Qu’attendre de l’Afrique ?

Le continent aligne cinq prétendants à la Coupe du monde de football. L’Angola, le Ghana et le Togo y font leurs premiers pas. La Tunisie croit en ses chances. Mais la bonne surprise pourrait venir de la Côte d’Ivoire.

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Lorsque le 10 juin à 21 heures Didier Drogba donnera, au stade AOL-Arena de Hambourg, le coup d’envoi du match Argentine-Côte d’Ivoire, il pourra se remémorer l’exploit réalisé le 8 juin 1990 par l’avant-centre camerounais François Omam-Biyick face à Diego Maradona et à ses frères, au stade Guiseppe-Meazza à Milan pour le match d’ouverture de la Coupe du monde Argentine-Cameroun. À la 66e minute, Omam-Biyick s’élève très haut pour, de la tête, réceptionner un ballon adressé par son coéquipier Cyril Makanaky et le catapulter sous le ventre du gardien argentin Nery Pumpido. Il marque ainsi LE but historique qui sanctionne la victoire des Lions indomptables (1-0) et annonce une formidable campagne d’Italie.
À Hambourg, Drogba sautera-t-il plus haut que ses garde-corps Roberto Ayala et Walter Samuel et rabattra-t-il le cuir dans la cage de Roberto Abbondanzieri ? Les Éléphants réussiront-ils à effectuer en Allemagne le même parcours que Roger Milla et ses frères en Italie, il y a seize ans ? La Côte d’Ivoire sera-t-elle le premier pays africain à atteindre les demi-finales d’une Coupe du monde ? Si ces questions avaient raison d’être lors du tirage au sort de la phase finale, en décembre, elles passent aujourd’hui au second plan. Avant d’envisager une performance historique à la Fifa World Cup 2006, les Éléphants devront d’abord sortir de leur poule, ce qui serait déjà un sacré exploit. La remarque vaut également pour le Black Star du Ghana, les Palancas Negras d’Angola, les Éperviers du Togo et les Aigles de Carthage (Tunisie), autres ambassadeurs de l’Afrique.
À l’issue des rencontres de qualification qui ont pris fin le 9 octobre 2005, puis, en janvier dernier, après la XXVe Coupe d’Afrique des nations (CAN), Égypte 2006, un vent de pessimisme a soufflé sur le football africain. De nombreuses voix, plus ou moins compétentes, prédisent un Waterloo au Mondial. Certaines affirment avec aplomb que le Cameroun, le Nigeria et le Sénégal auraient mieux représenté l’Afrique ! Il faut dire que les résultats obtenus en Égypte par le Ghana (1 victoire, 2 défaites, 2 buts pour, 3 contre), l’Angola (1 victoire, 1 nul, 1 défaite, 4 buts pour et 5 contre), le Togo (0 point, 2 buts marqués, 7 encaissés) et la Tunisie (2 victoires, 2 défaites, 7 buts pour et 5 contre) n’ont pas été brillants, et que la Côte d’Ivoire, même si elle a disputé la finale, n’a pas pleinement convaincu.
« D’abord, supplie Mister George Weah, accordons notre soutien moral à nos cinq ambassadeurs. Ensuite, ne les jugeons pas sévèrement sur leurs performances à la CAN. Depuis, ils ont eu le temps de corriger leurs erreurs et de mieux se préparer. L’Afrique sera fière s’ils font aussi bien que le Cameroun en 1990 ! » Héros du Mondial 1982, l’Algérien Mustapha Dahleb évite quant à lui les pirouettes et assène : « Soyons clairs, aucun pays africain n’a de réelles chances de l’emporter en 2006 ou en 2010. Encore une fois, l’Afrique, pour réussir, devra miser sur un exploit. » Un point de vue que partage Pape Diouf, le président de l’Olympique de Marseille : « Il ne faut pas s’attendre à une explosion des équipes africaines. L’une d’elles peut aller loin, mais ce serait un accident heureux. Les écarts entre le Nord et le Sud se sont réduits. Il est aujourd’hui plus facile de défendre que d’attaquer. Cela vaut pour les Africains, qui savent désormais se comporter comme les Européens et gommer ainsi la différence de moyens. »
Peut-être un miracle, donc. Mais pas de Waterloo, selon Weah, Dahleb et Diouf. Aucun des cinq représentants africains ne risque de connaître en 2006 le sort des Léopards du Zaïre lors de la Coupe du monde 1974, en Allemagne : 3 défaites, 14 buts encaissés dont 9 face à la Yougoslavie ! À cela, deux raisons. Un, les joueurs qui composent en majorité les effectifs des cinq équipes évoluent dans les championnats européens. Ils en décousent régulièrement avec leurs futurs adversaires du Mondial 2006 et les affronteront sans complexe. Deux, l’aspect purement défensif du jeu n’a plus de secret pour eux. À l’exception des Éperviers, tous se présentent en Allemagne avec des défenseurs costauds, rompus aux duels musclés, capables d’assurer une protection rapprochée de leurs gardiens de but qui seront, à coup sûr, très sollicités.
Ils vont en effet devoir se frotter aux meilleurs goleadores de la planète comme Hernán Crespo (Argentine), Ruud Van Nistelroy (Pays-Bas), Savo Milosevic (Serbie), José Fonseca (Mexique), Miguel Pedro Pauleta (Portugal), Luca Toni (Italie), Milan Baros (République tchèque), Thierry Henry (France), Alexander Frei (Suisse), Fernando Torres et Raúl (Espagne) et autres Andrei Chevchenko (Ukraine). Face à eux, Ali Boumnijel (Tunisie), Jean-Jacques Tizié (Côte d’Ivoire), Kossi Agassa (Togo), Sammy Adjei (Ghana) et João Ricardo Ferreira (Angola) n’appartiennent pas à des clubs européens du top niveau : deux exercent en Tunisie, un en Israël, un autre est réserviste à Metz, et le cinquième est sans club. Alors, il faut s’attendre à ce que leurs entraîneurs dressent devant eux – ils l’ont fait à l’occasion d’Égypte 2006 – de véritables barrages humains.
« La Côte d’Ivoire, explique Bell, a la chance de tomber dans le groupe de l’Argentine, des Pays-Bas et de la Serbie. Elle va affronter des adversaires qui ne lui demanderont pas son avis pour faire le jeu. Elle prendra des coups bon gré mal gré. Elle sera amenée à serrer les rangs, à se défendre, puis à essayer de trouver des espaces pour contre-attaquer. Son jeu se mettra en place pour peu qu’elle n’encaisse pas un but très tôt. » Et d’ajouter : « Le Ghana, l’Angola et le Togo ne surprendront pas. Ils vont à la Coupe du monde pour la première fois, avec la peur au ventre comme le Cameroun en 1982. Cette peur les incitera à opter pour une tactique qui puisse leur permettre de résister à des adversaires supposés plus forts qu’eux. »
Le football africain aborde par ailleurs le Mondial 2006 sans avoir réglé son problème de complexe vis-à-vis de l’Europe. Il continue à faire appel à des entraîneurs européens (les Français Henri Michel et Roger Lemerre encadrent respectivement la Côte d’Ivoire et la Tunisie ; le Serbe Ratomir Dujkovic, le Ghana ; et l’Allemand Pfister, le Togo). Ceux-ci sont dépositaires de schémas tactiques reconnus sur le Vieux Continent, mais qui ne correspondent pas toujours aux aspirations de leurs joueurs. Or, pour espérer réellement progresser, il est indispensable de trouver un style propre, susceptible de donner la pleine mesure à ses qualités spécifiques.
« Pour l’instant, commentait Jean-Marc Guillou, le formateur des Académiciens ivoiriens [la sélection en compte dix], après Égypte 2006, les footballeurs africains donnent l’impression de jouer les uns après les autres. Le jeu collectif ne fonctionne pas, n’a aucune fluidité ; la fraîcheur du jeu à l’africaine, la créativité ne peuvent s’exprimer totalement. De plus, l’exode massif des joueurs vers l’Europe sert et dessert à la fois le foot africain. D’un côté, le fait d’évoluer dans des équipes tactiquement au point, et d’avoir une approche professionnelle des matchs leur permet de s’aguerrir, de gagner en concentration et en constance. De l’autre, le risque est grand que certains d’entre eux perdent leur spécificité, et que, dès lors, l’identité de la sélection nationale en pâtisse.
Le foot moderne nécessite à la fois de posséder une force physique importante (tonicité, vitesse) et une imagination, une créativité dans le jeu. Le foot africain possède ces qualités qui, une fois exploitées, pourraient lui permettre de briller. » Les cinq représentants de l’Afrique au Mondial 2006 se lâcheront-ils ou feront-ils uniquement dans la résistance ? Réponse dès le 10 juin.

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