La (fausse) bataille du siège

La Banque a jugé la situation à Abidjan toujours trop précaire pour réinvestir ses locaux en Côte d’Ivoire. Combien de temps attendra-t-elle encore ?

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

La question du retour de la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan a, bien évidemment, été à l’ordre du jour des assemblées annuelles de Ouagadougou (17-18 mai). La présence du Premier ministre ivoirien, Charles Konan Banny, a donné à la question une tonalité particulière, mais l’autorité suprême de la Banque – son conseil des gouverneurs – est restée de marbre : le moment n’est pas encore venu de retourner au siège, a-t-il estimé, en se donnant un nouveau délai d’observation d’un an jusqu’aux prochaines assemblées, lesquelles se tiendront les 16-17 mai 2007 à Shanghai, en Chine populaire (l’un des 24 pays membres non régionaux de la banque).
Telle est la décision rendue publique le 18 mai au soir dans la capitale burkinabè. Mais quelle est la teneur exacte de la résolution adoptée par le conseil des gouverneurs, comment a-t-elle été prise, et quelles sont les conditions d’un retour ?
La situation dans la capitale économique ivoirienne – et dans l’ensemble du pays – a fait l’objet d’un rapport détaillé d’une trentaine de pages recto verso comprenant l’analyse propre de la Banque ainsi que les recommandations des Nations unies et du Groupe international de travail (GIT).
D’abord les faits : la BAD a dû quitter son siège à Abidjan, par étapes, entre février et mars 2003, à la suite de la détérioration de la situation sécuritaire. Le siège provisoire de Tunis, choisi dès 2002 après une procédure de sélection très sévère et transparente, n’était pas prévu pour accueillir l’ensemble du staff de la Banque. Il devait seulement permettre d’assurer la continuité des opérations avec, au maximum, une équipe de 400 personnes (le tiers du personnel). C’est à la suite de la décision, le 6 février 2003, des Nations unies de décréter « le plan rouge » (l’insécurité ayant atteint un degré jugé intolérable) que le conseil d’administration de la BAD s’est résolu à un transfert partiel de l’équipe et des données informatiques. Une semaine plus tard, le comité consultatif des gouverneurs, réuni les 17 et 18 février à Accra, ordonne dans la plus grande discrétion le transfert total du personnel à Tunis, Dakar, Accra et Paris. Le 3 juin 2003, à Addis-Abeba, il approuve ce transfert et le codifie : la durée de la relocalisation à Tunis est fixée à vingt-quatre mois minimum, avec une révision annuelle de la situation, le retour « ordonné et planifié » à Abidjan se faisant « un an après la décision ». Aux assemblées de Kampala (mai 2004) et d’Abuja (mai 2005), les gouverneurs ont, à chaque fois, prolongé le maintien à Tunis d’un an.
De mai 2005 à mai 2006, plusieurs changements sont intervenus : d’abord l’arrivée à la tête de la Banque d’un nouveau président, le Rwandais Donald Kaberuka ayant succédé au Marocain Omar Kabbaj, le 1er septembre 2005. La Côte d’Ivoire a eu un nouveau Premier ministre, Charles Konan Banny (4 décembre 2005) et un nouveau gouvernement de transition (28 décembre 2005). Mais les espoirs d’une évolution positive se sont heurtés, constate le rapport de la Banque, à la résurgence des violences les 16 et 19 janvier 2006. Des bâtiments de l’ONU et d’organisations humanitaires ont été pris pour cible. Pour constater les choses de visu, le président de la BAD se rend – avec une équipe pluridisciplinaire – à Abidjan (6-7 mars). Il a des entretiens avec le chef de l’État, Laurent Gbagbo, le Premier ministre, les membres du gouvernement, plusieurs diplomates et des représentants du secteur privé ivoirien. Une seule décision est prise : la reconstitution d’un comité de dialogue BAD-Côte d’Ivoire et la promesse du gouvernement ivoirien de préserver le siège où un personnel restreint (73 agents) veille à la sécurité et à l’entretien des locaux. Kaberuka quitte le pays non sans rappeler la position de la Banque : « Nous souhaitons revenir en Côte d’Ivoire dès que les conditions de paix et de sécurité seront réunies : réunification du pays, désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants ; élection présidentielle crédible et stabilité politique. »
Le 18 mai 2006, les gouverneurs entérinent cette position en réaffirmant – fait nouveau – que le siège de la Banque demeure à Abidjan, en prenant note de l’amélioration de la situation, mais en jugeant que cette embellie n’est pas suffisante pour ordonner un retour à Abidjan. « La situation politique est volatile. » Une seule voix a protesté – celle du délégué américain, Ahmed Saeed. Il estime que le maintien à Tunis n’est pas une solution et demande un réexamen complet de la question avant la fin de l’année 2006 en vue d’une décision « définitive » en mai 2007. Selon lui, la Banque gagnera en efficacité une fois installée dans un pays d’Afrique subsaharienne Ce qui est contraire aux statuts (article 39) qui fixent le siège dans un « État membre régional » (africain), sans exclure le nord ou le sud du continent. Le choix d’Abidjan s’est fait à l’unanimité des gouverneurs lors de leur première assemblée à Lagos, en novembre 1964. Pour modifier un tel choix, ces derniers devraient voter pour à une majorité d’au moins 70 %. Pour l’Afrique, comme pour Jeune Afrique, le siège permanent de la BAD est et demeure Abidjan. Il y va de l’intérêt de la Banque et de son avenir.

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