Déby à confesse

Le pétrole, ses relations avec la France de Chirac, la Centrafrique de Patassé, la Libye de Kadhafi, le Bénin de Kérékou… De passage à Paris à la mi-septembre, le chef de l’État ne s’est dérobé à aucune question. Pas même sur sa santé. Morceaux choisis.

Publié le 29 septembre 2003 Lecture : 9 minutes.

Ses adversaires l’accusent d’être « un chef de clan ». Ils le soupçonnent également de vouloir modifier la Constitution pour, au terme de son mandat actuel (2006), s’installer indéfiniment au pouvoir, afin de profiter, disent-ils, d’une manne pétrolière estimée à 2 milliards de dollars (sur vingt-cinq ans). Mais Idriss Déby, 51 ans, dont treize à la tête du Tchad, semble faire peu de cas de ces critiques tout comme des accusations des organismes de défense des droits de l’homme contre son régime. Accueilli à bras ouverts à Paris à la mi-septembre, alors que son pays s’apprête à rejoindre le cercle restreint des émirats pétroliers africains, le président tchadien nous a reçu dans sa suite de l’hôtel Meurice, placée sous haute surveillance policière. Il revient, entre autres, sur son état de santé, le pétrole, ses relations avec Chirac, Kadhafi, Patassé, Kérékou, et fait le point sur la demande d’extradition déposée auprès des autorités sénégalaises contre son prédécesseur, Hissein Habré.
« Je suis habitué aux ragots sur ma santé »

Je pète la forme en ce moment. Il y a eu, à dessein, trop de fausses rumeurs sur mon état de santé, mais comme le dit un adage de chez nous, lorsqu’on cherche coûte que coûte à raccourcir la durée de vie de quelqu’un, Dieu lui double la mise. Habitué à ce type de ragots, j’ai laissé dire sans réagir. Je n’étais pas du tout souffrant lorsque j’ai pris l’avion, à la mi-juillet, pour le Mozambique, où se tenait le sommet de l’Union africaine. Quelques mois auparavant, j’étais même venu faire un check-up à Paris au terme duquel les médecins n’avaient rien décelé d’anormal. À Maputo, le 11 juillet, j’ai eu un malaise dû à une hausse subite de ma tension artérielle, qui est montée jusqu’à 22. J’ai donc quitté le Mozambique, fait une escale à N’Djamena pour en informer les membres du gouvernement, avant de m’envoler pour Paris où j’ai aussitôt été admis à l’Hôpital américain. J’y suis resté en tout et pour tout sept jours. À Paris, on a découvert que j’avais également des problèmes au niveau du côlon. Mais, rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un cancer, du moins si j’en crois le diagnostic de mes médecins. En vérité, je n’ai jamais eu une bonne alimentation, surtout lorsque je combattais les troupes libyennes dans le Nord, et je pense qu’il faut rechercher les origines de ma colopathie de ce côté-là. Pour ne rien vous cacher, j’ai souffert, au cours des années 1970 et 1980, de problèmes d’amibes, qui sont des parasites du tube digestif… J’ai profité de ma récente visite d’État en France pour faire faire un bilan de santé, le 22 septembre, toujours à l’Hôpital américain. Dieu merci, tout va bien !

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« Les incompréhensions avec Paris se sont dissipées »

Nos relations sont au beau fixe. Ma précédente visite officielle en France remonte à 1997. Cette fois-ci, j’y suis venu, à l’invitation du président Jacques Chirac, pour faire le bilan de la coopération entre nos deux pays et des projections pour l’avenir. J’ai été très bien reçu. Il est vrai qu’il n’y avait pas d’ombre particulière au tableau. Les incompréhensions survenues au lendemain de l’expulsion du Tchad d’un officier supérieur français et de quelques agents de la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure, services spéciaux], il y a plusieurs années, sont de lointains souvenirs. À propos des agents de la DGSE, on a d’ailleurs raconté, à l’époque, tout et n’importe quoi. Ce sont des gars qui sont venus au Tchad à ma demande et qui m’ont rendu beaucoup de services. Ils m’ont, notamment, aidé à former ma garde rapprochée. Lorsqu’ils ont terminé leur mission, j’ai demandé qu’ils soient rappelés à Paris. Je les ai moi-même décorés, nous avons pris un pot ensemble et ils sont retournés chez eux…

« Le pétrole ne nous tournera pas la tête. Tout se passera bien »

Le Tchad n’est pas une jeune fille à courtiser, mais c’est une très bonne chose que de plus en plus de pays marquent un intérêt pour mon pays et veuillent contribuer à son développement. Le pétrole ne nous tournera pas la tête, car nous avons déjà connu trop de drames depuis l’indépendance. Je suis persuadé que tout se passera bien maintenant que nous avons franchi le cap le plus difficile. Il s’agit désormais de nous doter d’outils adéquats pour maîtriser la gestion des ressources pétrolières. Le pétrole tchadien ne sera pas géré par moi ni par un service rattaché à la présidence de la République. Nous avons mis en place des garde-fous : une loi, pour veiller à une répartition équitable des ressources pétrolières, et un organe de surveillance et de contrôle à l’intérieur duquel siègent des représentants de la société civile, des autorités religieuses (musulmanes et catholiques), du Parlement et de la Cour suprême. Ce sont des hommes et des femmes qui ont été désignés, non pas par moi, mais par leurs collègues, et qui se sont engagés à veiller à une utilisation rationnelle de la manne pétrolière. La cérémonie officielle qui doit marquer l’entrée officielle du Tchad dans le club des pays producteurs se déroulera le 10 octobre prochain dans la localité de Komé, au coeur du bassin pétrolier de Doba, dans le Sud-Est…

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« Je n’ai pas renversé Patassé, mais je ne pleurerai pas sa chute »

Je n’ai pas renversé le président Patassé. Pour autant, je ne pleurerai pas sa chute, ne serait-ce que par respect pour mes compatriotes qui ont été assassinés en Centrafrique par les nervis de Jean-Pierre Bemba et par les membres de l’Unité spéciale présidentielle, l’USP, la garde prétorienne de Patassé. Cela dit, même avec son pétrole, un petit pays comme le Tchad n’a pas assez de poids pour jouer le rôle de puissance régionale. Tout autour de nous, il y a des États plus riches et plus peuplés. Pour en revenir à Patassé, je l’ai beaucoup aidé à mater les premières mutineries et à remettre de l’ordre dans son pays. À Bangui, beaucoup de nos soldats ont perdu la vie en essayant de le protéger, mais il n’a manifesté aucune reconnaissance à notre égard. Je le répète donc : je ne regrette pas une seule seconde qu’il ait été renversé. Après sa chute, j’ai envoyé des troupes à Bangui pour éviter les règlements de comptes ou d’éventuels massacres interethniques, en attendant que les autres pays d’Afrique centrale dépêchent des soldats sur place. Bien entendu, on peut regretter la destitution d’un président démocratiquement élu, ce d’autant plus que, lors du sommet de l’OUA à Alger, en juillet 1999, nous avons décidé de ne plus accepter en notre sein tout pouvoir issu d’un putsch ou d’un autre moyen illégal. Mais un président élu peut-il s’arroger le droit de brimer, d’affamer et de faire tirer sur son peuple ? Je ne le crois pas. Entre le principe posé à Alger et sa mise en oeuvre, il y avait donc, dans le cas de Patassé, un choix à faire. Et nous l’avons fait, sans hésiter…

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« J’ai dit à Kérékou que son pays servait de base arrière à des Tchadiens »

Je n’ai pas vraiment de contentieux avec le Bénin. À l’école primaire, la plupart de mes maîtres étaient des Béninois. Dans les années 1960 et 1970, il y avait une forte communauté béninoise chez nous. Il y avait des enseignants, des commerçants, des médecins. Même le directeur général de la police nationale était un Béninois, qui vit toujours d’ailleurs à N’Djamena. Lorsque nous étions en guerre, le Bénin a accueilli des Tchadiens en difficulté, il a ouvert ses écoles à nos enfants. Savez-vous, par exemple, que c’est par le port de Cotonou que sont passés les pipelines qui permettront d’évacuer le pétrole de Doba ? Les Béninois nous ont accordé des facilités qu’on n’a pas eues ailleurs. C’est vous dire qu’on a toujours vécu en parfaite entente avec eux. Je me suis moi-même rendu à deux reprises, ces dernières années, au Bénin et j’y ai dépêché une vingtaine de missions ministérielles pour dire au président Nicéphore Soglo, puis à son successeur, Mathieu Kérékou, que des Tchadiens utilisaient leur pays comme base arrière pour déstabiliser mon régime. Aujourd’hui, ce que je déplore, c’est l’activisme antitchadien des Libyens au Bénin. Ce sont eux qui, au vu et au su des autorités béninoises, organisent et arment les membres de l’opposition tchadienne installés dans ce pays. Je peux même vous révéler que l’instigateur de toute cette opération de déstabilisation n’est autre qu’Ali Triki [le « monsieur Afrique » de Kadhafi limogé en juin 2003, NDLR]. J’ai évoqué cette affaire en tête à tête avec le président Kérékou en marge du dernier sommet de l’Union africaine, à Maputo, en juillet. Et nous nous sommes compris…

« Nous pourrons réclamer à Kadhafi des dédommagements pour avoir occupé notre pays »

Le Tchad a perdu une dizaine de ressortissants dans l’attentat contre l’avion d’UTA qui – c’est confirmé, tout comme pour l’avion de la PanAm – a été perpétré par la Libye. Mais comme les Américains, les Britanniques et les Français semblent avoir opté pour une solution négociée avec Tripoli, nous acceptons volontiers, nous aussi, de clore cette affaire. Les familles des victimes tchadiennes, comme les autres, percevront des compensations financières. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas exclu que l’État tchadien réclame des dédommagements à la Libye pour l’occupation, pendant plus de deux décennies [1973-1994] de la bande d’Aouzou, dans le nord de notre pays. Je ne puis vous en dire plus pour l’instant. La question est toujours à l’étude…

« Je n’ai pas demandé au président Wade d’extrader Hissein Habré. Je sais d’avance qu’il ne le fera pas »

Nous avons introduit pendant trois années successives (en 1993, 1994 et 1995) plusieurs demandes d’extradition auprès du président Abdou Diouf, qui nous a opposé un « non » catégorique. Par la suite, les parents des victimes ont porté plainte, avec le concours de l’État tchadien, sans plus de succès. Puis, l’affaire a été portée devant les juridictions belges. Un juge est même venu enquêter à N’Djamena. Depuis, l’affaire n’a pas connu de nouveaux développements. Ce n’est pas surprenant puisque le principe de compétence universelle des tribunaux belges a été remis en question le 5 août dernier. Je n’ai pas personnellement demandé au président Abdoulaye Wade de renvoyer Hissein Habré au Tchad afin qu’il y soit jugé, parce que je sais par avance qu’il ne le fera pas. Il n’a pas manifesté beaucoup de bonne volonté à notre égard depuis le début de cette histoire. Au contraire, sous le prétexte fallacieux que la vie de Hissein Habré serait menacée, les autorités sénégalaises ont refoulé, ces dernières années, beaucoup de Tchadiens à leur descente d’avion, à l’aéroport de Dakar-Yoff. J’ignore si le président Wade est informé de ces abus, mais je sais que Hissein Habré se plaît bien au Sénégal. Je sais également que certains pensent que si ce dernier est passible des tribunaux, je devrais, moi aussi, rendre des comptes à la justice. Au nom de quoi ? J’ai été le chef militaire de Habré pendant l’occupation de la bande d’Aouzou. Et, à ce titre, j’ai combattu les troupes libyennes. Je n’étais pas dans la police ni membre de la Direction de la documentation et de la sécurité [DDS, la police secrète]. Je me suis battu parce que mon pays était envahi par un État voisin ou attaqué par le mouvement de Goukouni Weddeye, lequel était, un moment, soutenu par Tripoli. Les seules décorations que j’ai eues sous Habré, ce sont les balles qui m’ont transpercé le dos au cours d’un combat et que je n’arrive toujours pas, plusieurs années après, à me faire enlever. Je mets au défi quiconque de prouver que je l’ai personnellement torturé ou que j’ai fait liquider un membre de sa famille sous Habré. J’étais, après tout, un soldat, pas un policier.

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