[Chronique] « This is Nigeria » : censurer et promouvoir
En tentant de tordre le bras des médias qui diffusent la vidéo d’un rappeur contestataire, les autorités nigérianes se tirent sans doute une balle dans le pied.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 17 août 2018 Lecture : 2 minutes.
La chanson This is Nigeria du rappeur Falz n’est pas du goût de l’organe nigérian de régulation National Broadcasting Commission. La radio Jay FM s’est vu infliger une amende pour avoir diffusé ce titre qui fait écho au This is America de l’artiste Childish Gambino. Aucun problème de contrefaçon : This is Nigeria est une adaptation qui s’assume.
Le clip utilise les mêmes codes graphiques, la même typographie, des plans séquences très similaires dans un décor qui tient du hangar, le même beat et le même look de l’interprète. Sorte de franchise confraternelle, le concept est d’ailleurs en passe de devenir un « mème » – ces images reprises en masse et déclinées à l’envi sur internet. Un chapelet de clips qui se déploie de pays en pays, jusqu’au titre This is Iraq, en passant par This is Sierra Leone. Pourquoi cette déclinaison est-elle alors devenue, au Nigeria, une licence licencieuse ?
Aux paroles « Voici le Nigeria, tout le monde est criminel », la NBC n’a pas répondu « diffamation », mais « indécence » et « vulgarité »
Le concept de cette série de chansons repose sur la dénonciation, en vrac, des maux de chaque société concernée. Tandis que Childish Gambino critique les armes à feu aux États-Unis et que l’Irakien I-NZ montre un cadavre couvert du drapeau américain, Falz met en scène des bisbilles à la machette, des danseuses vêtues comme les lycéennes de Chibok, des jeunes drogués aux produits médicamenteux, des euphories de gains faciles ou suspects, des exhibitions électorales caricaturales, des exorcismes cupides, des délestages électriques ou encore des abus d’hommes en tenue des Special anti-robbery squad (SARS).
Aux paroles « Voici le Nigeria, tout le monde est criminel », la National Broadcasting Commission n’a pas répondu « diffamation », mais « indécence » et « vulgarité ». Il serait indubitablement un mauvais calcul, pour les autorités, d’aller plus en avant dans une logique de censure.
Primo, à l’heure des réseaux sociaux, tenter d’étouffer est non seulement vain, mais contre-productif. Sur Youtube, le clip de Falz a dépassé les 13 millions de vues et toute polémique ne fait qu’alimenter la curiosité des Internautes.
Secundo, l’expression « qui se sent morveux se mouche » a certainement un équivalent anglophone. Occulter le clip This is Nigeria serait la meilleure manière de suggérer que « This is really Nigeria »…
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