La honte du passé

Dalila Kerchouche explore sa tragédie familiale. Pour tenter de comprendre le destin des harkis. Et de leurs enfants.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Depuis l’enfance, elle rêve de devenir écrivain. Mon père, ce harki est un livre que Dalila Kerchouche porte en elle depuis toujours. Elle était convaincue qu’elle allait l’écrire, mais ignorait si ce serait à 30, 40 ou 50 ans. « Tout ce je savais, c’est qu’un jour je serais prête à travailler sur les harkis, parce que c’est un sujet qui me travaille. » Si elle l’a longtemps refoulé, c’est par peur « d’ouvrir la boîte de Pandore » et de ne pas en sortir indemne.
Le déclic est venu d’un documentaire sur France 3 qui évoquait la torture en Algérie. Ainsi, cette brunette discrète a provisoirement abandonné son poste de journaliste à L’Express pour partir à la recherche du passé et de la vérité. Elle a remonté le temps jusqu’au 30 juin 1962, date à laquelle ses parents sont arrivés en France après un voyage dans les soutes du Sidi-Brahim. Elle raconte le calvaire dans les camps où ils ont été enfermés et où, cadette d’une grande fratrie, elle a vu le jour en 1973. Elle rend hommage à sa mère, « la locomotive », qui a trouvé la force de les en sortir. Enfin, elle a traversé la mer pour aller en Algérie où l’attendaient d’autres vérités.
Si les 250 pages qu’elle livre au lecteur restent très personnelles, le témoignage vaut, au bout du compte, pour tous les harkis. Les membres de l’entourage de Dalila n’ont pas forcément vu sa quête d’un bon oeil. « À quoi bon remuer le passé maintenant ? » lui a demandé sa mère, qui estimait qu’on aurait dû s’intéresser au sort des harkis trente ans plus tôt. Mais pour la jeune Dalila, philosophe de formation, il n’est jamais trop tard. Ce qu’ont vécu les harkis n’appartient pas au passé. « Leurs enfants sont chômeurs à 80 %, si l’on en croit les chiffres qui circulent. Et les derniers camps n’ont fermé qu’en 1985 ou 1987 », rappelle-t-elle.
De son ouvrage, Dalila est sortie libérée. Il lui a permis de se réconcilier avec son père, mais aussi de mettre un terme à son mutisme et à la culpabilité dans laquelle il vivait depuis quarante ans. Son père est d’ailleurs l’une des trois personnes, avec sa mère et son frère Mohamed, pour qui ce livre a été écrit. Mais aucun des trois ne sera en mesure de le lire. Mohamed n’a pas eu envie de continuer à vivre après une enfance dans les camps. Ses parents n’ont jamais été alphabétisés. Peu importe, puisque « leurs voix s’expriment à travers moi. Je suis restée fidèle à leurs paroles ».
Outre ce très autobiographique Mon père, ce harki, Dalila Kerchouche signe en même temps un autre ouvrage, Destins de harkis, aux éditions Autrement. Plus journalistique, il compile d’émouvantes photos signées Stéphan Gladieu et des témoignages de femmes et de filles de harkis. Jamais deux sans trois ? « Pas pour l’instant. Les harkis ne m’obsèdent plus », assure-t-elle avant d’ajouter qu’il n’est pas impossible que, dans quelques années, elle revienne à nouveau sur le sujet…

Mon père, ce harki, de Dalila Kerchouche, Seuil, 266 pp., 79 euros.
Destins de harkis, Aux racines d’un exil, de Stéphan Gladieu et Dalila Kerchouche, Autrement, 142 pp., 22,95 euros.

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