Des écrivains sur la Toile

Les blogs se développent à grande vitesse. Anonymes ou écrivains renommés, tous sont séduits par la liberté et l’interactivité que leur offre le cyberespace.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 5 minutes.

L’écrivain congolais Alain Mabanckou aime la palabre. Il l’a prouvé il y a peu avec son roman Verre cassé (Le Seuil), acclamé par la critique comme par les lecteurs. Il le démontre de nouveau en se lançant dans l’aventure du « blog ». Oublié le bon vieux manguier sous lequel on devisait à bâtons rompus aux heures les plus chaudes de la journée ! Désormais, il est possible de discuter en direct sur la Toile, de tous les sujets et sans limite de frontière. Seul prérequis indispensable : posséder un ordinateur et une connexion Internet ou un abonnement au cybercafé le plus proche.
« Blog » : ce n’est pas une onomatopée dégoûtante, mais l’abréviation du mot anglais weblog, que l’on pourrait traduire par « cybercarnet ». Pour l’instant, l’Académie française n’a pas proposé de traduction officielle. Il serait d’ailleurs temps qu’elle se penche sur le sujet, tant la « blogosphère » – le monde des blogs – se développe à grande vitesse sur Internet.
« Blog », « cybercarnet », mais encore ? Ces vocables désignent tout simplement un site Internet plus ou moins élaboré sur lequel tout un chacun, vous comme moi, peut écrire ses pensées du jour et les livrer au cyberespace. C’est-à-dire aux internautes du monde entier. Créer un blog (voir encadré) ne nécessite aucune compétence particulière en informatique et prend environ dix minutes. On peut y raconter sa vie et ses humeurs, montrer ses photos de famille, disserter sur la marche du monde, draguer, protester, raconter des blagues, se passer les nerfs, rédiger des articles… Nombre de jeunes collégiens et collégiennes ont abandonné le bon vieux carnet intime relié pleine peau (et fermant parfois à clef !) pour livrer leurs états d’âme, sans grande pudeur, à quiconque veut bien les lire.
Diaristes dans l’âme, les écrivains se sont vite emparés de ce nouvel instrument et, quoique défenseurs acharnés du livre traditionnel en papier, se sont mis à « bloguer » avec ferveur !
Dans la sphère francophone, l’écrivain français Pierre Assouline et la romancière déjantée Virginie Despentes comptent parmi les pionniers. Le ton du biographe de Hergé et celui de l’auteur de Baise-moi diffèrent bien sûr du tout au tout. Sur La république des livres (http://passouline.blog.lemonde. fr/livres/), Pierre Assouline fait oeuvre de journaliste littéraire dans un langage très direct et très libre. Il commente l’actualité de l’édition, fait part de ses lectures ou de ses agacements. Plus égocentrique, Virginie Despentes raconte sa vie, ses potes, son chien et son travail sur Iloveyouso (sic !) (http://www.20six.fr/despentes). Créer son blog n’a bien sûr rien d’innocent pour un écrivain. Cela lui permet aussi de présenter ses livres et de proposer – pourquoi pas ? – une courte note biographique le concernant. En bref, se faire un peu de publicité : on n’est jamais mieux servi que par soi-même.
Mais ainsi propulsés dans la foule anonyme des internautes, les auteurs qui bloguent avec sérieux sont tenus de répondre aux commentaires « postés » par leurs lecteurs. L’interactivité et la quasi-absence de censure font tout le sel de cette nouvelle forme de palabre. Le dramaturge et écrivain togolais Kangni Alem, auteur de Canailles et Charlatans (Dapper) est un lecteur de blogs assidu. « J’y recherche l’homme. Pas ses idées, mais ses humeurs. Bref, autre chose que sa posture publique. » Et il ajoute : « Autrefois, en Occident, on tenait salon. En Afrique, on tenait palabre. Rien de tout ça ne me branche. Pour moi, le blog devrait être lieu d’échanges décalés et plus risibles. »
La mode du blog ne pouvait pas laisser les écrivains africains indifférents. Alain Mabanckou est le premier à s’être lancé. Son site, Le Blog d’Alain Mabanckou, (www.congopage.com/amabanckou_blog.php3), n’est pas qu’une façade publicitaire destinée à assurer la promotion de ses livres. On y débat, parfois avec rage, parfois dans la sérénité. L’écrivain propose des commentaires personnels que lui inspire l’actualité (« La frustration des noirs du Brésil », « Attention, Michel Houellebecq arrive », « Quand la Belgique expose et révise son histoire coloniale », par exemple) et ses lecteurs lui répondent. La conversation s’envenime quand le romancier congolais évoque… une interview de la Franco-Camerounaise Calixthe Beyala parue dans J. A.I. n° 2327-2328 ! Le débat est enflammé, on frôle parfois l’insulte. Divers intervenants proposent leurs commentaires et combattent à fleurets mouchetés. Il y a là des écrivains connus comme les Togolais Kangni Alem et Sami Tchak (La Fête des masques, Gallimard), le Béninois Florent Couao-Zotti (Le Cantique des cannibales, Le Serpent à plumes), mais aussi des anonymes qui s’abritent derrière un pseudonyme : Boris, Jennifer, Mayombe82, Kissamba, Mpongo ou Enaje.
Pour l’écrivaine sénégalaise Khadi Hane (Le Collier de Paille, Ndzé), « un blog sert à informer les internautes d’une manière ludique et personnelle. L’auteur écrit son point de vue sur un sujet, et nous pouvons réagir sans censure, le critiquer, l’approuver, confronter nos points de vue, raconter nos expériences… Ce qu’un journal ne nous permet pas de faire. » Le romancier togolais Théo Anannissoh (Lisahohé, Gallimard), qui ne goûte guère ce jeu, s’inscrit en faux. Pour lui, le blog est trop familier, « il tue la distance entre l’écrivain et le lecteur ». Pour certains, c’est au contraire une chance : nombreux sont les apprentis romanciers qui viennent chercher conseil auprès de leurs aînés ou demander un avis sur un manuscrit.
Plus nuancée sur la question, la jeune romancière libano-brésilienne Yasmina Traboulsi (Les Enfants de la place, Mercure de France) lit peu de blogs. « Je trouve cela assez narcissique », dit-elle. Et il est vrai que ces « journaux extimes » – l’expression est du romancier français Michel Tournier – tournent souvent autour du nombril de l’auteur. Au point, parfois, de ne pas dépasser le stade de l’autopromotion. Ainsi, les auteurs de polars à succès que sont le Sud-Africain Deon Meyer (www.deonmeyer.com) et le Botswanais Alexander McCall Smith (www.mccallsmith.com) proposent des sites Internet à leur propre gloire, où l’on peut tout savoir de leurs livres et de leur actualité, mais où l’interactivité est bannie. Plus intéressants, les sites du Marocain Tahar Ben Jelloun (www.taharbenjelloun.org) ou du Djiboutien Abdourahman Waberi (http://waberi.free.fr) permettent de faire connaissance avec ces deux auteurs et d’appréhender leur monde. Mais ici aussi, pas de discussion possible. C’est là tout ce qui fait la différence entre un site « vitrine » et un « blog ». Ce dernier demande un véritable investissement en termes de temps et de travail. Khadi Hane le souligne : « Je ne tiens pas de blog. Je n’y ai jamais pensé, et de toute façon, ça doit prendre du temps de le faire et… j’ai trop de boulot ! » La réflexion est juste : si créer son blog est à la portée de tous, l’entretenir, l’alimenter de chroniques nouvelles, répondre aux commentaires, contrôler les dérives de la discussion est un véritable travail qui s’effectue au jour le jour, proche de celui du journaliste. Sans rédacteur en chef ni censure, mais dans le respect des lois. Diffamation ou appel à la haine raciale ne sont pas plus tolérés ici qu’ailleurs, cela va de soi.
Palabres enrichissantes ou logorrhées égocentriques, les blogs sont appelés à prendre une place de plus en plus importante dans notre vie. Au premier trimestre 2005, selon une étude de ComScore Networks, leur audience a fait un bond de 45 % aux États-Unis, attirant 49,5 millions d’Américains. Et c’est évidemment l’actualité et la politique qui séduisent le plus de lecteurs (43 %), loin devant les sujets high-tech (15 %), les blogs féminins (8 %) et les blogs personnels (6 %). Dans ce foisonnement, chacun peut trouver son bonheur, et comme les autres, les écrivains africains peuvent y faire entendre leur voix.

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