[Analyse] Auditeurs sous influence
Chambres d’enregistrement plutôt que lieux de controverse, les assemblées générales ne questionnent généralement pas les rapports d’audits qui leur sont soumis. Mais la multiplication des affaires compromettantes met à mal l’intégrité et le modèle économique du métier d’auditeur en Afrique.
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Joël Té-Léssia Assoko
Joël Té-Léssia Assoko est journaliste spécialisé en économie et finance à Jeune Afrique.
Publié le 8 août 2018 Lecture : 2 minutes.
La scène se déroule durant l’assemblée générale d’une puissante institution africaine. « Avoir été votre auditeur est l’un des grands moments de ma carrière. Je le porterai avec fierté sur mon CV », assure le coresponsable de la certification des comptes, déférent devant cet auditoire de banquiers, directeurs financiers et autres capitaines d’industrie. Des clients potentiels pour son cabinet ?
Quelques minutes plus tard, interrogé sur le sens à donner aux principales questions d’audit soulevées dans le rapport annuel, le second coauditeur explique bredi-breda qu’il s’agit de « points techniques » qui ne doivent pas alarmer les actionnaires. Fermez le ban ! À l’unanimité, le rapport financier est validé… et le contrat d’audit renouvelé.
Un familier du métier rappelle le contexte particulier des assemblées générales, davantage caisses d’enregistrement que lieux de controverse. « Les discussions avec le management et les conseils d’administration sont en général d’un tout autre ordre », assure notre interlocuteur. Soit. Mais la vacuité de pareils échanges renforce le scepticisme croissant quant à l’intégrité et au modèle économique du métier d’auditeur en Afrique.
Audits controversés
Car les affaires mettant à mal la profession se sont multipliées ces derniers mois. À la mi-juillet, la Banque d’Angleterre a dû examiner la viabilité financière de KPMG, après que sa filiale sud-africaine a été exclue par Pretoria du secteur des institutions publiques, du fait de ses audits controversés d’entreprises liées aux sulfureux frères Gupta, proches de l’ex-président Jacob Zuma.
À la même période, PwC, coliquidateur avec Deloitte du capital-investisseur Abraaj, qui gère plus d’un milliard de dollars d’actifs sur le continent, a rédigé un rapport mettant en lumière 170,8 millions de dollars dus à deux fonds sous gestion. En juin, une expertise judiciaire des mêmes comptes, par Deloitte, avait identifié seulement 95 millions de dollars absents d’un seul fonds. Auparavant, KPMG – par ailleurs auditeur d’Abraaj – n’avait relevé aucune somme manquante…
Il y a un an, les experts du cabinet de conseil et d’enquête new-yorkais Kroll Inc., engagés pour examiner la dette cachée du gouvernement mozambicain, estimée à 1,4 milliard de dollars, ont révélé une ardoise supplémentaire de 500 millions de dollars liée en partie à l’entreprise publique Ematum. Les comptes de cette dernière avaient été audités auparavant par les experts d’EY. Il y a fort à parier qu’eux aussi le portèrent « avec fierté sur leur CV ». Pendant un temps…
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