Des voitures et des hommes

Année record pour les ventes de voitures dans le monde, l’an 2000 fut suivi d’une période de vaches maigres pour les constructeurs. En 2003, le marché est reparti à la hausse, stimulé essentiellement par les nouveaux consommateurs asiatiques, qui ont pris le relais des Nord-Américains et Européens en pleine déprime. De nouveaux modèles de voitures vendus à moins de 5 000 euros seront prochainement commercialisés, ce qui devrait doper les achats dans les pays en développement. Le trafic routier ne stagne pas pour autant dans les pays riches. Dans l’Union européenne, le transport de marchandises par camions, qui a déjà doublé depuis quinze ans, devrait encore augmenter de 50 % d’ici à 2010.

Ce trafic tous azimuts engendre des nuisances de mieux en mieux connues, mais toujours insuffisamment maîtrisées. Plus d’un demi-million de personnes meurent sur les routes chaque année dans le monde, et plus d’une dizaine de millions sont blessées. Des pays qui disposent d’un vaste parc automobile, mais où les règles de sécurité sont peu respectées, comme la Corée du Sud et l’Iran, sont particulièrement touchés. Autre drame plus sournois : dans les grands centres urbains, les véhicules, malgré les progrès technologiques, génèrent plus de la moitié de la pollution atmosphérique. Le bilan sanitaire est difficile à établir, mais, rien que pour la France, près de 20 000 décès prématurés chez l’adulte seraient dus à la pollution de l’air chaque année. Enfin, qu’elles roulent à Los Angeles ou au Caire, les voitures du monde entier participent au réchauffement de la planète en émettant du gaz carbonique. Un tiers de l’émission globale de gaz à effet de serre due aux activités humaines proviendrait du transport routier. La planète s’asphyxie.

Ces nuisances sont les plus évidentes, mais l’accroissement du nombre de voitures, c’est aussi le recours à des ressources limitées, comme le pétrole. Prenons le cas exemplaire de la Chine, confrontée à un développement industriel rapide. Le vélo, symbole de l’ère maoïste, n’est plus à la mode. Il y a encore dix ans, plus de 30 millions de vélos se vendaient annuellement, pour moins de 1 million l’an dernier. En revanche, le nombre de voitures a augmenté de plus d’un tiers en 2002 par rapport à l’année précédente, et devrait augmenter encore de plus de 50 % cette année. L’année 2003 pourrait voir la Chine devenir le troisième marché mondial à la place de l’Allemagne, et, d’ici à cinq ans, le Japon pourrait à son tour perdre sa deuxième place. Consommatrice, la Chine devient aussi productrice : le nombre de voitures fabriquées annuellement en Chine a doublé en un an, passant de 1 million à 2 millions. L’objectif avoué est de savoir produire à la fin de la décennie une voiture à 1 000 euros, accessible aux ménages chinois.

Il est difficile de croire qu’une telle croissance puisse être gérée en toute sérénité. Si la Chine se rapprochait trop du standard de vie des pays riches en ce qui concerne la consommation d’essence, il lui faudrait, à elle seule, plus de pétrole que ce que permet la production mondiale actuelle. Cette concurrence sur le marché pétrolier devient de plus en plus perceptible. L’Asie, avec des géants démographiques comme la Chine et l’Inde, a besoin de pétrole pour se développer. Et les États-Unis, qui consomment aujourd’hui 43 % de l’essence mondiale, n’ont pas l’intention de renoncer à leur mode de vie. L’intérêt accru que porte l’administration américaine aux ressources pétrolières du Moyen-Orient y trouve en partie son explication. Dans un tout autre registre, la construction des infrastructures nécessaires au trafic routier envahit des surfaces qui auraient pu servir à loger ou à nourrir les populations. Les deux tiers des sols d’une ville comme Los Angeles sont occupés par la voirie, contre seulement 3,6 % à Shanghai. Le « grand bond en avant » du trafic routier chinois risque d’entraîner des transformations douloureuses dans l’aménagement des villes. Il faudra apprendre à choisir entre les voitures et les hommes…