[Tribune] Que faire pour que l’Afrique ne brade pas son brut ?

Dans cette tribune, Charles Thiémélé, responsable Afrique du négociant AOT Energy, énonce quatre principes qui pourraient gouverner les accords de prêts gagés sur la production pétrolière.

En Afrique subsaharienne, l’addiction aux hydrocarbures fait la différence (photo d’illustration). © BRUCE STANLEY/AP/SIPA

En Afrique subsaharienne, l’addiction aux hydrocarbures fait la différence (photo d’illustration). © BRUCE STANLEY/AP/SIPA

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Publié le 9 août 2018 Lecture : 3 minutes.

L’actualité récente nous a révélé plusieurs accords de prêts entre des géants du négoce et des États producteurs de pétrole, en échange d’une quote-part significative de production existante ou à venir. De quoi s’agit-il ? Un acheteur disposant de devises étrangères en surplus propose à un État ou à une structure étatique, chargée de l’exportation des hydrocarbures, de mettre à disposition lesdites devises en échange d’un volume de production à venir. Les termes de l’échange sont en général à l’avantage du négociant qui, en échange d’un décaissement immédiat, obtient une remise sur le prix de marché.

Ces structurations ne sont certes pas une spécialité de l’Afrique, mais le FMI et la Banque mondiale les remettent en question avant toute aide supplémentaire quand ils concernent des pays en difficulté financière. Ce fut le cas du Tchad – qui a dû renégocier en février un prêt de 1,36 milliard de dollars auprès de Glencore avant que le FMI, en mars, ne valide son programme d’assistance – et actuellement du Congo, qui cherche à trouver un accord similaire pour 2 milliards de dollars avec Glencore, Trafigura et Orion Oil. Par le passé, des structures similaires ont été mises en place au Soudan, au Sénégal, en Côte d’Ivoire.

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Bonnes pratiques de l’accord de prêt

La logique de ces accords de prêts gagés sur la production pétrolière future, qui peut sembler simple, répond en réalité à des mécanismes complexes, prévoyant des contraintes liées à la logistique, aux fluctuations de prix et aux conditions de la transaction. Le diable se cachant dans ces détails, les États se retrouvent parfois avec une partie non négligeable de leurs ressources gagées à des prix qui peuvent être très éloignés du marché. Il n’existe certainement pas de solution miracle, mais nous voulons mettre ici en avant des pistes qui permettront, à terme, de trouver les bonnes pratiques pour ce type d’accord.

1. Transparence et mise en concurrence

Toute mise en gage des ressources pétrolières d’un pays pourrait être soumise à un processus d’autorisation souverain, garantissant la publicité et la concurrence. Cela permettrait d’éviter un accord de gré à gré entre une personnalité politique, un membre de son entourage, un haut fonctionnaire et une société étrangère. Le Parlement ou une commission idoine serait chargé d’en valider les conditions et de s’assurer qu’elles soient soumises à une mise en concurrence équitable.

2. L’émergence d’acteurs africains dans le négoce de produits pétroliers

Souhaitée par les dirigeants politiques et économiques du continent, la montée en puissance de traders et de négociateurs locaux efficaces aux côtés des États prend du temps, compte tenu de la technicité de ces métiers, qui sont l’apanage de sociétés basées en Suisse, au Royaume-Uni et aux États-Unis. L’émergence de ces acteurs, facilitée par des politiques de « contenu local » menées par les gouvernements, permettrait d’obtenir des termes contractuels plus justes. On peut imaginer obliger les sociétés étrangères de négoce à trouver un partenaire local dans ce type de deal. Elles seraient plus à même de privilégier l’intérêt supérieur des pays concernés.

3. Une collaboration à l’échelle régionale et continentale avec la constitution de groupes d’experts reconnus

Il existe déjà des domaines où une coopération interafricaine fonctionne, par exemple la Facilité africaine de soutien juridique, qui appuie les États dans la rédaction de leurs contrats commerciaux. Le secteur pétrolier gagnerait à développer cette logique, avec un échange d’expertise sur des points non seulement juridiques, mais aussi commerciaux ou logistiques.

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Il serait utile que les succès et échecs des uns servent aux autres à négocier des contrats similaires. Ce sera certainement le cas de producteurs récents comme le Ghana ou de futurs exportateurs d’hydrocarbures comme le Sénégal, la Mauritanie ou l’Ouganda. Les experts nationaux qui ont déjà négocié ce type de contrat devraient mettre en avant leur expérience au profit des gouvernements.

Des négociations d’égal à égal

La négociation de contrats gagés sur la production pétrolière d’un pays, pour un montant comparable à celui du budget annuel de l’État, doit répondre à des critères. Sans quoi ces accords peuvent aggraver les crises budgétaires des États, que les « médecins » du FMI ont souvent du mal à soigner. Des négociations d’égal à égal permettraient aux États d’avoir une plus grande part des gains générés par leurs ressources. Quitte à en sacrifier une part pour des raisons de gestion de trésorerie difficile, mais alors en connaissance de cause…

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