Le triomphe des nouveaux capitalistes

Pratiquant des tarifs qui défient la concurrence occidentale, les commerçants chinois poussent leurs pions avec succès sur le continent. Quitte à faire de l’ombre aux opérateurs et industriels locaux.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 3 minutes.

«Enrichissez-vous ! » Chaque jour, la célèbre formule lancée en 1992 par Deng Xiaoping semble se concrétiser davantage. Les Chinois se sont lancés à l’assaut du grand marché planétaire. L’Afrique n’échappe pas à leur appétit et tend même à devenir leur nouvel eldorado. Une expansion favorisée par une volonté politique très forte des autorités chinoises, qui incitent les entreprises à investir le marché africain et ont décidé de se donner les moyens de leurs ambitions. Depuis 2000, le gouvernement s’est doté d’un instrument de promotion, le Forum de coopération Chine-Afrique, qui lui permet de lutter à armes égales avec les Occidentaux. Différentes mesures d’ordre commercial et fiscal (suppression de la double taxation des produits, harmonisation des politiques commerciales, accords de protection des investissements, aide à la création de joint-ventures…) ont été prises pour promouvoir les échanges. Parallèlement, le gouvernement chinois a mis en place un « tarif zéro » à l’importation de plusieurs produits en provenance de 34 pays africains parmi les moins avancés. Les objectifs sont clairs : étancher la soif du géant chinois en matières premières. Ses besoins s’avèrent considérables… En 2003, il a consommé 50 % de la production mondiale de ciment, 30 % de celle de charbon et 36 % de celle d’acier. Pékin puise 25 % de son pétrole sur le continent africain, pêche dans les eaux poissonneuses du golfe de Guinée, exploite les bois tropicaux d’Afrique centrale, ouvre des mines au Gabon et au Zimbabwe et importe de la fibre de coton du Sahel. De quoi faire tourner à plein son industrie textile. Ses produits envahissent le marché mondial sans entrave, ou presque, depuis le démantèlement de l’accord multifibre, début 2005.
Autre ambition de Pékin : s’assurer une position dominante dans les secteurs clés (construction, pétrochimie, transports, énergie électrique, hydraulique, télécommunications, technologie industrielle). En Afrique, les Chinois sont aujourd’hui devenus incontournables dans le secteur du BTP. Chaque mois, ils remportent de nouveaux appels d’offres au nez et à la barbe des Occidentaux (notamment parce que leurs prix sont généralement 30 % moins élevés) et comptent déjà pas mal de réussites à leur actif : l’hôtel Sheraton d’Alger, des logements sociaux de Guinée, les Assemblées nationales de Djibouti et du Gabon, le ministère des Affaires étrangères du Mozambique et le stade Léopold-Sédar-Senghor de Dakar. Un sondage réalisé par le ministère chinois du Commerce extérieur et de la Coopération économique reflète ce dynamisme et cet intérêt pour l’Afrique. Sur 100 entreprises chinoises, 32 ont déclaré que le continent était leur zone prioritaire de développement à l’étranger.
Mais ces entrepreneurs ne se contentent pas des grands ouvrages… Les commerçants chinois sont sur tous les créneaux : produits de première nécessité, biens de grande consommation, équipements électroménagers… Signe de la formidable percée chinoise, le fret maritime vers le continent africain a augmenté de plus de 20 % en 2003-2004. Dakar, Libreville, Johannesburg comptent désormais leur « Chinatown », quartier d’affaires aux mains des citoyens de l’empire du Milieu. L’implantation se fait toujours de la même manière. Des éclaireurs – coopérants, employés de grandes entreprises ou aventuriers – montent une boutique ou un entrepôt d’import-export qui sert de « cheval de Troie » à l’implantation des activités et à la venue des compatriotes. Ensuite, tout est affaire de négociation avec les autorités locales pour obtenir les visas, les autorisations d’exercer, le dédouanement des marchandises… Pour s’imposer sur le marché, ces commerçants n’hésitent pas à casser les prix… sans grande difficulté, car ils s’approvisionnent directement dans les industries de la République populaire, le « grand atelier du monde ». La recette est partout gagnante : de plus en plus la ménagère africaine, dont les revenus sont limités, achète chinois.
Le président Hu Jintao l’a bien compris. Lors de sa tournée en Égypte, au Gabon et en Algérie en février 2004, il a mis en avant la complémentarité des économies chinoise et africaine. Une ligne politique qui ne trompe plus grand monde… Pékin a intérêt, comme les Occidentaux, à vendre ses produits manufacturés, qui constituent une bonne valeur d’échange, contre les ressources naturelles africaines dont elle a besoin. « L’Afrique consomme depuis longtemps des produits made in China. Maintenant, ce dont nous avons besoin, c’est d’un accès au marché chinois pour vendre nos produits », s’est irrité l’ancien président mozambicain Joaquim Chissano, à l’occasion du IIe Forum de coopération Chine-Afrique en 2003. Or, dans le secteur forestier, par exemple, la Chine ne souhaite importer que des grumes et non du bois déjà transformé, ce qui va à l’encontre de la politique d’industrialisation poursuivie par plusieurs pays d’Afrique centrale.
À l’avenir, les échanges sino-africains devraient continuer à progresser. Mais, si les pays du continent ne défendent pas leurs intérêts bec et ongles, les fruits de ce commerce continueront en grande partie à leur échapper.

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