui obscurcissent le ciel des grandes métropoles. Ainsi, même si les véhicules de ce début de XXIe siècle polluent cent fois moins que ceux vendus il y a trente ans, le niveau de pollution atmosphérique augmente d’année en année. Le XXe siècle a accouché de l’auto, le XXIe enfantera-t-il « l’auto propre » ?

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