Égalité dans l’héritage en Tunisie : la gauche partagée
Si plusieurs voix se sont félicitées du discours présidentiel annonçant la présentation prochaine d’une loi sur l’égalité dans l’héritage à l’Assemblée, chez les progressistes, beaucoup disent leur frustration devant une réforme annoncée qu’ils estiment insuffisante.
Béji Caïd Essebsi a lancé un nouveau chantier ce 13 août, lors de son discours prononcé à Carthage à l’occasion de la fête des droits de la femme, devant un parterre essentiellement féminin. Le président de la République a assuré qu’il proposerait dans les semaines qui viennent un projet de loi établissant l’égalité dans l’héritage. La décision fait suite à la publication, en juin 2018, du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), qu’il avait lui-même commandé.
Frustration à gauche
Pourtant, dans le large camp progressiste, certains se disent déçus. Nadia Chaabane, militante du parti de gauche Al Massar et ancienne élue à la Constituante, reproche au président de ne pas s’être engagé sur un calendrier et de n’avoir pas abordé la question de la suppression de la dot, ni de l’instauration de l’autorité parentale partagée, inscrit dans le Code du statut personnel (CSP). Des points pourtant soulevés par la Colibe. Si Chaabane souligne son soutien à une Colibe attaquée par un camp conservateur, elle juge également que « la commission aurait peut-être dû se montrer plus directe. »
Pour elle, comme pour beaucoup de voix à gauche, le rapport de la Colibe n’a pas été assez ferme dans ses préconisations, laissant la porte ouverte à de trop nombreuses interprétations défavorables à une égalité réelle et partagée. Plutôt que de proposer uniquement l’adoption d’une loi s’appliquant à tous, le rapport a ainsi proposé de laisser le choix à l’héritière et au testateur – l’auteur du testament – de renoncer au principe de l’égalité.
À chaque fois qu’on laisse place à l’exception, celle-ci se fait toujours au détriment de l’égalité homme-femme
Une erreur, selon l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), principale organisation féministe du pays. Yosra Frawes, sa présidente, se félicite de la présentation qu’une telle loi soit bientôt présentée devant l’Assemblée, mais elle s’avoue « frustrée ». Elle aussi attendait l’annonce d’une loi catégorique sur l’égalité successorale, ne laissant aucune place à l’exception, et n’a pas compris que, dans son allocution, le président insiste sur la possibilité pour ceux qui le veulent de continuer à organiser leur héritage selon un référentiel religieux. « L’histoire de la législation tunisienne démontre qu’à chaque fois qu’on laisse place à l’exception, celle-ci se fait toujours au détriment de l’égalité homme-femme. »
>>> A LIRE – Tunisie : manifestation contre l’égalité successorale et d’autres réformes
Pour Jilani Hammami, cadre du Front populaire, coalition d’extrême-gauche, « le président semble craindre ses partenaires d’Ennahdha. Il s’adresse autant à eux qu’aux femmes ou aux forces progressistes dans son discours. »
Une avancée, mais jugée insuffisante
Même Fadhel Achour, imam et secrétaire général du syndicat des cadres religieux, dit sa déception. « Nous attendions une prise de position audacieuse et historique, nous avons eu droit à une position purement politique », souffle-t-il. À ses yeux, le président est resté « flou ». « Il faut cesser de craindre les confrontations et le mécontentement d’une partie de la population. L’État devrait montrer l’exemple et être un rempart aux rétrogrades », conclut-il.
Le rapport de la Colibe est une base parfaite de réforme. Nous allons le défendre
Toutes les voix progressistes ne sont cependant pas aussi critiques. « On n’avance pas aussi vite qu’on l’aurait voulu, mais on avance. Et on avancera », écrit sur Facebook l’ancienne présidente de l’ATFD, Monia Ben Jémia.
>>> A LIRE – Égalité femmes-hommes : l’autre révolution tunisienne
La manifestation du 13 août, organisée sur l’avenue Bourguiba, a montré que certains ne se cantonneront pas à soutenir le projet de loi présidentiel. La présidente de la Colibe, Bochra Bel Haj Hmida, était là, sur l’avenue Bourguiba. Autour, parmi les milliers de présents, de nombreux défenseurs des droits des homosexuels exigeaient notamment l’arrêt des tests anaux. Une proposition qui figurait d’ailleurs dans les recommandations de la Colibe, mais que Béji Caïd Essebsi s’est abstenu d’aborder.
La manifestation a finalement été l’occasion pour une frange du camp progressiste d’exiger davantage des réformes. « Le rapport de la Colibe est une base parfaite de réforme. Nous allons le défendre », lâche encore Hammami.
Le rapport, certes, a été commandé par la présidence, mais ses conclusions sont publiques. Des députés pourront donc s’en servir, à la rentrée parlementaire, pour élaborer des projets de loi, afin de faire pièce à la proposition de loi du président.
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