Tunisie : pro et anti loi sur les libertés et l’égalité s’apprêtent à croiser le fer

L’annonce d’un projet de loi sur les libertés individuelles par le président, découlant du rapport Colibe, devrait tomber dans les prochains jours. En attendant, des voix divergentes se font de plus en plus entendre en Tunisie.

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

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Publié le 10 août 2018 Lecture : 4 minutes.

Une manifestante lors de la marche pour l’égalité dans l’héritage à Tunis, le 10 mars 2018. © Reuters
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Droits des femmes : la Tunisie en avance ?

L’annonce du président tunisien Béji Caïd Essebsi d’un projet de loi sur l’égalité dans l’héritage, découlant du rapport Colibe, a eu l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde arabo-musulman. La Tunisie est-elle vraiment en avance sur ses deux pays voisins ?

Sommaire

Toute la Tunisie retient son souffle. Le président Béji Caïd Essebsi devrait annoncer lors de son allocution officielle du 13 août, journée nationale des droits des femmes, le contenu d’un projet de loi sur les libertés et l’égalité, affirme le sérail.

Un projet de loi qui devrait être inspiré du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), créé en vertu d’un décret présidentiel n°111 daté du 13 août 2017.  

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Remis au président à la mi-juin et directement rendu public, celui-ci n’avait pas manqué d’éveiller l’espoir de certains : une trentaine d’ONG, dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme ou l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), avait alors appelé le président à « faire droit aux espérances suscitées » par la Commission, en « donnant suite à ses recommandations ». « Ce rapport est un acte de civilisation, une révolution », avait même affirmé à Jeune Afrique Monia Ben Jemia, ancienne présidente de l’ATFD.

Les propositions de la Colibe englobent plusieurs aspects, comme l’homosexualité, l’égalité dans l’héritage ou les inégalités hommes-femmes au sein de la famille. Mais face à ce projet libéral, la résistance s’organise elle aussi et s’invite dans les rues.

Résistance

Plusieurs manifestations contre le texte ont eu lieu dans des villes comme Gabès, Tataouine et Sfax. Une prière de rue s’est même tenue illégalement sur l’avenue Habib Bourguiba, à l’appel de l’ex-candidat à la présidentielle Hachemi Hamdi, en signe de protestation contre le rapport de la Colibe.

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Une marche est notamment prévue samedi 11 août, à l’appel de la Coordination nationale de défense du Coran, de la Constitution et du développement équitable, dont Noureddine Khadmi, ancien ministre des Affaires religieuses est président. La marche devrait commencer à 9 heures à Bab Saadoun à Tunis et se terminer devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

>>> A LIRE – Tunisie : politiques, milices, imams… Le rapport sur les libertés individuelles et l’égalité fait réagir

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L’homme, en poste sous le gouvernement de Hamadi Jebali en 2012, a opté pour une campagne d’incitation virtuelle. Sur la page Facebook de la coordination qu’il préside, un slogan sous forme de hashtag #non à la fitna (guerre civile), fait office d’appel officiel à la manifestation. Trois messages sont également affichés : « Non à la destruction de la famille, non à l’atteinte à la religion et non à l’infraction à la Constitution ». Des vidéos de militants anti-Colibe ont également été publiées avec ce même slogan en bandeau.

Nous devons sortir et dire non », affirme une militante opposée au rapport

« Aujourd’hui, après toutes ces années de lutte, la nôtre, celle de nos ancêtres, ils veulent de nouveau nous sortir de notre religion. Nous devons sortir et dire non, mille non à ce rapport ! » déclare une militante sur l’une des images.

Interviewé sur les ondes de Shems FM en juin 2018, Noureddine Khadmi avait même estimé que ces réformes sont contraires aux préceptes de l’islam et avait déclaré qu’il demanderait « un avis officiel » des autorités religieuses concernées. « Ce rapport s’oppose à l’identité des Tunisiens telle qu’elle est définie par la Constitution », avait-il notamment indiqué, en référence à l’article 1 de la Constitution, qui stipule que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. »

Contrepoids progressiste

Les supporters du rapport, qui s’étaient fait discrets dans les rues ces dernières semaines, comptent eux aussi les investir prochainement. Neila Charchour, présidente du Conseil national des femmes entrepreneurs à Tunis, a lancé un appel à un soutien populaire au rapport de la Colibe, pour une manifestation devant le théâtre municipal sur l’avenue Habib Bourguiba.

Un lieu symbolique, un hommage à l’héritage bourguibien en matière de droits des femmes selon l’organisatrice, mais aussi une réponse à la prière de rue qui s’y est déroulée la semaine dernière. D’après elle, ces personnes étaient non seulement dans l’illégalité, mais ont également porté atteinte à la religion en priant dans les rues, alors que les prières doivent avoir lieu dans la propreté et le recueillement.

140 associations de la société civile ont répondu favorablement à une action populaire pour soutenir la loi

« Les anti sont dans l’action, nous devons nous aussi nous organiser et affirmer notre soutien », explique Neila Charchour à Jeune Afrique. Au total, 140 associations de la société civile ont répondu favorablement à son action populaire. « Si la société civile ne réagit pas, il n’y aura plus personne en face d’Ennahdha. Nidaa Tounes est en miettes ! » déplore la militante.

Ce rassemblement pour « l’égalité citoyenne de la République tunisienne » se fera principalement en faveur de l’égalité dans l’héritage, dans le but de montrer publiquement aux députés le soutien populaire à cette réforme. Si Béji Caïd Essebsi annonce en effet son projet de loi, ce dernier devra passer par l’Assemblée afin d’être validé.

Deux mouvements sont donc aux antipodes. Pour la Colibe, qui a diffusé son rapport dans le but de provoquer un débat sociétal autour de ces questions, la mission est plus que réussie.

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