Côte d’Ivoire : le jour où Simone Gbagbo est sortie de prison

Amnistiée deux jours plus tôt par Alassane Ouattara, l’ancienne Première dame, Simone Gbagbo, a été libérée le 8 août. Retour sur une journée qui marquera l’histoire récente de la Côte d’Ivoire.

Simone Gbagbo, après sa remise en liberté, le mercredi 8 août 2018. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Simone Gbagbo, après sa remise en liberté, le mercredi 8 août 2018. © REUTERS/Thierry Gouegnon

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Publié le 9 août 2018 Lecture : 5 minutes.

Mais où est Simone Gbagbo ? Ce mercredi 8 août, les partisans de l’ancienne Première dame ont passé une bonne partie de la matinée à se poser la question. Oui, Simone Gbagbo avait été amnistiée deux jours auparavant par le chef de l’État, Alassane Ouattara. Oui, les détails de sa sortie de prison avaient été actés le lendemain entre la famille et les dirigeants du Front populaire ivoirien (FPI).

Mais au final, pas grand monde, même parmi ses proches ou son collectif d’avocats, ne pouvait dire comment sa sortie de prison se déroulerait précisément. Les militants, eux, avaient été invités à venir l’accueillir dans deux endroits distincts : le palais de Justice, situé au Plateau, et la résidence familiale de la Riviera Golf.

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Incertitudes

Avant 8 heures, ils sont déjà une cinquantaine à l’attendre devant le palais. Certains entrent dans le bâtiment, d’autres sont rapidement gazés par les forces de l’ordre.

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À l’intérieur, trois avocats de Simone Gbagbo attendent le procureur général pour accomplir les dernières formalités administratives. Ils s’interrogent : acceptera-t-il que leur cliente soit directement libérée à l’école de gendarmerie ou demandera-t-il à ce qu’elle vienne au préalable au palais ? Une option qui poserait d’évidents problèmes de sécurité, auxquels personne ne semblait préparé.  Les avocats sont ensuite rapidement rassurés : « Je souhaite que chaque détenu soit libéré de son lieu de détention. Tous seront libres dans la journée », leur indique Léonard-Marie Lebry.

Dernières tractations

11 h, le billet de sortie de Simone est enfin signé. C’est même le procureur de la République, Richard Adou, qui lui porte la bonne nouvelle en personne. L’heure approche donc pour Simone Gbagbo, qui patiente à l’école de gendarmerie avec un de ses pasteurs, mais les dernières tractations repoussent légèrement l’échéance.

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Deux véhicules ont quitté la Riviera Golf pour aller la chercher : une belle Mercedes noire, prêtée par un ami généreux, et un véhicule à toit ouvrant, pour qu’elle puisse saluer la foule lors de son passage dans les rues d’Abidjan. Mais le procureur refuse et impose ses conditions : c’est dans un 4×4 de la gendarmerie que Simone, son pasteur, un de ses avocats et trois gendarmes, quittent par une sortie dérobée le lieu où elle fut détenue pendant plus de trois ans.

Festivités

À la résidence de Gbagbo – une villa principale et petite maison attenante -, la fête bat déjà son plein. Certains sont là depuis le petit matin. Une dizaine de personnes improvisent un défilé. Dans les jardins, on danse aux rythmes du zouglou. « Quand Gbagbo est sur le terrain, il y a pas de compétition », crachent les enceintes.

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Un cortège arrive. Premier mouvement de foule, des chants, des cris de joie. Est-ce elle ? Non, « seulement » l’ancien ministre Hubert Oulaye, qui vient lui aussi d’être libéré. Qu’importe, c’est pour bientôt, alors on finit de dérouler le tapis rouge et on termine de coller à la hâte une affiche de l’ancienne Première dame.

Là voilà enfin ! Elle s’extrait d’un véhicule, salue la foule, qui explose de joie, avant d’être « purifiée » par de la poudre de kaolin et de pénétrer non sans mal dans l’enceinte. Parti justifier son absence à l’université où il enseigne, son beau-fils Michel Gbagbo a failli rater son arrivée. Le service d’ordre est débordé.

Ils ont pensé qu’on allait disparaître, mais on est bien là

Depuis combien de temps l’ancienne maison de Laurent Gbagbo n’avait-elle pas vu autant de monde ? Ils sont plusieurs centaines, peut-être plus d’un millier, venus en pleine semaine de tout Abidjan. Militants, amis, parents ou simples voisins.

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Ce n’est pas le déferlement populaire, ni la parade dans les rues de Yopougon dont certains avaient rêvé, mais l’important est moins dans le nombre que dans cette atmosphère exceptionnelle qui règne. Une ferveur indescriptible, un sentiment de libération. Celui d’une bête blessée, humiliée, qui retrouverait aujourd’hui une partie de sa fierté.

« Ils ont pensé qu’on allait disparaître, mais on est bien là. Le jour où le grand manitou (Laurent Gbagbo, Ndlr) arrive, tu imagines. On ne pourra pas le recevoir ici », se gargarise un quadra. À côté de lui, un homme appelle « madame » pour lui raconter ce « moment historique ». Ici, on ne veut même pas évoquer les regrets des victimes de la crise ivoirienne. De toute façons, Simone n’a rien fait et Laurent Gbagbo a gagné les élections de 2010.

Retrouvailles

D’ailleurs où est-elle cette Simone ? La grande majorité des militants présents ne l’ont pas encore vu. Toujours dans la dépendance où l’ont accueilli les cadres de son parti et les membres de sa famille, elle donne l’accolade à Aboudramane Sangaré, prends Michel Gbagbo dans ses bras. Certains avaient la larme à l’œil.

Un peu plus tard assise dans un imposant canapé, on vient la saluer, lui glisser un mot à l’oreille ou la prendre en photo. Sam l’africain, cet homme d’affaires issus de la communauté libanaise, proche du FPI de Gbagbo mais aujourd’hui affilié à Pascal Affi N’guessan, vient se jeter à ses pieds sous les regards moqueurs de l’assistance. « Il pleure ? », demande quelqu’un.

Plus de trois heures après sa libération, il est temps pour Simone Gbagbo d’aller rejoindre ses partisans. Voilà, ça y est, ils l’ont enfin vu, et la cérémonie en son honneur peut débuter.

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Sous le auvent du jardin, assise entre Assoa Adou et Lida Kouassi, elle est tantôt souriante, tantôt pensive ou méditative, les yeux fermés, parfois perdue. Elle secoue la tête quand ses compagnons évoquent leurs conditions de détention et attaquent le régime d’Alassane Ouattara. Comme si elle aurait préféré que la politique ne s’invite pas tout de suite.

« Qu’est-ce que c’est la prison pour un militant du FPI ? Un moment de renaissance. Regarder la belle Simone Gbagbo. La voici rayonnante prête pour le combat », dit Lida Kouassi. On souffle à l’ancienne Première dame de se lever, elle hésite mais le fait. Le brouhaha est terrible. « Gbagbo, Gbagbo ».

Un groupe de Zouglou chante entre deux discours, on danse les deux doigts levés vers le ciel, puis c’est à son tour de s’exprimer. « En réalité, je ne vais pas parler aujourd’hui. Tout ce qui est dans mon ventre, avant que ça ne sorte, il faut que ça passe par le tamis de Sangaré. C’est bien pour ça qu’on l’a nommé gardien du temple. Je voudrais que vous vous associez à moi pour le féliciter. J’ai été impressionné par la prestation d’Aboudramane Sangaré. Il est à l’image du FPI. Tu le pousses, il est là. Tu lui fais voir ta jambe, il est là. Tu le frappe, il est là. Tu l’envoies en prison, il est là », lance-t-elle sous le regard ému de cet ami fidèle de Gbagbo, avant de conclure : « La re-fondation a commencé. Aujourd’hui, toutes les choses sont nouvelles. Militants, militantes, levez-vous. On est partis, on est partis et on ne s’arrêtera pas. »

Il est 16 h quand la cérémonie s’achève. Mais pour beaucoup, la fête ne fait que commencer.

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