Robert Ménard

Secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF)

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Voilà plusieurs années que Robert Ménard ne nous avait rendu visite. Le 22 mai, il s’est arrêté dans les locaux de Jeune Afrique, quelques semaines après la publication du rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF), l’organisation qu’il a fondée et qu’il dirige depuis maintenant vingt et un ans. Le héraut de la liberté de la presse a toujours l’il alerte, le verbe facile et le téléphone à portée de main, lequel n’a cessé de sonner durant la réunion. Le quotidien britannique Times venait de révéler que l’Allemagne, la France et l’Italie auraient versé des rançons pour faire libérer des journalistes enlevés en Irak en 2005. En quelques heures, Ménard a donné une dizaine d’interviews pour expliquer qu’il « n’a jamais vu une prise d’otage se dénouer sans qu’il y ait un échange quelconque ». Il profite de l’occasion pour dire que le plus choquant en Irak – outre que le monde y a perdu « une certaine manière de faire du journalisme », car les reporters sont désormais obligés de se faire escorter d’hommes armés et de voitures blindées -, c’est que trois journalistes irakiens aient disparu et que personne n’en parle.

Or RSF, comme son nom l’indique, défend tous les journalistes. C’est dire si Robert Ménard pratique souvent l’Afrique et ses subtiles nuances. à Oran en 1953 d’une mère native de Tunisie, il connaît parfaitement le Maghreb, même si ses deux pays « d’origine » lui refusent toujours l’entrée sur leurs territoires. Dans sa fameuse liste des « prédateurs de la liberté de la presse », on retrouve un certain nombre de dirigeants du continent, dont Yahya Jammeh, le chef de l’État gambien. Et c’est reparti pour un de ces coups de gueule dont il a le secret. « Nous avons écrit à l’Union africaine [UA] pour leur dire qu’il était inadmissible que le sommet de juillet se tienne à Banjul. Quand on pense que c’est là que siège la Commission de l’UA pour les droits de l’homme » Allusion à l’assassinat, resté à ce jour impuni, du journaliste Deyda Haïdara, en décembre 2004.
Continent « difficile », l’Afrique est aussi celui de tous les échecs : malgré son pouvoir et sa notoriété, RSF n’a jamais obtenu l’ombre d’une enquête sérieuse sur la mort de Norbert Zongo au Burkina Faso ou la disparition de Guy-André Kieffer en Côte d’Ivoire Et Ménard de dénoncer l’immobilisme coupable des dirigeants locaux et européens.
Mais il n’est pas, selon ses mots, « un gauchiste stupide ». « Si la France change de position sur le couple Gbagbo, qui est en tête sur la liste des suspects dans l’affaire Kieffer, c’est peut-être aussi pour éviter de faire couler à nouveau le sang. Je suis conscient que la diplomatie ne peut être conduite uniquement selon le prisme des droits de l’homme. Mais alors, que les gouvernements occidentaux soient honnêtes et qu’ils ne disent pas qu’ils partagent le même point de vue que moi ! »
Sur les abus des journalistes eux-mêmes, Ménard n’est pas dupe. « La moitié de ceux qu’on défend sont de mauvais journalistes. Le problème, c’est d’être en face de régimes qui en font des héros quand ils les mettent en prison. Il faut les sanctionner autrement, c’est ce que je m’escrime à répéter. Mais la prison, c’est inadmissible. On est obligés de les sortir de là. » L’inoxydable Ménard – « L’organisation n’a jamais existé sans moi, comme vous avec Jeune Afrique », lance-t-il malicieusement à Béchir Ben Yahmed – ne se contente pas de dresser la liste de ce qui ne va pas. La Mauritanie, le Centrafrique, la RD Congo, le Congo sont porteurs d’espoir. « Au moins, avec eux, maintenant, on peut discuter. »
À la tête d’un bureau de 25 permanents à Paris, de plus de 100 correspondants dans le monde et d’un budget de 3,5 millions d’euros, Ménard se félicite des très bonnes ventes des albums photo que RSF publie trois fois par an. Que certains le jugent parfois autoritaire ne le choque plus. « D’ailleurs, la faiblesse des journaux et leurs dérives viennent souvent d’une absence de hiérarchie », estime-t-il. À RSF, les communiqués sont relus quatre fois avant d’être publiés. Comme les articles à Jeune Afrique. La liberté des journalistes s’arrête là où commence celle de leurs patrons

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