Une conquête en catimini

Officiellement, 10 000 travailleurs chinois vivent en Égypte. Un chiffre largement sous-évalué, témoigne Amira Doss, de la revue « Al-Ahram Hebdo ».

Publié le 31 août 2005 Lecture : 4 minutes.

Jusque dans les années 1980, les seuls indices de la présence chinoise en Égypte se limitaient à quelques échoppes dispersées ici et là dans certains quartiers du Caire et d’autres grandes villes du pays. Les enseignes indiquaient : « Exposition d’art chinois » et les Égyptiens avaient pour habitude de s’attarder face à ces vitrines bien garnies, admiratifs des objets exposés. Le client, séduit, se penchait de plus près sur les articles ou se contentait d’échanger un petit sourire avec le vendeur. Aujourd’hui, dans chaque quartier, chaque centre commercial, club, et même dans les universités, il est habituel de croiser un Chinois qui se balade, fait ses courses ou vend sa marchandise made in China. Aucun marché populaire ne leur échappe. Et ne soyez pas surpris si l’un d’eux vient un jour frapper à votre porte. Les vendeurs ambulants n’hésitent pas à faire le tour de la capitale, se déplaçant d’une maison à l’autre, portant un énorme sac à dos rempli de marchandises. « Al-Salamo alaykom », annoncent-ils avec un sourire charmeur dès qu’on leur ouvre la porte.
Li a 20 ans. Tous les vendredis, elle se dirige vers le marché populaire de Moski, s’approvisionne en vêtements chinois qu’elle achète au kilo, remplit ses deux sacs et choisit sa destination. Cette semaine, elle n’a pas hésité à se rendre dans la ville nouvelle de Dar Al-Salam, située sur la route d’Ismaïliya, une zone habitée par une population modeste. Ses articles très bon marché séduisent sans mal les habitants de la localité. La philosophie de Li est de vendre chaque pièce à un très bon prix, mais de vendre en très grande quantité. « J’ai tout ce dont vous pouvez rêver : pull-overs en laine, pantalons en velours, pyjamas pour enfants, lingerie fine et même chaussettes ou chaussures », dit-elle en prononçant avec difficulté les quelques mots d’arabe qu’elle connaît. Elle devient beaucoup plus habile lorsqu’il s’agit de parler chiffres. Elle a appris à négocier comme le font tous les Égyptiens, et lorsqu’elle estime qu’un client marchande trop elle interrompt les négociations par un « ma yenfaach » (« impossible »). Elle ramasse alors ses articles pour frapper à une autre porte. Des jeunes comme Li, on en rencontre un peu partout en Égypte. La plupart d’entre eux sont entrés dans le pays avec un visa à durée déterminée et s’y sont installés. Sans titre de séjour ni autorisation de travail, ils exercent leur activité en toute illégalité et vivent reclus en communauté.
Selon les chiffres officiels, le nombre de Chinois présents en Égypte est estimé à 10 000. Mais ce chiffre ne tient compte que de ceux présents légalement sur le territoire. Ils travaillent dans la centaine d’entreprises chinoises ou égypto-chinoises du pays et sont spécialisés dans le domaine de l’électronique, des télécommunications ou de l’industrie. D’autres occupent des postes officiels dans les services de leur ambassade très active. Au cours des cinq dernières années, plusieurs accords ont été signés entre la Chine et l’Égypte, ouvrant de nouvelles perspectives de coopération bilatérale aussi bien dans le commerce que dans la culture. Vers la fin des années 1990, le nombre des délégations chinoises ayant participé à des festivals de cinéma, de théâtre, de chanson a doublé. L’ouverture, en 2002, d’un Centre culturel chinois a prouvé l’importance politique accordée par Pékin à l’Égypte. Un intérêt qui a ouvert la voie aux jeunes Chinois désireux de se rendre dans un pays accueillant et une destination privilégiée où ils peuvent plus facilement réaliser leurs rêves. Travailleurs robustes et disciplinés, ils sont méthodiques et dotés du sens des affaires. Entreprenants, la plupart d’entre eux n’hésitent pas à monter de petits projets.
Dans le quartier résidentiel de Maadi, les immeubles Nirco abritent un nombre important de Chinois. Arrivés en groupes, ils cherchent tous à se loger dans le même quartier. C’est ce qu’observe Adel, un courtier. « Leur nombre va en augmentant et ceci grâce à leur système d’entraide remarquable. Ils font venir d’autres compatriotes. Les nouveaux venus sont logés provisoirement chez les plus anciens et il arrive souvent qu’une vingtaine de personnes occupent le même appartement et se partagent le loyer. Et dès que les choses vont mieux, ils se séparent pour vivre plus à l’aise. »
Tchouang est arrivé en Égypte il y a deux ans avec un visa d’étudiant. Mais il n’a en fait jamais assisté aux cours de l’Université d’Al-Azhar. Décrocher un diplôme universitaire n’est pas son objectif. Il a ouvert un petit restaurant à Maadi et vit aujourd’hui dans l’aisance. Il parle la langue des quartiers populaires, contrairement à la plupart des Chinois qui ont des difficultés à communiquer avec le monde extérieur, faute de ne parler ni arabe ni anglais. Du coup, ils s’intègrent mal à la société. Certains pensent que cet isolement n’est que provisoire. Convaincus que l’Égypte accueillera dans les années à venir un nombre de plus en plus important de Chinois, ils ont espoir que la coexistence se fera naturellement.

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