Faut-il croire à la paix ?

Après l’élection le 19 août d’un ex-rebelle hutu à la présidence de la République, le pays entre dans une nouvelle ère. Avec tous les risques que cela implique.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 5 minutes.

Une étape déterminante a certainement été franchie, mais la résolution du conflit burundais demandera encore du temps. Le 19 août, l’ancien chef rebelle des Forces pour la défense de la démocratie (FDD), Pierre Nkurunziza, est devenu le premier président élu du Burundi depuis l’assassinat de Melchior Ndadaye par des militaires en 1993. « L’autre petit pays des Grands Lacs » plongeait alors dans le cycle infernal des violences interethniques, entre une armée dominée par les Tutsis et une rébellion essentiellement composée de Hutus. Au fil des massacres, cette guerre civile a fait au moins 300 000 morts, essentiellement parmi les civils. En 1996, une commission d’enquête des Nations unies parle « d’actes de génocide ». Moins de dix ans après, force est de constater que ce scrutin marque une rupture, même si son issue ne faisait aucun doute.
Seul candidat en lice après la très nette victoire de son parti, le CNDD (Conseil national pour la défense de la démocratie), lors des précédentes élections législatives et sénatoriales, Pierre Nkurunziza l’a emporté dès le premier tour avec 151 voix sur les 166 députés et sénateurs réunis en Congrès. Le maquisard reconverti, mais qui rechigne toujours à porter le costume, a dans une courte allocution en kirundi (la langue nationale) remercié « les parlementaires, la population et la communauté internationale ». Que de chemin parcouru pour cet homme qui a seulement abandonné les armes et rejoint le pouvoir de transition en 2003 après de longues et laborieuses négociations !
Durant sa campagne électorale, ce tout nouveau leader politique s’est engagé à relever trois défis : la sécurité pour tous, la réconciliation entre Burundais et la reconstruction d’un pays totalement ravagé par les affres de l’ethnicisation. Trois défis pour un chantier colossal. « Pierre Nkurunziza a conscience des difficultés, mais la tâche s’annonce très difficile. Le Burundi est économiquement, politiquement et moralement délabré », résume Jean-Marie Vianney Kavumbagu, le président la Ligue de défense des droits de l’homme Iteka (« dignité », en kirundi).
Conformément à l’accord d’Arusha signé en août 2000, grâce notamment à la très forte implication de Nelson Mandela, le Burundi s’est engagé sur la voix de « l’équilibre ethnique ». La Constitution adoptée par référendum en février dernier fixe même des quotas destinés à être appliqués dans les différents rouages de l’État. Un partage du pouvoir censé être dissuasif… C’est à présent chose faite au Parlement. La composition du prochain gouvernement va être suivie avec attention et la réforme annoncée de l’armée burundaise est en cours. À terme, il est prévu qu’elle soit composée à égalité de militaires tutsis et d’ex-rebelles, mais le nouveau chef de l’État aura certainement fort à faire avec certains officiers soucieux de conserver leurs prérogatives. Au total, le programme Démobilisation, désarmement, et réinsertion (DDR) concerne plus de 70 000 ex-combattants issus des deux camps. Il va falloir, aussi et surtout, rassurer la minorité tutsie (environ 15 % des 7 millions de Burundais), qui considérait « son armée » comme une protection face aux « menaces génocidaires ». Le fait que le dernier mouvement rebelle des FNL (Forces nationales de libération) n’ait pas encore déposé les armes constitue, de ce point de vue, une sérieuse hypothèque. Pis encore, son champ d’action semble s’étendre. Cantonnés jusqu’à présent dans la province de Bujumbura rural, les FNL ont récemment lancé une attaque dans le nord du pays, à Kayanza. Et cela bien que des pourparlers soient régulièrement annoncés.
Comment dans ces conditions plaider pour la réconciliation alors que les craintes – légitimes – sont encore loin d’être dissipées ? « Il faut mettre fin à l’impunité qui ronge notre pays, estime Jean-Marie Vianney Kavumbagu. Et cela passe par le rétablissement de la justice et de la vérité. Les criminels doivent être jugés. C’est la seule façon de redonner confiance à la population envers les institutions. » La ligue Iteka demande que les dossiers les plus lourds soient menés à leur terme, qu’il s’agisse d’officiers mis en cause, d’anciens dignitaires politiques ou bien encore d’ex-rebelles. À n’en pas douter, ce travail de mémoire exigera de la patience et du courage. Des compromis aussi. Le 26 août, Pierre Nkurunziza devait prêter serment devant la présidente de la Cour constitutionnelle, une magistrate qui l’avait condamné à mort en 1996 après une série d’attentats dans Bujumbura. L’ancien chef de guerre, qui dément toute implication, avait, à l’époque, dénoncé « une machination judiciaire ».
Face au défi de la reconstruction dans un pays à l’économie dévastée par douze ans de guerre civile, le nouveau chef de l’État insiste sur « la bonne gouvernance et un développement pour et par le peuple ». L’enjeu est de taille. Le Burundi est le quatrième pays le plus pauvre au monde. L’espérance de vie ne dépasse pas les 41 ans et 70 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour.
Pour mener à bien ce programme, le CNDD dispose à présent de tous les leviers du pouvoir. « Cette situation comporte toutefois les risques d’une dérive totalitaire », tempère un observateur qui souligne le manque d’expérience des nouveaux dirigeants. Tout dépendra aussi de l’attitude de la nouvelle opposition articulée autour des deux partis qui ont dominé les années de transition, l’Uprona (Unité pour le progrès national, à majorité tutsie) et le Frodebu (Front pour la démocratie du Burundi, à majorité hutue). Pour le premier, électoralement marginalisé, l’heure est plutôt à l’attentisme. Quant à la formation du président sortant Domitien Ndayizeye, secouée par des divisions internes, sa ligne de conduite demeure floue. « La possibilité d’un rapprochement entre certains dirigeants radicaux du Frodebu et les FNL doit malheureusement être prise en considération », avertit le président de la ligue Iteka.
Devant composer sur le plan intérieur, les nouvelles autorités jouissent en revanche d’un accueil très favorable au-delà de ses frontières. Une dizaine de chefs d’État, essentiellement de la région des Grands Lacs, devaient assister à l’investiture de l’ex-chef rebelle le 26 août. Les présidents rwandais, ougandais et congolais étaient notamment attendus. Les anciens FDD bénéficient de bons contacts au Kenya et en Tanzanie, où certains de leurs dirigeants ont résidé durant les années d’exil. Plus surprenant, à Kigali, le président Paul Kagamé entretient d’excellentes relations avec son nouvel homologue, dont les talents de négociateur ne sont plus à démontrer. « La confiance est de retour », concluent plusieurs diplomates en poste dans la région. « Nous faisons face à une nette augmentation du nombre de réfugiés burundais rentrant des camps situés en Tanzanie », souligne pour sa part le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui prévoit le retour au pays de quelque 20 000 personnes en août contre 3 116 enregistrés en juin, sur un total de 300 000 déplacés.
Pour autant, si l’espoir renaît dans les collines, la paix au Burundi est-elle définitivement de retour ? « Si dans cinq ans l’élection présidentielle se déroule comme celle-ci, dans le calme, on pourra dire que le processus a réussi », répond l’ancien chef de l’État, le major Pierre Buyoya (Uprona). D’ici là, il faut continuer à briser les idéologies extrémistes, isoler les politiciens qui alimentent les peurs, et tenter de dépasser la fracture ethnique. Le pari est risqué, mais pas impossible à tenir.

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