Delanoë à qui perd gagne ?

Sa popularité n’a apparemment pas souffert du retentissant échec de la candidature olympique de « Paris 2012 ». À mi-mandat, le maire de la capitale peut encore espérer une éventuelle réélection en 2008. Bilan après inventaire.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 9 minutes.

Après l’échec de la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques de 2012, l’heure des comptes a sonné. Pour la France, bien sûr, pour la capitale, mais aussi pour Bertrand Delanoë, son maire, qui, bien décidé à réussir là où ses prédécesseurs – Jean Tibéri et Jacques Chirac himself – avaient échoué, avait fait de « Paris 2012 » l’une des priorités de son mandat. Et la pierre angulaire de son éventuelle réélection, en 2008. Il est le premier socialiste à diriger de l’Hôtel de Ville depuis la Commune, en 1871…
Sa réaction a été à la mesure de sa déception. Après l’annonce de la victoire de Londres, le « capitaine » de la candidature parisienne a accusé son heureuse rivale d’avoir « franchi la ligne jaune ». En d’autres termes, d’avoir usé de moyens illicites pour convaincre les membres du Comité international olympique (CIO). Dénoncé par la presse française et étrangère, ce manque de fair-play a déçu jusque dans les rangs de sa majorité municipale. Mais sa popularité ne semble pas en avoir souffert. Un sondage Ipsos/Le Point du 20 juillet le plaçait même en tête des hommes politiques français avec 65 % d’opinions favorables, soit sept points de mieux que le mois précédent (il est retombé à 60 % le mois suivant). Cette faveur populaire, il l’explique par « la sincérité » de ses relations avec les citoyens. Et par le bilan de l’action qu’il mène depuis plus de quatre ans.
En mars 2001, lors de sa campagne victorieuse, le candidat Delanoë s’était engagé à restaurer l’éclat de la Ville lumière, singulièrement terni par les « affaires » – du financement occulte du RPR à l’attribution clientéliste des logements sociaux – dans lesquelles la droite s’était engluée. « Aujourd’hui, Paris ne fait plus les gros titres en raison de scandales politico-financiers », se réjouit Pierre Schapira, l’adjoint au maire chargé des relations internationales et de la francophonie.
Sans doute, mais la capitale a-t-elle pour autant retrouvé son prestige international ? L’échec de sa candidature olympique incite à en douter. Pourtant, Delanoë est parvenu à mettre en place une véritable diplomatie municipale, grâce notamment aux réseaux de villes. Il préside l’Association internationale des maires francophones (AIMF), héritée de l’ère chiraquienne, qui rassemble plus de cent vingt métropoles, de Montréal à Hanoi en passant par Tunis ou Lomé, et copréside l’association Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), fondée en mai 2004 à Paris par deux mille cinq cents maires et élus locaux venus du monde entier. Cette dernière pourrait être appelée à devenir le porte-parole des grandes villes, notamment auprès de l’ONU.
Mais les ambitions internationales de Delanoë ne s’arrêtent pas là. Outre qu’il reçoit à l’Hôtel de Ville, comme il est de tradition, les chefs d’État et de gouvernement en visite officielle en France, il multiplie, comme Chirac avant lui, les déplacements à l’étranger. Au Proche-Orient, par exemple, où il s’est rendu en 2003 pour rencontrer Ariel Sharon et Yasser Arafat. En retour, des responsables israéliens et palestiniens ont été reçus l’année suivante dans la capitale française. « C’est le rôle de Paris d’essayer de rapprocher ces communautés », explique Schapira, qui réfute toute accusation de diplomatie parallèle. Dans les rangs de l’opposition municipale, on ironise volontiers sur « l’ego surdimensionné » du maire. Et l’on guette ses « dérapages » – ou supposés tels. L’attribution du titre de Citoyen d’honneur de la ville de Paris à Mumia Abou Jamal, l’ancien militant des Blacks Panthers condamné à mort aux États-Unis au terme d’un procès contesté, a par exemple fait l’objet de virulentes critiques.
Si, en matière diplomatique, l’équipe Delanoë ne rejette pas en bloc l’héritage chiraquien, il n’en va pas de même sur le plan strictement municipal. Là, la rupture se veut complète. Adepte de la « transparence », l’un des maîtres mots de sa mandature, le maire se rend à la fin de chaque année dans les vingt arrondissements de la capitale pour y présenter un compte rendu chiffré de son action. Désormais, plus question de passe-droits ni de vertigineux « frais de bouche ». Des coupes franches ont été opérées dans le budget (téléphone, parc automobile, réceptions) et plusieurs dizaines de millions d’euros économisés. Ce qui a permis de rompre spectaculairement avec l’ère Tibéri tout en envoyant un signal fort aux électeurs. Mais les détracteurs du maire ne voient là que démagogie. Il est vrai que ces économies ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan. Et que le budget – pharaonique – de l’Hôtel de Ville est en constante augmentation. Les dépenses de fonctionnement (plus de 5 milliards d’euros) ont ainsi progressé annuellement d’environ 4 % depuis 2001. Cette dérive budgétaire a valu au maire quelques mises en garde au sein même de sa majorité de « gauche plurielle ».
Autre concept phare de ce mandat : la démocratie de proximité. Tous les Parisiens sont invités à prendre part à la vie de leur ville en rejoignant les nombreux conseils consultatifs qui ont été mis en place. Tous, y compris les cent soixante-dix mille étrangers qui, n’étant pas originaires d’un pays de l’Union européenne, ne bénéficient pas du droit de vote. « Depuis la création, il y a quatre ans, d’un Conseil de la citoyenneté des Parisiens non communautaires, ces derniers ont enfin la parole », explique Khédidja Bourcart, adjointe chargée de l’intégration, elle-même d’origine algérienne. Cette dernière a été chargée par Delanoë de mettre en place une délégation destinée à promouvoir les droits des populations immigrées et à combattre les discriminations. Mission accomplie. « Nous assistons à un vrai changement de politique, dans le discours comme dans les actes », se félicite Aziz Tabouri, sous-directeur de l’association Inter Service Migrant, qui bénéficie désormais d’une subvention municipale. Elle n’est pas la seule. Entre 2003 et 2004, les sommes allouées à ce type d’association ont globalement augmenté de 50 %.
« Paris est une ville fière de son identité, reconnaissante d’avoir été enrichie par les couleurs, les spiritualités, les influences culturelles de l’humanité », aime à répéter, avec un brin d’emphase, Delanoë, qui a passé son enfance à Bizerte, en Tunisie. Au-delà des mots, une série de décisions symboliques ont été prises ou devraient l’être prochainement. Le nom de l’émir Abdelkader, premier résistant à la colonisation et père de la nation algérienne, devrait ainsi être donné à une place de la capitale. Une plaque a par ailleurs été apposée en souvenir des tragiques événements du 17 octobre 1961, au cours desquels près de deux cents Algériens furent tués et jetés dans la Seine par la police française. Préfacier, en 2003, dans le cadre de l’année de l’Algérie en France, d’un livre intitulé Paris arabe, Delanoë convie chaque année les musulmans parisiens à rompre le jeûne du ramadan sous les lambris de l’Hôtel de Ville. Une initiative qui, on l’imagine, est loin de faire l’unanimité.
Mal remise de son échec de 2001, la droite parisienne reste en proie à de graves divisions. Du coup, ses attaques contre la municipalité de gauche n’ont jusqu’à présent rencontré qu’un écho limité. Mais la fin prématurée de l’aventure olympique pourrait changer la donne. D’autant que l’UMP semble bien avoir engagé son « opération reconquête ». Le ton a été donné, au début de l’année, par la publication d’une brochure intitulée Le Paris perdu de Bertrand Delanoë, véritable livre noir dans lequel l’opposition municipale accuse le maire, son équipe et sa politique d’à peu près tous les maux. Delanoë y est dépeint comme l’élu des « bobos », ces « bourgeois bohèmes » de plus en plus nombreux dans une capitale désertée par les couches populaires et même la classe moyenne en raison de l’augmentation vertigineuse des prix de l’immobilier. À quoi l’intéressé – qui ne peut sérieusement être tenu pour responsable de ce phénomène global – réplique que plus d’un quart du budget municipal est consacré au social.
La guerre des chiffres bat son plein. Dans son programme, la gauche plurielle s’était engagée à créer 4 500 places supplémentaires dans les crèches municipales. La mairie affirme aujourd’hui tenir le cap : quelque 2 500 places auraient été créées entre 2001 et 2004. Ce que l’UMP conteste formellement : à l’en croire, ce chiffre doit être divisé par deux, voire davantage.
Par ailleurs, la demande de logements sociaux est en constante augmentation : plus de cent mille dossiers sont, à ce jour, en attente. Pourtant, la mairie construit ou, plus encore, acquiert chaque année quatorze mille nouveaux appartements. Y compris dans les quartiers chic, au nom du principe de la mixité sociale défendu bec et ongles par la majorité. Quel qu’en soit le coût. « C’est un problème insoluble, se lamente un élu socialiste. Nous ne pouvons tout de même pas racheter tous les immeubles parisiens ! » La droite, pour qui cette stratégie est « économiquement délirante », souhaiterait davantage d’investissements dans la construction, quelque peu délaissée, il est vrai, depuis 2001. « Sur les 14 000 logements programmés par la majorité municipale, plus de 9 500 sont le fruit d’opérations de préemption ou d’acquisition. En dehors du fait (passablement ridicule) que ces opérations concernent des logements déjà habités, la politique du tout-acquisition débouche automatiquement sur une hausse de la spéculation immobilière », accuse-t-elle dans son livre noir. Reste à savoir où et comment construire dans une ville qui ne dispose que de très faibles réserves de terrain. Et dont les habitants, consultés dans le cadre du Plan local d’urbanisme, ont rejeté l’idée de bâtir de nouvelles tours.
Au sein même de la majorité municipale, le débat sur le logement fait rage. Les Verts ne cachent pas leur volonté de passer à la vitesse supérieure, tant en matière d’acquisition que de construction et de rénovation. Quitte à augmenter les impôts locaux. Solution que le locataire de l’Hôtel de Ville, qui a parfois du mal à contenir son turbulent allié, se refuse à envisager. Promesse électorale oblige ! Résultat : pour tenir ses engagements, Delanoë est contraint de recourir à l’emprunt.
Autre dossier sensible : les transports. Le vent écologiste qui souffle sur la capitale depuis l’arrivée aux affaires de l’équipe rose-vert-rouge satisfait apparemment la majorité des Parisiens. Mais la politique visant à réduire la place de la voiture, priorité affichée de sa campagne, est loin de faire l’unanimité. Hostile au « tout-voiture », la municipalité est, dans un premier temps, parvenue à réduire de 10 % la circulation automobile – ce qui n’est pas rien. Mais elle semble aujourd’hui résolue à aller beaucoup plus loin. Et c’est là que le bât blesse. De la réduction du nombre (déjà insuffisant) des places de parking dans les immeubles en construction au projet d’interdire (d’ici à 2012) la circulation dans le centre-ville, tout est mis en oeuvre pour décourager les automobilistes. Sans augmentation notable de l’offre de transports publics. Même si la construction de couloirs permet une meilleure circulation des autobus. Et si une ligne de tramway doit être mise en service dans le sud de la capitale, en 2006.
Changer l’image de la ville : tel est bien le leitmotiv de la politique municipale et du concept de « Paris-Village », aux antipodes du développement effréné, voire anarchique, de nombre de mégapoles. L’objectif affiché est d’améliorer la qualité de la vie des Parisiens (notamment de l’air qu’ils respirent) et de « dépoussiérer » la culture en organisant des manifestations festives telles que Paris-Plage ou les Nuits Blanches, dont raffolent les fameux bobos.
« Delanoë a mis en place une politique de paillettes. Paris ne fait preuve d’aucun dynamisme, rien ne se construit, nous sommes dans un processus d’asphyxie », accuse l’UMP Pierre Lellouche, élu du 9e arrondissement et candidat à la primaire qui, l’an prochain, désignera l’adversaire du maire sortant en 2008. À condition, bien sûr, que celui-ci se représente. Force est de reconnaître qu’il manque au Paris de Delanoë un projet de grande envergure qui marquerait son ère. Les jeux Olympiques étaient censés combler cette lacune. Las, le CIO en a décidé autrement !

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