Algérie – Adib Bencherif : « Les jihadistes gardent une forte capacité de nuisance »
Le 31 juillet, sept soldats algériens étaient abattus et une quinzaine blessés après une embuscade de jihadistes à Azzaba, dans le nord-est. Assiste-t-on à une recrudescence jihadiste dans le nord algérien ? Explications avec Adib Bencherif, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’université du Québec (Montréal).
Jeune Afrique : Le phénomène jihadiste connaît-il une deuxième jeunesse dans le nord algérien ?
Adib Bencherif : Une recrudescence pouvait être constatée à l’été 2011, à la suite de la chute du régime Kadhafi. On se souvient du double attentat-suicide contre l’Académie militaire de Cherchell. Les armes en provenance de la Libye ont augmenté les capacités du groupe. Dès avril 2011, certains analystes observaient une forme de relâchement des forces de sécurité algériennes, le maillage s’était desserré parce que les autorités pensaient que le gros de la crise jihadiste était passé. On peut donc parler de recrudescence immédiatement après la chute de Kadhafi et l’instabilité qui a suivi.
Toutefois, l’armée algérienne est globalement dans un continuum d’opérations de ratissage. Ces opérations dans le nord-est sont assez régulières, et participent à l’affaiblissement progressif de ces groupes liés à Al-Qaïda. Mais je ne parlerais présentement ni de recrudescence ni de « terrorisme résiduel ». Il s’agit d’une guerre asymétrique sur un terrain accidenté, donc les forces d’intervention algériennes peuvent se trouver dans des situations délicates, comme dans le cas de l’opération de ratissage dans la wilaya de Skikda, à Azzaba. Le mouvement s’affaiblit progressivement dans le nord, mais le concept de « terrorisme résiduel » – employé de longue date maintenant – nous empêche de penser le phénomène. Les jihadistes gardent une forte capacité de nuisance.
Les populations et les forces de sécurité algériennes collaborent bien plus qu’au cours des années 1990
Dans le nord, a-t-on affaire à des cellules dormantes ou bien s’agit-il de territoires mal contrôlés par l’État ?
C’est plus complexe que cela. Les groupes jihadistes peuvent bénéficier de réseaux sociaux pour se développer dans des milieux radicalisés ou hostiles à l’État. C’était le cas au cours des années 1990 et au début des années 2000. C’est nettement moins le cas maintenant, comme en témoignent les élans de solidarité des populations algériennes à l’endroit de l’armée après les pertes subies suite à l’épisode d’Azzaba. Les populations et les forces de sécurité algériennes collaborent bien plus qu’au cours des années 1990. Ils demeurent des réseaux, mais ils sont bien moins développés qu’au cours des décennies passées.
Il ne faut pas surestimer les capacités organisationnelles de ces groupes
Quels sont les liens avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le Sahel ? Peut-on parler de jonction entre les « fronts » algérien et tunisien ?
C’est difficile à dire. Il ne faut pas surestimer les capacités organisationnelles de ces groupes. Il y a des collaborations, des communications et éventuellement une coordination ponctuelles qui s’expliquent par des contraintes environnementales similaires. Ces collaborations sont vraisemblablement similaires, mais d’une bien moindre ampleur que celles observées avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui opère au Sahel.
Sur le terrain, Daesh n’est pas en mesure de s’implanter, ni à court terme ni à moyen terme, dans le nord algérien
Daesh a-t-il l’ambition de s’implanter dans le pays ?
Il y a déjà eu des tentatives, dont, en 2014, la défection en faveur de Daesh de l’émir Abdelmalek Gouri, qui créera le Jund al-Khilafa. Il y a aussi eu des débats au sein de la sphère jihadiste algérienne.
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Quand on échange avec des officiels algériens, la menace de Daesh est considérée et présente dans leurs discours. Mais sur le terrain, Daesh n’est pas en mesure de s’implanter, ni à court terme ni à moyen terme, dans le nord algérien. Les groupes terroristes en Algérie semblent vouloir conserver leur affiliation à Al-Qaïda pour des raisons historiques.
Il convient de parler de « jihad glocal » : la rhétorique est globale, mais les référents culturels sont locaux
La logique d’Aqmi en Algérie est-elle globale ou locale ?
Ni l’un, ni l’autre. Des tensions ont existé tout au long de son histoire sur cette question. Aqmi est sorti d’un paradigme strictement national en Algérie avec l’actuel émir Abdelmalek Droukdel. Toutefois, si la rhétorique du groupe réfère souvent à un jihad d’ordre global, le groupe est ancré dans des réalités locales, des réseaux sociaux locaux et continue d’opérer en Algérie, tout en se développant au Sahel et en essayant de trouver des connexions en Afrique du Nord. Dans la continuité du chercheur Jean-Luc Marret, il convient de parler de « jihad glocal ». La rhétorique est globale, mais les référents culturels sont locaux, comme la désignation de la France en ennemi héréditaire.
Dans le nord algérien, Aqmi a vraisemblablement beaucoup de difficultés à recruter
Le leadership d’Aqmi réagit aux contraintes et opportunités sur le terrain. Leur projet en termes d’espace politique est très mouvant. Il y a eu par exemple un projet islamique de l’Azawad lors de la conquête du Nord du Mali en 2012 et de la collaboration des groupes jihadistes Aqmi, Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, ndlr] et Ansar Eddine. Mais on ne peut parler de stratégie de conquête de territoires, il s’agit davantage d’opportunités concrétisées.
Dans le nord algérien, elles ne se sont jamais réellement présentées. Aqmi y est clairement déconnecté des populations, ce qui est moins vrai dans le Sahel, où ils ont d’importants relais et d’importants réseaux, notamment au sein de certaines tribus. Dans le nord algérien, Aqmi a vraisemblablement beaucoup de difficultés à recruter. Au mieux, parviennent-ils à renouveler leurs effectifs.
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