Questions sur un retrait

L’évacuation réussie des colonies de Gaza et du nordde la Cisjordanie est presque unanimement saluée comme une victoire de la démocratie. C’est sans doute aller un peu vite en besogne…

Publié le 29 août 2005 Lecture : 3 minutes.

L’évacuation des colonies, totale et beaucoup plus rapide que prévu, constitue bien une victoire personnelle pour Ariel Sharon. Les observateurs en déduisent que la démocratie israélienne vient de faire la preuve de sa vitalité. Une conclusion peut-être un peu rapide…
Certes, les forces de sécurité l’ont emporté sans coup férir sur les plus récalcitrants des colons. Pouvait-il en être autrement ? On s’attendait au pire, les autorités et l’armée ayant notoirement exagéré le danger des opérations de désengagement. En parallèle, l’accès des médias à Gaza a été particulièrement favorisé, surtout dans les zones les plus hostiles et auprès des réfractaires les plus « spectaculaires ». Pourtant, mis à part l’aspect symbolique et affectif, les expulsions les plus délicates n’ont, sur le plan technique, pas posé davantage de problèmes que l’éviction de squatteurs dans une ville occidentale. Les colons connaissaient les limites à ne pas dépasser : ils ont pris soin de mesurer l’intensité de leur résistance (projection de peinture, liquides, légumes et objets divers) alors que, d’ordinaire, les plus extrémistes d’entre eux sont toujours armés… Cette fois, chaque camp a « joué son rôle ».
Certes, l’armée a exécuté les ordres, ce qui paraît aller de soi dans un État démocratique moderne. Les appels à la désobéissance civile ont été peu suivis, mais les actes – isolés ou collectifs – de refus ou de désertion ont été, à l’évidence, plus nombreux que d’ordinaire. La presse israélienne civile et militaire a pris soin d’éviter de s’en faire systématiquement l’écho.
Certes, les écoles religieuses militaires (hesder yeshivot), véritable « armée dans l’armée », sont restées dans leurs casernes. Il faut dire que Dan Haloutz, chef d’état-major des Forces de défense d’Israël, les avait menacées de dissolution en cas de refus de servir ou de mutinerie. Les plus optimistes y verront un ralliement opportuniste à la discipline, les autres craindront que ces unités d’un genre particulier se réservent pour une crise autrement plus grave… Obéissant d’abord à leurs rabbins et à leurs convictions religieuses, refusant la mixité et la proximité de troupes « laïques », ces unités ont été dispensées des opérations de désengagement. Une marque de défiance qui en dit long sur la cohésion d’une armée qui compte de nombreuses unités de ce type.
Certes, on peut désormais critiquer plus ouvertement l’armée et les forces de sécurité en général. Jusque-là, le caractère presque « sacré » de Tsahal rendait l’exercice délicat, au mieux pas très bien vu. Le tabou est tombé, il n’y a plus de limites. On peut désormais invectiver, appeler à la désobéissance et l’insoumission, molester soldats et policiers, sans autre sanction que la réprobation des autorités, de la presse et de l’opinion. Il y a eu peu d’arrestations consécutives aux opérations de retrait, il n’est pas sûr que des condamnations suivent malgré les menaces des autorités. Est-ce vraiment un signe de la vitalité de la démocratie israélienne ?
Certes, la crise n’a pas causé de fractures nouvelles dans la société israélienne, mais les opposants les plus farouches et les plus dangereux n’en font pas vraiment partie. Les sionistes religieux les plus extrémistes s’arc-boutent à leur conception théologique du « Grand Israël », en marge du système démocratique, les écoles militaires religieuses n’obéissent qu’à leurs chefs spirituels, les jeunes radicaux peuvent impunément s’approprier pour les dévoyer les symboles de la Shoah (étoile orange, tatouage de numéros, etc.)
Certes, enfin, la société israélienne résiste à ces dangers qu’il semble opportun et bienvenu de minimiser en ces lendemains d’évacuation réussie. Mais s’il advenait que Sharon soit contraint à de nouvelles concessions territoriales – ce qui, il est vrai, est loin d’être assuré -, il n’est pas sûr que les éventuelles évacuations se passent aussi bien.

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