Angela Merkel, la revanche de « la petite »

À quinze jours des législatives, la candidate chrétienne-démocrate, une fille de pasteur élevée derrière le rideau de fer, caracole en tête des sondages. Mais le chancelier Gerhard Schröder reste en embuscade.

Publié le 29 août 2005 Lecture : 6 minutes.

Bataille d’affiches, à Hambourg, le 16 août. Il est grand et large d’épaules. Elle est frêle et pâlotte. Il joue les dandys, fume le cigare et fascine les médias. Elle, naguère mal fagotée et coiffée au bol, ne suscitait que leurs sarcasmes. Du coup, elle a renoncé aux talons plats et accepte un soupçon de rouge à lèvres : la chancellerie fédérale vaut bien quelques concessions à la mode !
Lors des législatives du 18 septembre, Gerhard Schröder, champion du Parti social-démocrate (SPD) et chef de la coalition Rouge-Verts, affrontera Angela Merkel, candidate de la très conservatrice CDU-CSU, dans un duel sans pitié.
Pourtant largement distancé dans les sondages, le chancelier sortant compte sur son charisme et, comme lors des élections de 2002, sur un miracle pour changer le cours des événements. De fait, Angela Merkel, qui caracolait en tête depuis le mois de mai, ne cesse de perdre du terrain, desservie par ses piètres prestations publiques et par son projet, très impopulaire, de relever de deux points le taux de la TVA. Le 25 août, les derniers sondages ne créditaient plus la CDU-CSU que de 42 % des intentions de vote (soit un recul de 7 points en deux mois), contre 30 % pour le SPD. Leurs alliés respectifs, les libéraux du FDP et les Verts, se neutralisent, avec respectivement 7 % et 8 % des intentions de vote. Schröder exclut farouchement de s’allier avec le Linkspartei, formé par l’ancien Parti communiste d’Allemagne de l’Est et par des socialistes dissidents emmenés par Oskar Lafontaine (10 %), ce qui ne lui assurerait d’ailleurs pas nécessairement une majorité absolue. Si ces tendances devaient se confirmer, le SPD et la CDU-CSU seraient contraints de former une grande coalition, même si, bien sûr, leurs leaders se refusent pour l’instant à l’envisager.
Ce sera ou tout ou rien, affirmait, le 9 août, une Merkel bien décidée à réformer l’Allemagne en profondeur. Il est vrai qu’avec 5 millions de chômeurs, une croissance atone et un déficit budgétaire abyssal, son adversaire ne peut se targuer d’un bilan glorieux. Prenant acte des revers électoraux de sa coalition (notamment en Rhénanie du Nord-Westphalie, le 22 mai) et de l’hostilité que suscitent ses réformes, Schröder avait décidé de provoquer des élections anticipées dans l’espoir de prendre de court « la petite souris de l’Est ».
« Angie » n’a pourtant rien d’un ange. C’est même un satané petit démon, comme en témoigne son parcours. Car il a fallu un sacré toupet à cette femme venue de l’Est, protestante, divorcée (et vivant, à l’époque, en union libre) pour s’imposer à la tête d’une CDU réputée pour son machisme et pour en imposer à la très catholique CSU, sa branche bavaroise. Il est vrai qu’elle a longtemps vécu à Tremplin, une ville du Brandebourg. Tremplin… ça ne s’invente pas !
Angela Merkel naît le 17 juillet 1954 à Hambourg. Elle est encore un nourrisson lorsque son pasteur de père décide de partir vivre en République démocratique d’Allemagne (RDA), de l’autre côté du rideau de fer, pour partager les souffrances de ses compatriotes placés sous la férule communiste. À Tremplin, les Merkel, suspects de dissidence, vivent en marge. Angela, par nécessité comme par tempérament, veille à ne pas se faire remarquer. Bonne élève, elle est excellente russophone (elle ira même représenter son pays à deux « olympiades », ces concours de langue pour étudiants étrangers organisés en URSS). Elle ne fume ni ne fréquente les boîtes de nuit. Pour sauver les apparences, elle adhère aux Jeunesses communistes et se lance dans des études scientifiques. Car, comme elle le dira plaisamment par la suite, « même sous le socialisme, 2 + 2 font 4 ». Son doctorat de physique de l’université de Leipzig en poche, elle travaille à l’Académie des sciences de Berlin-Est et divorce après trois ans de mariage. En 2000, elle épousera en secondes noces Joachim Sauer, un professeur de chimie dont elle partageait la vie depuis dix-sept ans. Cette anticonformiste n’a pas d’enfants. Bref, on est loin de la règle des « trois K » (Kinder, Kirche, Küche : enfants, église, cuisine) que l’Allemagne traditionnelle prétendait imposer aux femmes.
Angela entre en politique en novembre 1989, lors de la chute du mur de Berlin. Sans être une figure de proue de la dissidence, elle est membre d’une communauté de citoyens, l’Éveil démocratique. Un an plus tard, elle adhère à la CDU et devient la porte-parole de Lothar de Maizière, le dernier Premier ministre de la RDA, qui paraphera le traité d’unification. Élue au Bundestag, elle est remarquée par le chancelier Helmut Kohl. Pour l’Allemagne réunifiée, quel meilleur symbole qu’une femme de l’Est à un poste ministériel ? Kohl confie à celle qu’il surnomme, un brin condescendant, « la petite », celui de la Jeunesse et de la Condition féminine. À 36 ans, Merkel devient la plus jeune ministre de l’histoire allemande. On la croit effacée et timide ? Erreur ! Elle observe et apprend. Ministre de l’Environnement en 1994, elle travaille dur et assoit son autorité. Elle va vite se révéler intelligente, pragmatique, directe, parfois brutale. Elle ne prend pas de gants pour virer son secrétaire d’État, jugé incompétent, et n’hésite pas à se montrer favorable au nucléaire dans un pays qui ne cesse de lui manifester son hostilité.
En 1998, après la défaite de la CDU, Wolfgang Schaüble, le dauphin de Kohl, la propulse au secrétariat général. Les fédérations de l’Ouest tiquent, mais l’heure n’est plus à ce genre de considérations : la CDU est éclaboussée par le scandale. Accusé d’avoir reçu des dons occultes pour alimenter les fonds secrets de son parti, Kohl refuse de livrer les noms de ses « amis ». C’est Merkel qui va lui porter le coup de grâce. En 1999, dans un article publié par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, le grand quotidien conservateur, elle se pose en chevalier blanc et proclame la fin de l’ère Kohl. Elle fait le ménage avec tant de zèle qu’en février 2000 66 % des militants l’estiment capable de donner un nouvel élan au parti.
Elle accède à la présidence de la CDU deux mois plus tard, mais s’efface habilement derrière Edmund Stoiber, le chef de la CSU, lors des législatives, deux ans plus tard. Battu sur le fil par Schröder, celui-ci n’a donc pu, cette année, faire autrement que de lui renvoyer l’ascenseur. Au passage, Merkel a réussi à écarter tous ses rivaux potentiels : Schaüble, bien sûr, mais aussi Friedrich Merz, un brillant expert financier. Même Stoiber, qui a pourtant du mal à se cantonner aux seconds rôles, joue loyalement le jeu. Ce qu’elle doit parfois regretter : en pleine campagne, le Bavarois a commis la terrible gaffe de qualifier ses compatriotes de l’Est de « frustrés » !
Mais Merkel elle-même n’est pas à l’abri des bévues. Le 31 juillet, elle a par exemple confondu publiquement salaire brut et salaire net. Même l’expert de sa propre « équipe de compétences » n’est apparemment pas sur la même longueur d’onde qu’elle à propos de la TVA ! On comprend qu’elle ait prudemment refusé un second débat télévisé avec ce roublard de Schröder ! Lequel a beau jeu d’exploiter cet aveu de faiblesse et de se gausser de son inexpérience…
En matière de politique étrangère, Merkel affirme vouloir restaurer une relation transatlantique mise à mal, lors de la crise irakienne, par la constitution d’un axe Berlin-Paris-Moscou. Du coup, Schröder brandit la menace d’une nouvelle guerre « bushienne », contre l’Iran cette fois, pour dissuader une opinion très majoritairement pacifiste de voter pour son adversaire.
Sur le dossier de l’Union européenne aussi, Merkel a paru tâtonner. Après avoir donné l’impression d’accorder moins d’importance à l’alliance franco-allemande que ses prédécesseurs, puis déclaré que l’Allemagne devait défendre davantage les intérêts des petits pays, elle a choisi pour conseiller diplomatique le francophile Wolfgang Schaüble et s’est employée, lors d’une visite à Paris, à établir de bonnes relations avec Jacques Chirac – pourtant grand ami de « Gerhard » – après avoir plutôt manifesté un penchant pour Nicolas Sarkozy et Tony Blair. Elle qui ne cesse de clamer son hostilité à l’adhésion de la Turquie à l’UE et préconise la mise en place avec « ce pays ami » d’un simple partenariat privilégié pourrait trouver un terrain d’entente avec le président français : ex-fervent soutien d’Ankara, celui-ci a fait volte-face après le référendum français sur la nouvelle Constitution européenne…
Quoi qu’il en soit, Angela Merkel a intérêt à rester vigilante : même si elle s’en rapproche, elle n’a pas encore remporté la chancellerie.

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