Un ambassadeur nommé Belkheir

Général à la retraite, directeur de cabinet du président Abdelaziz Bouteflika depuis septembre 2000, il est l’un des piliers du régime algérien. Sa nomination au poste de chef de la mission diplomatique à Rabat pourrait accélérer la normalisation des rela

Publié le 29 août 2005 Lecture : 6 minutes.

Les uns le disaient boudeur, traînant les pieds pour se rendre aux cérémonies officielles, affichant sa mauvaise humeur durant ses sorties publiques. Un de ses plus proches collaborateurs avait même confié à J.A.I. que Larbi Belkheir, pierre angulaire du régime, général à la retraite, directeur de cabinet du président Abdelaziz Bouteflika depuis septembre 2000, était contrarié par les récentes décisions du chef de l’État, qui, en quelques mois, a bouleversé la haute hiérarchie militaire. Les autres affirmaient que son retrait était dû à son état de santé. Malgré de nombreuses alertes cardiaques, Belkheir continuait pourtant de fumer cigarette sur cigarette. Le 23 août, ces rumeurs ont essuyé un sérieux démenti : Larbi Belkheir est officiellement nommé ambassadeur de la République algérienne auprès du royaume du Maroc. Ébruitée quelques jours plus tôt par un quotidien algérien indépendant, cette nomination ne sera pas sans conséquences sur la vie politique nationale, mais aussi et surtout sur les relations algéro-marocaines.
Le choix de l’homme n’est pas fortuit. Au coeur du pouvoir depuis le début des années 1980, il passe pour être l’un des meilleurs connaisseurs des dossiers qui alimentent le contentieux entre Alger et Rabat. Cette décision intervient également au moment où Washington fait montre d’un agacement sur le retard pris dans l’édification de l’ensemble maghrébin, multipliant les pressions pour parvenir à une solution de la question du Sahara occidental, pomme de discorde principale entre les deux pays (voir pages 28-30). Durant près d’un demi-siècle, les relations entre les deux voisins ont connu de vives tensions, alternant avec d’éphémères périodes d’accalmie : un conflit armé en 1963, une rupture des relations diplomatiques en 1975 et de longues années de fermeture des frontières terrestres. D’ailleurs, ces dernières le sont encore, depuis 1994. Quant aux périodes d’accalmie, elles ont permis, entre autres, le bornage des frontières, scellé à Ifrane, en 1972, entre Hassan II et Houari Boumedienne, ou encore, la proclamation, en 1989, à Marrakech, de l’Union du Maghreb arabe (UMA, regroupant, outre les deux États, la Libye, la Mauritanie et la Tunisie).
La visite à Alger, le 22 mars dernier, du roi Mohammed VI augurait déjà d’un réchauffement. La balade pédestre accomplie par le souverain marocain, sans autre forme de protocole, dans les artères de la ville avait touché les Algériens. Bouteflika avait même mis à la disposition de son invité et de son importante suite sa propre résidence officielle. Lors des discussions entre les deux hommes, qualifiées de franches et sincères, le monarque avait demandé à son hôte de dépêcher à Rabat son Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour une visite de travail afin d’accélérer l’examen des dossiers bilatéraux. Le président algérien donne immédiatement son accord et la date du voyage est arrêtée au 21 juin. Mais les espoirs nés du séjour algérois de Mohammed VI sont ruinés le 17 juin. Alors que les ministères des Affaires étrangères des deux pays planchent sur le programme de travail d’Ouyahia à Rabat, un communiqué officiel marocain qualifie la visite d’inopportune. La réaction du gouvernement algérien est plus tendre que celle de l’opinion, qui y voit une nouvelle humiliation. Ce jour-là, un ministre algérien en visite à Paris soupire en privé : « C’est reparti pour dix ans. » À Zoudj Beghal, poste frontière algérien proche de Maghnia, on arrête de repeindre les murs en prévision de la réouverture des frontières. Cette nouvelle crispation sera battue en brèche par un message royal à « Boutef », le 5 juillet, à l’occasion de la fête de l’indépendance. La réponse sera aussi lyrique que la lettre du souverain marocain. Bouteflika récidive le 29 juillet, à l’occasion de l’anniversaire de l’intronisation de Mohammed VI. À la mi-août, le gouvernement marocain décide de changer d’ambassadeur à Alger et sollicite l’agrément pour un nouveau diplomate. Alger répond en trente-six heures, une célérité peu habituelle. Le 20 août, qui est une date importante pour les Algériens [commémoration de l’insurrection généralisée du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois] mais pas une fête officielle, le roi du Maroc envoie un nouveau message au chef de l’État algérien pour réaffirmer sa volonté de renforcer la coopération politique et économique entre les deux pays.
La décision de nommer Larbi Belkheir en qualité d’ambassadeur à Rabat n’est pas le fruit du hasard. Le général a demandé, en juillet, à Bouteflika de le décharger de ses fonctions pour qu’il consacre plus de temps à sa famille et à ses petits-enfants. Boutef a su trouver les mots pour le convaincre d’accepter ses nouvelles tâches. Les deux hommes connaissent l’importance de l’enjeu stratégique d’une amélioration durable des relations avec le Maroc. Belkheir présente le profil idéal pour cette mission. Il avait été, en 1987, l’un des artisans, en compagnie de Cheikh Ali Ben Messelem, directeur de cabinet de feu le roi Fahd d’Arabie saoudite, de la rencontre entre Chadli Bendjedid et Hassan II. Pour avoir été le principal interlocuteur des émissaires marocains durant les grandes périodes de crise entre les deux pays, Larbi Belkheir, qui a accompli une partie de sa scolarité dans la médina de Fès, après la Seconde Guerre mondiale, a même été accusé, au sein du sérail algérien, d’être l’oeil de Rabat à Alger. Correspondant attitré de Driss Basri, l’ancien ministre de l’Intérieur de Hassan II, il a assisté à toutes les réunions bilatérales de haut niveau. D’après un proche collaborateur de Bouteflika, les réticences de Belkheir sont vite balayées.
La demande d’agrément est transmise le 23 août 2005, à 10 heures, au ministère marocain des Affaires étrangères. Neuf heures plus tard, la réponse tombe : le gouvernement chérifien donne son accord à la nomination de Belkheir en qualité d’ambassadeur plénipotentiaire de la République algérienne démocratique et populaire auprès de royaume du Maroc. Neuf heures seulement de temps de réaction : les Marocains ont fait mieux que les Algériens. Et ce n’est pas tout. Contrairement aux usages, ce n’est pas Mohamed Benaïssa, chef de la diplomatie marocaine, qui a signé la lettre d’agrément, mais Sa Majesté elle-même. Autre première : la télévision algérienne a fait de la nomination de Belkheir un élément de la une de son journal de 20 heures.
Le désormais ex-directeur de cabinet de Bouteflika dispose de nombreux atouts pour réussir sa mission, qui consiste à parvenir le plus rapidement à une normalisation des relations avec le Maroc. « Son parcours, sa parfaite connaissance du dossier du Sahara occidental et sa pondération, précise-t-on dans les couloirs du palais d’El-Mouradia, sont de nature à lui faciliter une tâche des plus ardues. » Le principal écueil étant l’affaire du Sahara, Belkheir a sa petite idée pour concilier l’inconciliable : « L’accord de Madrid en 1975 avait réparti l’ancienne colonie espagnole entre le Maroc et la Mauritanie. Les trois parties signataires étaient d’accord sur ce partage. Aujourd’hui, le Maroc est intransigeant sur sa souveraineté territoriale et refuse le plan Baker, qui préconise un référendum d’autodétermination dont l’issue favorable aux indépendantistes ne fait aucun doute. Sortir de l’impasse équivaut à chercher une autre solution, qui passe par des négociations directes entre Rabat et le Polisario sur un partage du territoire. » Une solution aussi audacieuse que complexe, car il s’agit d’y rallier les autorités marocaines, les indépendantistes sahraouis et Alger. Un pari osé qui soulève une importante interrogation : Boutef a-t-il donné carte blanche à Belkheir ? Ce dernier, qui a annoncé qu’il rejoindrait Rabat « probablement en octobre », semble en tout cas résolu à relever le défi, comme il l’a déclaré au journal Le Monde, le 25 août : « Ma priorité sera d’établir des relations de confiance avec le Maroc, et surtout une véritable communication entre les deux pays. Cela fait trop longtemps que nos relations passent par des hauts et des bas. Or le Maroc est notre voisin et le restera. Nous sommes condamnés à nous entendre. »

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