Hakim Ben Hammouda : « Samir Amin restait pour beaucoup le plus grand intellectuel du Sud »
L’économiste tunisien et ancien ministre de l’Économie et des Finances a rencontré Samir Amin lorsqu’il rédigeait sa thèse de doctorat. Il revient pour Jeune Afrique sur l’empreinte qu’a laissé l’intellectuel franco-égyptien décédé le 12 août sur les intellectuels africains, de l’historien sénégalais Mamadou Diouf au philosophe camerounais Achille Mbembe.
Avant d’être ministre tunisien de l’Économie et des Finances (2014-2015), l’économiste Hakim Ben Hammouda a fait une carrière de haut-fonctionnaire international, d’abord au Pnud, puis à la Commission économique pour l’Afrique, à l’Organisation mondiale du commerce et à la Banque africaine de développement. Sa première rencontre avec les idées de Samir Amin remonte à la fin des années 1980. Il revient pour Jeune Afrique sur l’importance des théories de l’intellectuel, à la fois dans son parcours, mais également pour l’ensemble de la scène intellectuelle du continent.
Jeune Afrique : Où et quand avez-vous rencontré Samir Amin ?
Hakim Ben Hammouda : À la fin des années 1980, à Paris, quand j’écrivais ma thèse en économie. La théorie de la dépendance perdait de son influence, mais il restait pour beaucoup le plus grand intellectuel du Sud. Et nous avions tous lu sa thèse sur l’accumulation à l’échelle mondiale. Par la suite, dans les années 1990, il m’a commandé des livres : il avait un pied dans l’édition via la collection Forum du tiers-monde, et j’ai écrit sur l’Afrique du Nord.
Il a eu une grosse influence sur les jeunes économistes africains ?
Une influence énorme, et pas qu’en Afrique. Il a influencé de grands économistes comme le Brésilien Celso Furtado ou l’Américain Immanuel Wallerestein… Quand il a pris la tête de l’Institut africain de développement économique et de planification (IDEP), une institution panafricaine créée en 1962 par les Nations unies, il a accueilli tout ce que le continent comptait de jeunes intellectuels.
Au tournant des années 2000, Samir Amin est revenu en force, à l’aune du mouvement altermondialiste
Des anciens de l’IDEP ont par la suite rejoint des gouvernements, des institutions internationales… Puis il y a eu les « années PAS », les programmes d’ajustement structurel. Même les institutions internationales ont cessé de faire de la place à ceux qui, comme Amin, plaçaient la critique très haut et le Sud au centre de leur réflexion.
Mais au tournant des années 2000, Samir Amin est revenu en force, à l’aune du mouvement altermondialiste. Et sa pensée a continué à influencer une nouvelle génération d’intellectuels. L’historien sénégalais Mamadou Diouf et le philosophe camerounais Achille Mbembe, par exemple, ont été inspirés par Samir Amin, même s’ils sont sortis du cadre très résolument marxiste qui était le sien.
Si son influence dépasse l’économie, c’est qu’il était très savant, il ne se passait pas un jour sans qu’il aille au cinéma ou ne lise un roman. Et si son influence dépassait l’Afrique, c’est qu’il était un créateur de réseaux d’où observer le monde depuis le Sud. De manière plus récente, il a participa à la création d’Enda Tiers-monde, bien implanté en Asie du Sud ou au Brésil.
Samir Amin n’a jamais fait de séparation entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord ?
Je pense que pour lui, cela coulait de source que le Maghreb est une région africaine. Samir Amin était favorable à l’unité arabe, certains de ses travaux en témoignent. Mais il était aussi un Égyptien qui a passé une grande partie de sa vie à Dakar, a été conseiller du gouvernement malien… Et au Caire, il a participé à l’ouverture d’un Institut d’études africaines.
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