Pendant ce temps, les islamistes…

À quelques mois de la présidentielle, le FLN et les autres nationalistes s’entredéchirent, alors que les démocrates sombrent dans l’opposition systématique.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Beaucoup de choses ont changé en Algérie depuis les législatives de décembre 1991, élections remportées par le Front islamique du salut (FIS, dissous en mars 1992) et dont les résultats ont été annulés par une intervention de l’armée. Treize ans et près de 150 000 morts plus tard, le paysage politique n’est plus le même. Le courant islamiste, alors essentiellement incarné par le FIS, est aujourd’hui éclaté en plusieurs formations. Le nationalisme n’est plus une exclusivité du Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) depuis l’apparition du Rassemblement national démocrate (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia). Qui plus est, ce même FLN est aujourd’hui en voie de scission avancée. Les ambitions de son secrétaire général, Ali Benflis, sont contestées par une partie de la base et par certains cadres qui militent pour un deuxième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Quant aux démocrates, ils n’ont jamais été aussi divisés. Désemparés, ils sombrent dans l’opposition systématique, perdent tout sens de discernement et consument leurs forces dans des combats d’arrière-garde.
La situation socio-économique a, elle aussi, évolué depuis le début des années 1990. Les détracteurs du régime ne peuvent que constater la nette amélioration des fondamentaux : une réserve de change de 25 milliards de dollars, une relance de l’investissement public, une agriculture performante qui redécouvre ses capacités d’exportation, et un secteur du BTP qui crée annuellement des dizaines de milliers d’emplois. L’école vit, tranquillement, une petite révolution avec le retour de l’enseignement du français dès les premières années du primaire et la révision conséquente du contenu des programmes. La carte universitaire s’étend à la quasi-totalité des wilayas (préfectures), tandis que la justice met à niveau ses textes ainsi que ses magistrats afin de s’adapter à la nouvelle configuration économique.
Si tant de choses ont changé, pourquoi n’arrive-t-on pas à écarter l’éventualité d’un nouveau raz-de-marée électoral islamiste ? La réponse est simple : face aux atermoiements du reste de la classe politique, le courant islamiste est le seul à faire sérieusement de la politique.
L’interdiction d’activités politiques imposée aux dirigeants du FIS ne les empêche pas d’animer le débat, et parfois même d’en donner le « la ». Libérés le 2 juillet 2003, après avoir purgé une peine de douze ans de réclusion criminelle, Abassi Madani et Ali Benhadj, respectivement président et vice-président du FIS, sont régulièrement présents dans la presse privée, notamment arabophone. Le premier est en Malaisie, officiellement pour y subir des soins. De Kuala Lumpur, il a accordé des interviews à des médias arabes, dans lesquelles il annonce une initiative politique avant la fin de l’année. Il a refusé d’en dévoiler le détail, mais il semblerait qu’il s’agisse d’un appel pour une reddition des groupes armés contre une réhabilitation du FIS. Une concorde civile à la sauce islamiste.
Resté en Algérie, Ali Benhadj n’en est pas pour autant inactif. Le bouillonnant numéro deux reçoit chez lui des personnalités politiques, se déplace à l’intérieur du pays pour rencontrer les chefs de l’Armée islamique du salut (AIS, branche armée du FIS, autodissoute après la loi sur la Concorde civile en janvier 2000) et déjoue la surveillance policière en changeant, chaque vendredi, de mosquée pour y donner des prêches. Brièvement interpellé le 9 septembre, Ali Benhadj s’est adressé à Me Farouk Ksentini, président de la Commission des droits de l’homme (une structure officielle), pour se plaindre des tracasseries policières.
En attendant des jours meilleurs, ce sont les seconds couteaux du FIS qui se déploient. Abdelkader Boukhamkham, cofondateur du parti, donne de la voix pour réaffirmer que l’Algérie ne saurait sortir de la crise en l’absence d’une solution politique globale et sans exclusive (entendre avec la participation du FIS). De leur côté, les représentants à l’étranger du parti s’activent en Europe pour convaincre de leur honorabilité, largement entamée depuis les attentats du 11 septembre 2001. Une délégation aurait été reçue par le chef de la diplomatie irlandaise, le 20 septembre, si ce dernier n’avait dû annuler le rendez-vous après la protestation officielle du gouvernement algérien qui en a profité pour demander l’extradition des émissaires, tous recherchés par la justice algérienne.
Cet activisme peut-il aboutir à un retour du FIS sur le plan légal ? Peu probable. Une réhabilitation du parti responsable, aux yeux de l’opinion, d’une décennie de violence meurtrière serait suicidaire pour tout gouvernement qui l’envisagerait. En revanche, incarnant une réalité sociologique, le FIS demeure une pièce maîtresse de l’échiquier.
Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), de son côté, a traversé sans heurts les problèmes de succession après la disparition de son président-fondateur, Mahfoud Nahnah, décédé le 19 juin. Une clause constitutionnelle avait empêché ce dernier d’être candidat à la présidentielle d’avril 1999. Son successeur, Bouguera Soltani, a toute latitude de se présenter au prochain scrutin. Il préconise la création d’un front islamiste et propose aux autres formations intégristes une candidature unique. « D’accord, répond Abdallah Djaballah, chef d’el-Islah [ou Mouvement pour la réforme nationale, MRN], deuxième force politique au Parlement, si je suis investi. » Conforté par ses récentes victoires électorales (les législatives en mai 2002, puis les communales en octobre suivant), Abdallah Djaballah ne verrait pas d’un mauvais oeil la formation d’un pôle islamiste s’il en était le porte-étendard. Ses calculs risquent toutefois d’être faussés par l’ambition d’Ahmed Taleb Ibrahimi. L’ancien chef de la diplomatie de Chadli Bendjedid ne semble pas renoncer à son ambition de réunir autour de son nom les suffrages des partisans du FIS et des déçus des autres formations islamistes. Malgré ces divisions apparentes, le courant islamiste a toutes les chances de mettre en difficulté le candidat Bouteflika.

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