En attendant les fruits de la paix

L’intégration des ex-combattants est au point mort, la date des élections législatives et présidentielle pas encore arrêtée, la normalisation politique loin d’être acquise… Quatre ans après la fin de la guerre civile, le pays est sorti du conflit sans v

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 9 minutes.

Le 4 avril 2006, l’Angola commémorait le quatrième anniversaire de la signature du mémorandum de paix, qui a mis fin à la guerre civile. Avec des sentiments mitigés : certes, la cessation des combats est une réalité. Mais le processus de paix, tel qu’il a été voulu par les Accords de Lusaka de 1994 – et dont ledit mémorandum est officiellement un complément – peine à se hisser au-dessus des proclamations d’intention. Problème de fond qui n’empêche pourtant pas le pays d’évoluer, même si ce n’est qu’à petite vitesse. Affichant un taux de croissance exceptionnel, l’Angola profite, à l’évidence, d’un retour de la confiance et d’une nette reprise de ses activités économiques.
Le processus de paix, long et complexe, il est vrai, marque le pas. L’intégration des anciens combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) est quasiment au point mort, condamnant à une survie aléatoire des dizaines de milliers de familles d’anciens soldats. La normalisation de la vie politique est loin d’être acquise : quatre ans se sont écoulés depuis la signature du mémorandum sans qu’une date précise ait été fixée pour des élections législatives et présidentielle, en stand-by depuis 1992. La Commission nationale électorale a été mise en place et la loi électorale votée puis promulguée par le chef de l’État, mais le recensement électoral n’a pas commencé.
Le pays se retrouve donc en équilibre entre deux époques : celle, à l’évidence révolue, du parti-État, bien qu’il ne soit plus question d’une révision de la Constitution et que les symboles de l’État (drapeau, hymne) demeurent, comme dans les années 1970 ou 1980, ceux du parti au pouvoir, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). Et l’autre, dans laquelle le pays n’est pas encore vraiment entré, c’est celle de l’ouverture politique pleine et entière, qui autoriserait véritablement les partis d’opposition et la société civile à s’exprimer sans contraintes. Bien sûr, les choses ont beaucoup changé depuis la mort de Jonas Savimbi, en février 2002, mais les quatre années écoulées sont loin d’avoir permis l’émergence d’un Angola conforme aux Accords de Lusaka, complétés par le texte du 4 avril 2002. L’ancienne rébellion, devenue parti politique, est naturellement la première à le déplorer.
Force est de constater, en effet, que le gouvernement dit de réconciliation nationale (Gurn) demeure sous la domination exclusive du parti au pouvoir et que l’Unita ne semble en faire partie que pour mémoire : avec seulement quatre ministres, sept vice-ministres, six ambassadeurs, trois gouverneurs et quelques administrateurs locaux – dont certains n’ont jamais été investis dans leurs fonctions -, l’ancien mouvement de Jonas Savimbi ne fait guère que de la figuration. Il est vrai qu’il en est partiellement responsable, du fait des graves divisions internes qui l’affectent depuis la mort de son leader historique. Aussi la célébration par l’Unita, le 13 mars 2006, du quarantième anniversaire de sa création, était-elle teintée d’une forte amertume : si l’ex-rébellion s’est révélée incapable de faire respecter par le pouvoir les conditions de l’intégration de ses anciens combattants et de ses cadres, si elle a perdu la bataille de la révision constitutionnelle et de la mise à jour des symboles de l’État, si elle n’a pu placer que deux représentants au sein de la Commission nationale électorale sur un total de onze commissaires, ce n’est pas seulement parce que le parti au pouvoir a su lui tenir la dragée haute. C’est parce que ses moyens financiers sont trop faibles pour qu’elle puisse s’affirmer et mener une stratégie de contestation politique sérieuse. Mais c’est aussi parce que ses soixante-dix députés à l’Assemblée nationale sont divisés en plusieurs courants : ceux du président actuel de l’Unita Isaias Samakuva, d’Abel Chivukuvuku, de Eugenio Manuvakola et de Paolo Lukamba « Gato ». C’est enfin parce que, depuis le Congrès de mai 2003 qui, dans des circonstances historiques difficiles, désigna, en la personne d’Isaias Samakuva, le successeur de Jonas Savimbi, le parti subit les effets déstabilisateurs d’une contestation de leadership, qui ne cesse de croître.
Dans de telles conditions, le temps de l’alternance au profit de l’Unita semble bien éloigné, même si, comme le fait observer l’un de ses cadres, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ni confondre un problème de leadership avec un affaiblissement de la base ou une perte d’influence dans le pays ». D’autant que le deuxième parti historique de l’opposition, le Front national de libération de l’Angola (FNLA) n’est guère en meilleure santé : toujours dirigé par son fondateur Roberto Holden, un des pères de l’indépendance du pays avec Agostinho Neto et Jonas Savimbi, ce parti se trouve aujourd’hui totalement paralysé par ses divisions internes. Une réunion de son Comité central a été organisée à la mi-mars contre l’avis de son président en exercice, et un président par intérim a été nommé, Lucas Ngonda, ancien vice-président, ce qui fait du FNLA un parti avec deux directions en conflit. Il est présent à l’Assemblée nationale avec cinq députés, mais il se montre incapable d’organiser un congrès pourtant indispensable s’il veut aboutir à une réconciliation interne et envisager sérieusement l’avenir.
Le parti au pouvoir tient, certes, tous les leviers de commande, mais il n’affiche pas pour autant une vie intérieure plus brillante que celle de ses rivaux. Depuis la fin de la guerre, il ne suit qu’une seule ligne : celle de son président, José Eduardo Dos Santos, devenu tout-puissant. La mort de Jonas Savimbi a permis à celui-ci de mettre tout le monde au pas et d’en finir une bonne fois avec les tendances et les velléités de frondes. Au MPLA, désormais, on s’aligne, le petit doigt sur la couture du pantalon. Le temps n’est plus où le chef de l’État laissait entendre qu’il ne solliciterait peut-être plus de nouveau mandat, en déclarant : « il faut que le parti se cherche un candidat pour les prochaines élections présidentielles ».
Fallait-il donc comprendre qu’il ne l’avait pas encore trouvé ? L’ancien Premier ministre Lopo de Nascimento osait alors avancer sa propre candidature, tandis que l’ancien secrétaire général du parti, Marcolino Moko, ne se gênait pas pour contester les orientations du régime. Depuis, tous deux ont été exclus du parti, et s’ils ont bien été réintégrés et siègent encore à l’Assemblée nationale, ils ne font plus partie de ses instances dirigeantes. Le MPLA semble réduit à un parti de muets, dont le secrétaire général et le vice-président sont devenus invisibles alors que le porte-parole en titre s’exprime mais ne dit rien.
Le fait est qu’en concentrant tous les pouvoirs à Futungo de Belas, le palais présidentiel, José Eduardo Dos Santos se trouve aujourd’hui seul maître à bord. À la tête d’une équipe de collaborateurs dévoués, il est chef de l’État, chef du haut commandement des armées et même chef de gouvernement puisque le Premier ministre n’est guère, constitutionnellement, que le premier des ministres. La disparition de Savimbi a levé toutes les hypothèques et dégagé l’horizon, tandis que les ressources de l’État, grâce au pétrole et au diamant, assurent à José Eduardo Dos Santos une confortable marge de manuvre, aussi bien vis-à-vis de l’intérieur que de l’extérieur et autant politiquement que financièrement. C’est ainsi que les élections générales, initialement envisagées pour 2006, ont été reportées à plus tard, du seul fait d’une petite phrase prononcée par le chef de l’État en janvier 2006, à l’occasion de la réunion du comité central du MPLA : « Il faut préparer les élections, a dit en substance le président Dos Santos, mais celles-ci ne pourront se tenir aussi longtemps que les routes, les ponts et les voies ferrées n’auront pas été réhabilités. »
La question aurait pu donner matière à débat, sinon à l’Assemblée, du moins au sein du parti. Ainsi que celle de la désignation d’un candidat à la prochaine présidentielle. Au lieu de quoi, on entendit simplement le Premier ministre Fernando da Piedade Dias Dos Santons déclarer, le jour de l’investiture, à Lisbonne, du nouveau président du Portugal, que « José Eduardo Dos Santos (était) le candidat naturel du parti ».
La société civile ne s’exprime pas davantage. Ce sont les dernières années de la guerre, lourdes des horreurs accumulées, qui ont permis l’émergence de ses premiers acteurs, en l’occurrence les Églises, lesquelles n’ont pas seulement pris la parole mais se sont aussi impliquées dans les événements. À présent que la guerre est finie, il en va tout autrement : logées à la même enseigne que les autres ONG ou associations, les Églises n’osent pas s’engager dans le champ du politique. Elles travaillent, pourtant, et même de plus en plus, mais en se cantonnant aux questions humanitaires, lesquelles, il est vrai, ont de quoi les préoccuper : le retour et la réinsertion des réfugiés, des déplacés – sans doute encore au nombre d’un million -, le sort des anciens combattants, celui des paysans confrontés au terrible problème des mines antipersonnel ; autant de défis à relever. Sans parler des problèmes de santé publique, de transport, d’éducation ou du calvaire des démunis : veuves, orphelins et mutilés de guerre.
Si le bilan politique et social des quatre années écoulées apparaît donc mitigé, l’Angola, pays potentiellement richissime, n’en prétend pas moins à l’émergence économique. Il ne manque pas de bonnes raisons pour une telle ambition, la principale tenant à des perspectives de développement de la production pétrolière qui laissent rêveur : si le pays produit aujourd’hui 1,3 million de barils par jour, il en produira 2 millions d’ici à deux ans. Aussi les investissements directs étrangers augmentent-ils à grande vitesse, tirés par les entreprises pétrolières qui réalisent sur place des investissements lourds de plusieurs milliards de dollars.
Le projet de Conférence internationale sur la reconstruction de l’Angola, à laquelle appelait notamment l’Unesco, semble avoir été abandonné, mais le pays ne s’en reconstruit pas moins, même en l’absence d’un plan d’ensemble impliquant la communauté internationale. De grands chantiers s’ouvrent, tels que ceux du chemin de fer de Benguela, des principaux axes routiers, d’ensembles d’immeubles d’habitation ou d’un nouvel aéroport international. On voit la Chine accéder au rang de partenaire privilégié : outre sa prise en charge des travaux de réhabilitation des chemins de fer, elle vient d’achever, par exemple, la construction de l’hôpital général de Luanda, qu’elle a financé, à hauteur de 8 millions de dollars et que le président Dos Santos a inauguré le 3 février. Elle a lancé un programme de construction de 200 000 logements d’ici à 2008, dont profiteront 23 localités du pays, à commencer par Cabinda, où ont débuté les travaux d’un ensemble de 44 immeubles offrant 5 000 appartements. Le Portugal n’est pas en reste, dont de nombreuses entreprises, dans tous les secteurs, explorent les perspectives d’investissement dans l’ancienne « perle de l’empire ».
Il est vrai qu’avec une prévision de hausse de son PIB de 27,9 % en 2006 – après avoir atteint 3,4 % en 2003, 11,7 % en 2004 et 21 % en 2005, l’Angola a de quoi séduire les investisseurs. Et l’accroissement du secteur non pétrolier, estimé à 12 % pour 2006, apparaît comme un signe positif. Quant à l’ouverture à Luanda d’une Bourse des valeurs, prévue pour octobre prochain, elle témoigne de grandes ambitions : le président de la Commission du marché des capitaux, Cruz Lima, a déclaré sans complexes que l’objectif de ses promoteurs est de la hisser, à terme, au niveau des deux premières Bourses d’Afrique, celles de l’Algérie et de l’Afrique du Sud. Le chef de l’État n’est pas en reste, qui attend de la Bourse des valeurs et dérivés d’Angola (BVDA) qu’elle élève « l’économie du pays aux plus hauts niveaux d’excellence et de compétitivité, tant au niveau régional que continental ».
Dans de telles conditions, l’Angola va son chemin, quelles que soient les difficultés, et l’on comprend qu’aucun obstacle ne lui semble infranchissable.

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