En attendant les élections

Le 11 novembre prochain, le pays fêtera le trentième anniversaire de son accession à l’indépendance. Ravagé par une longue guerre civile, pourra-t-il enfin goûter aux bienfaits d’une paix durable et de l’alternance démocratique ?

Publié le 29 août 2005 Lecture : 7 minutes.

La capitale angolaise a des allures d’ancienne reine de beauté qui aurait mal vieilli. Construite au XVIIe siècle, Luanda se distingue par une magnifique configuration géographique et un formidable brassage ethnique, produit d’une histoire mouvementée. Avec la Ilha, « l’île » – qui constitue, en fait, une simple avancée de terre vers l’océan -, sa baie offre un superbe port naturel. La cité basse, ancien comptoir de la traite négrière, se consacre aux activités commerciales, financières et portuaires. Endiama, la société d’État qui détient le monopole de l’exploitation diamantifère (2 milliards de dollars de chiffre d’affaires en moyenne par an) y côtoie le siège, toujours en construction, de la Sonangol, le groupe pétrolier étatique, et ceux des grandes banques. La ville haute, avec son église et ses bâtiments officiels, concentre les pouvoirs spirituels et temporels.
L’arrivée des colons a entraîné un certain métissage de la population. Pendant longtemps, la capitale angolaise a vécu de ses activités de transit, qu’il s’agisse des richesses minières de l’arrière-pays – et de l’or, en particulier – ou des esclaves. Les négriers allaient chercher leurs « pièces » – terme communément utilisé pour désigner la « marchandise » humaine destinée aux plantations du Brésil, de Cuba ou d’ailleurs – à l’intérieur des terres. Cible de ces safaris particuliers : les Bakongos du Nord et les Ovimbundus, essentiellement concentrés dans le centre et le sud du pays. Au fil des ans, les affranchis, les esclaves fugitifs se sont fixés dans cette ville baptisée par les colons portugais « Nova Lisboa ». Ils peuplent les musseque (« bidonvilles ») – qui doivent leur nom au sable rouge sur lequel sont bâties ces habitations de fortune. Dans les années 1950, le régime portugais de Salazar décide de renforcer l’implantation portugaise en Angola : il y expédie des soldats soumis à des sanctions disciplinaires et y déporte des prisonniers de droit commun. Employés par l’administration coloniale, ces degradados viennent grossir la population de la capitale, qui connaît alors une véritable explosion démographique.

Une interminable guerre civile Après la guerre de libération, l’Angola accède à l’indépendance le 11 novembre 1975. Mais le départ du dernier soldat portugais coïncide avec le début d’une guerre civile qui durera près de vingt-sept ans, l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita, de Jonas Savimbi) et le Front de libération nationale de l’Angola (FLNA, de Roberto Holden) contestant la prise du pouvoir par le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA, d’Agostino Neto), d’obédience marxiste. Ce conflit particulièrement meurtrier devient l’un des enjeux de la guerre froide : l’Unita et le FLNA sont soutenus par l’Occident et l’Afrique du Sud ; le MPLA, par le bloc soviétique et Fidel Castro. Peu à peu, le FLNA rentre dans le rang, mais l’Unita, qui occupe les quatre cinquièmes du territoire, dont les zones riches en diamants, reste incontournable. Médiations régionales et interventions de la communauté internationale aboutissent à des accords de paix, transgressés à peine signés. Après l’effondrement de l’URSS et la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, l’année 1992 inaugure un processus électoral. Un Parlement de 220 députés (dont 127 représentants du MPLA) est élu. Mais la présidentielle tourne court. Son second tour, qui devait opposer Eduardo Dos Santos, au pouvoir depuis la mort d’Agostino Neto en 1977, à Jonas Savimbi, n’aura pas lieu, ce dernier contestant le résultat du premier scrutin. La guerre reprend de plus belle. Elle fera près de 1 million de morts et plus de 3 millions de réfugiés. L’usage intensif des mines, avec plus de 5 millions d’engins disséminés sur l’ensemble du territoire, mutile des centaines de milliers de personnes et empêche toute activité économique, notamment agricole. Assiégé de toute part, le gouvernement MPLA n’exerce plus son autorité qu’à Luanda et dans sa périphérie immédiate. Il semble au bord de la chute, quand un imprévu change la donne : la découverte d’immenses gisements pétroliers au large des côtes angolaises. Le produit des hydrocarbures rétablit quelque peu l’équilibre militaire entre les belligérants, mais la guerre ne prendra fin qu’en février 2002, lorsqu’une unité des Forces armées angolaises (FAA) réussit à éliminer Jonas Savimbi. Décapitée, l’Unita démobilise ses combattants et se transforme en parti politique.

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La métamorphose de Luanda En juin 2005, Luanda donne l’image d’une ville en pleine mutation. Les recettes pétrolières, qui ont atteint plus de 6 milliards de dollars en 2004, ont relancé de nombreux chantiers. Le BTP, jadis chasse gardée des grandes entreprises portugaises, fait l’objet d’une concurrence effrénée. À Praia do Bishpo, à la sortie sud de la capitale, s’érige un immense complexe résidentiel assorti d’un vaste centre commercial. Des opérateurs sud-africains réalisent un projet hôtelier à l’entrée de la Ilha. Pékin entend, lui aussi, s’arroger une part du gâteau de la reconstruction, accordant un prêt concessionnel, via l’Eximbank chinoise, aux autorités angolaises. Ce prêt donne aux entreprises chinoises accès aux infrastructures, dans un pays où tout est à réaliser, rénover ou restaurer.
Comment expliquer que cet accord financier consenti par l’empire du Milieu suscite à ce point l’enthousiasme du gouvernement, qui dispose tout de même de près de 9 milliards de dollars de revenus annuels (diamants compris) ? Cette euphorie s’explique par les rapports exécrables que Luanda entretient avec la communauté financière internationale. La Banque mondiale et le FMI reprochent à l’équipe du Premier ministre Fernando Dos Santos (sans lien de parenté avec le président de la République) l’opacité des revenus pétroliers et une mauvaise gouvernance. « La corruption sévit à tous les niveaux », note un rapport de l’organisation Transparency International. Les Angolais, qui professent un nationalisme sourcilleux et considèrent leur patrie comme un bien inaliénable, ont tendance à modérer ce jugement : « Il est de plus en plus difficile, pour les hauts fonctionnaires ou les cadres des entreprises publiques, de détourner de l’argent, note Fernando Alvim, artiste indépendant, organisateur de la Triennale de Luanda, un festival consacré à la création africaine. Quant à la petite corruption – celle qui achète la complaisance des policiers, par exemple -, elle est plutôt perçue comme une forme de redistribution de la rente : le salaire d’un agent de la circulation n’excède pas 6 000 kwenzas, soit un peu plus de 60 dollars. » De fait, ce syndrome du sous-développement qui sévit dans la plupart des capitales africaines prend plutôt pour cible l’étranger, qu’il soit pétrolier, diplomate ou simple visiteur, certains barrages routiers, par exemple, visant uniquement les véhicules immatriculés CD (corps diplomatique).
Pourtant, le visiteur qui revient à Luanda après plusieurs années d’absence constatera que la misère a reculé. Si la criminalité persiste, les risques d’agressions nocturnes sont en nette régression. On voit moins d’enfants qui traînent dans les rues. Les condogueiros, les chauffards de taxi-brousse, sévissent toujours, mais les kionomatières, ces femmes cambistes qui agitaient des liasses de billets en pleine rue, ont disparu. Désormais, on change la monnaie dans les supermarchés ou dans des bureaux spécialisés, présents dans tous les quartiers de la métropole.
En septembre 2005, Luanda entrera en campagne : des élections générales sont prévues pour septembre 2006. « L’opinion est convaincue, et elle n’a pas tort, que le vote sera dénué de tout suspense, assure Americo Gonzalves, directeur de rédaction de la Presse indépendante. La victoire du MPLA ne fait pas de doute. Le président Eduardo Dos Santos n’a aucun rival d’envergure et l’opposition se trouve dans un tel état de délabrement qu’il lui sera difficile de prétendre à la majorité au sein du futur Parlement. » Le MPLA semble donc sortir indemne de trente années de pouvoir. « L’usure a plus touché l’Unita, tenue pour responsable de la guerre civile, analyse un diplomate ; alors que le MPLA bénéficie d’un éternel état de grâce en raison de sa victoire militaire. »
Lutte contre la corruption, reconstruction du pays, relance de l’économie… la perspective de ces chantiers immenses ne semble pas entamer l’optimisme des Angolais. « Bien sûr, le quotidien n’est pas facile, avec des coupures d’eau et des délestages de courant électrique à toute heure de la journée, mais les prochaines élections devraient légitimer le pouvoir. Et avec les ressources humaines, minières et pétrolières de ce pays, le nouveau gouvernement n’aura plus d’excuses s’il ne réussit pas à faire décoller l’économie, à améliorer le cadre de vie des Angolais et assainir la gestion des finances publiques », affirme Americo Gonzalves, qu’on ne peut soupçonner de sympathie particulière à l’égard d’Eduardo Dos Santos ou du MPLA. Un point de vue largement partagé par la rue luandaise. « On sait que l’alternance n’est pas pour 2006, mais elle pourrait intervenir dès 2012, si le gouvernement ne fait pas ses preuves. Garder cette possibilité de choix, c’est ce qui sauvera ce pays. » Bref, il n’y aura pas de solution en dehors de la démocratie.
La société angolaise d’aujourd’hui peut-elle être qualifiée de démocratique ? Certainement pas. Les opposants ne peuvent se plaindre d’être victimes d’une répression féroce, mais les services de renseignements constituent toujours une sorte de police politique. « Aucun de mes articles n’a subi de censure, note un éditorialiste de la presse privée, mais j’ai la désagréable impression qu’un oeil me scrute en permanence et que mon téléphone cellulaire est sur écoute. Je m’en accommode et reste persuadé que ces pratiques n’auront plus cours dans quelques années. » En espérant que l’avenir lui donnera raison.

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