Le modèle chinois

Partenariat économique, appui aux projets de développement, relations diplomatiques… la coopération sinoafricaine s’est fortement accrue à la fin des années 1990, au point de concurrencer la France dans son pré carré.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 5 minutes.

«Observez bien… Les officiels n’en ont que pour l’ambassadeur de Chine… » Vexé et agacé, le diplomate qui glissait cette remarque à son voisin lors de la réception marquant l’indépendance de la République du Congo en août 2004, s’est ensuite éclipsé rapidement. En moins de dix ans, les émissaires chinois se sont taillé une place de choix dans les différentes cérémonies organisées par les dirigeants africains. Faut-il s’en étonner ? L’empire du Milieu a fait de l’Afrique une de ses priorités et ne ménage pas ses efforts pour aider financièrement le « continent oublié ». Un appui pour le moins intéressé… Afin de soutenir sa croissance, Pékin a besoin des matières premières africaines, et particulièrement de son pétrole, les groupes américains ayant largement accaparé les ressources du Moyen-Orient. La Chine mène donc une politique active en Afrique du Nord (Algérie, Égypte, Libye, Soudan) et dans le golfe de Guinée (Angola, Congo, Gabon, Nigeria) pour gagner des parts dans le marché des hydrocarbures… Et elle n’hésite pas à taper du poing sur la table pour peu que ses intérêts soient malmenés. En octobre 2004, elle a menacé de brandir son veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour s’opposer aux sanctions pétrolières contre le Soudan. La puissante China National Petroleum Corporation (CNPC) y développe un important champ à Muglad, qui produit plus de 500 000 barils par jour, ainsi qu’une raffinerie capable de traiter 2,5 millions de tonnes par an.
Quelques mois plus tôt, en janvier et février 2004, le président Hu Jintao avait effectué une longue tournée – aux allures de prospection pétrolière – en Égypte, au Gabon et en Algérie pour appuyer les efforts de ses sociétés pétrolières, en quête de nouveaux partenaires. Objectif : importer 50 millions de tonnes de brut par an pour éponger les besoins toujours croissants du pays (plus de 100 millions de tonnes en 2004). La tournée du président chinois a été suivie de nombreuses visites ministérielles dans les pays africains – notamment en Afrique du Sud en juin de la même année – et de la réception de plusieurs chefs d’État et ministres africains en République populaire. Avec, pour thème récurrent, la coopération commerciale. Partant du principe que les guerres ne font pas bon ménage avec les affaires, la Chine s’implique également dans la mise en oeuvre des processus de paix sur le continent. Elle a participé au financement des programmes somaliens et soudanais de pacification, envoyé 500 Casques bleus au Liberia en 2003 et 220 en République démocratique du Congo en 2004.
Car on ne saurait réduire la politique africaine de Pékin à de simples intérêts économiques. En litige avec l’Occident sur de nombreux points, comme les droits de l’homme ou la question de Taiwan, la Chine cherche des soutiens, particulièrement depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement du monde bipolaire. En mai 1996, l’ex-président Jiang Zemin a effectué une tournée dans six pays d’Afrique avec, en point d’orgue, un grand discours prononcé devant l’Organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba, véritable plaidoyer pour le renforcement des relations politico-économiques et le respect des souverainetés nationales. Plus récemment, lors du sommet de l’Union africaine à Syrte, les 4 et 5 juillet dernier, le président Hu Jintao a adressé un message aux chefs d’État africains dans lequel il leur fait part de son soutien pour qu’ils obtiennent deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies.
Le gouvernement chinois ne manque pas, non plus, une occasion de rappeler que sa coopération n’est assortie d’aucune condition de démocratisation ni de bonne gouvernance et exige seulement de ses partenaires la reconnaissance d’une Chine unique. Ainsi, Pékin entretient d’excellentes relations avec des pays largement mis au ban des autres nations et aux potentialités économiques limitées. Nombre de dirigeants africains, boudés par l’Occident, ont toutes les raisons d’apprécier cette mansuétude. Au lendemain du coup d’État de mars 2003 en République centrafricaine, la Chine a accordé une aide de 1,5 milliard de F CFA (6,5 millions d’euros) au général président Bozizé, pour l’aider à faire face aux dépenses publiques. Un appui renouvelé à maintes reprises, la République populaire de Chine ayant notamment offert, à la fin de l’année dernière, du matériel de construction d’une valeur de 2 milliards de F CFA. Le Togo bénéficie également de l’aide de Pékin, qui lui a octroyé en décembre 2004 pour 150 millions de F CFA de dons en produits informatiques et pharmaceutiques, et qui a réaffirmé son appui au régime de feu le président Eyadéma. Pékin est toujours, par ailleurs, la dernière grande puissance à rester fidèle à Robert Mugabe, le président zimbabwéen. Ce dernier s’est rendu en visite officielle en Chine du 23 au 29 juillet dernier. Son homologue Hu Jintao lui a apporté un soutien politique indéfectible et une promesse d’appui économique alors que son pays traverse une crise financière sans précédent.
De manière croissante, les diplomates chinois chassent sur les terres francophones, avec une prédilection pour la Côte d’Ivoire et le Cameroun, les deux portes d’entrée de Paris vers l’Afrique de l’Ouest et du Centre. En novembre 2004, seule la Chine a aidé le président Gbagbo dans la tourmente en le gratifiant de 1 milliard de F CFA pour les projets de développement de son pays. On murmure, dans les couloirs du palais présidentiel, que l’aide de Pékin aurait servi à payer les fonctionnaires. Une manière de soutenir le régime en place, qui a de plus en plus de mal à boucler ses fins de mois. Aux Nations unies, où elle dispose d’un siège permanent, la Chine tente également d’atténuer les sanctions prises à l’encontre des responsables politiques ivoiriens.
La diplomatie chinoise s’est donc fait une spécialité d’aider les États isolés sur le plan international et en difficulté économique. Une stratégie payante, ces mêmes États n’hésitant pas à soutenir les positions de Pékin dans les instances internationales ou à favoriser l’implantation des entreprises chinoises et la commercialisation de leurs marchandises.
Dans les années à venir, l’influence du géant asiatique, n’en déplaise aux Occidentaux, se fera de plus en plus sentir sur le continent. Que ce soit sur le plan politique ou économique, la Chine et l’Afrique ont de nombreux intérêts communs à défendre. Pékin a retrouvé la rhétorique « tiers-mondiste » qu’elle avait délaissée dans les années 1980 et ses diplomates n’hésitent pas à ressortir des tiroirs le vieil adage chinois selon lequel « la distance ne peut pas tenir de vrais amis éloignés… ».

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