John Johnson

Le fondateur de « Ebony » est décédé le 8 août à Chicago.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 3 minutes.

« Il a donné aux Africains-Américains une voix, un visage, une conscience nouvelle de leur personnalité et de ce qu’ils pouvaient en faire, en un temps où ils demeuraient invisibles au sein de la société américaine », a dit le président Bill Clinton en le décorant de la médaille de la Liberté, la plus haute distinction nationale, en 1996. John Johnson, petit-fils d’esclaves, a bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale un empire médiatique à la gloire des siens, alors rejetés par la société américaine blanche bien-pensante. L’homme qui a influencé des générations d’entrepreneurs issus des minorités est décédé des suites d’une longue maladie le 8 août, à Chicago. Il avait 87 ans. Il laisse derrière lui la Johnson Publishing, dirigée par sa fille, qui publie les deux magazines phares, Ebony et Jet, ainsi que Ebony Man, créé en 1985.
Il est né le 19 janvier 1918, au sein d’une famille pauvre, dans une petite ville d’Arkansas. Le lycée local n’acceptant pas les Noirs, sa mère, devenue veuve alors que le petit John n’avait que 6 ans, déménage pour Chicago, ville industrielle et cosmopolite. Le jeune homme refuse sa bourse d’études, préférant faire ses premières armes de journaliste dans un magazine d’entreprise. John Johnson a du charisme et suffisamment de détermination pour, en 1942 et avec un capital de 500 dollars, oser lancer sa propre publication, Negro Digest. Il y publie des nouvelles et des poèmes écrits par des auteurs noirs. En un an, il passe de 5 000 à 50 000 exemplaires vendus par mois. L’année suivante, il en vend 100 000 et la First Lady, Eleanor Roosevelt, y publie un article.
En 1945, Johnson sort Ebony sur le modèle du prestigieux magazine Life. De belles photos, des success-stories d’Africains-Américains, les lecteurs s’arrachent ce mensuel qui parle enfin d’eux. En 1951, il crée l’hebdomadaire Jet. Sur la couverture du premier numéro, Edna, l’épouse du boxeur Sugar Ray Robinson, parade en vison. À l’intérieur, des conseils pour investir, entreprendre et faire en sorte que toutes les Africaines-Américaines puissent aussi s’offrir une fourrure. À ceux qui lui reprochent de ne s’intéresser qu’aux paillettes, John Johnson répond qu’il veut séduire le lecteur par la réussite de ses semblables et lui donner les moyens et les idées pour y parvenir. Les magazines servent aussi à soutenir la lutte pour les droits civils des Noirs et la fin de la ségrégation raciale. Exemple : en 1955, Jet publie en couverture le cercueil de Emmett Till, un adolescent de 14 ans lynché pour avoir salué d’un « Bye, Baby » désinvolte l’épouse d’un épicier du Mississippi. Dans les années 1960, Ebony s’interroge sur The White Problem in America (« Le problème blanc aux États-Unis »). Johnson s’acharne à convaincre les annonceurs publicitaires que ses magazines touchent une vaste population potentiellement consommatrice et encourage les agences à faire poser des mannequins noirs. Il n’hésite pas à envoyer chaque semaine pendant dix ans l’un de ses commerciaux chez un constructeur automobile de Detroit. Liberté de ton d’une part, pugnacité commerciale de l’autre, se révèlent payantes. En 2004, le magazine culmine à 1,6 million d’exemplaires.
John Johnson gagne aussi l’estime des hommes politiques. Il accompagne Richard Nixon, vice-président en 1957, pour une tournée dans neuf pays africains. À l’hôtesse de l’air qui voulait le débarrasser de son manteau, il répond : « Non, j’ai mis des années à pouvoir m’acheter un vrai manteau, je préfère le garder. » En 1960, il est représentant officiel des États-Unis aux cérémonies de l’indépendance en Côte d’Ivoire, puis trois ans plus tard au Kenya. Il reçoit le Prix Horatio Alger en 1966, une récompense qui distingue les citoyens américains qui ont réussi malgré l’adversité ou la difficulté de leur entreprise.
Il était homme de médias, mais son groupe comporte également une entreprise de cosmétiques pour les peaux foncées, Fashion Fair Cosmetics, une société qui s’emploie à récolter de l’argent pour les causes humanitaires au moyen de défilés de mode, Ebony Fashion Fair, ainsi qu’une maison d’édition dévolue aux auteurs africains-américains, JPC Book Division. Ses succès font qu’en 1982 il est le premier Africain-Américain à entrer sur la liste des hommes les plus riches du monde dressée par le magazine Forbes. Jusqu’à sa fin il restera fidèle à sa devise : « Le seul échec est de ne pas essayer. »

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