Des hommes d’influence

Le magazine américain Time publie sa liste des cent personnalités « dont le pouvoir, le talent ou l’exemple moral ont transformé nos vies ».

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Quel est le point commun entre la star hollywoodienne Angelina Jolie, l’inventeur de l’encyclopédie en ligne Wikipedia Jimmy Wales, le président George W. Bush et le leader de la communauté chiite irakienne Moqtada al-Sadr ? Tous les quatre figurent sur la liste des cent personnalités les plus influentes du monde publiée le 8 mai par le magazine américain Time. « Voici la liste des hommes et des femmes dont le pouvoir, le talent ou la valeur morale ont transformé nos vies », est-il annoncé en préambule.
L’influence : à la fois unique et élastique, ce critère ménage a priori une place aux « bons » et aux « méchants », aux Américains et à tous les autres, aux grands de ce monde et aux moins grands, aux artistes, aux scientifiques, aux philosophes Bref, à tous ceux qui ont pesé d’une manière ou d’une autre sur le cours des événements en 2005. Mais sous son apparence de pot-pourri hétéroclite, le panthéon 2006, divisé en cinq catégories, trouve sa cohérence. Il est le reflet d’une vision américaine du monde de ses peurs, ses espoirs, ses croyances, ses valeurs. Il donne lieu aussi à quelques surprises.
Personne ne s’étonnera cependant que George W. Bush ouvre le bal des « leaders et révolutionnaires », catégorie qui constitue une sorte d’instantané des relations internationales en 2005. La photo a beau montrer un président préoccupé par sa dégringolade dans les sondages, coincé dans son blouson militaire comme dans ses ennuis en Irak, Bush fils « s’est déjà fait une place dans l’Histoire », estime l’auteur du billet. On l’a dit, l’influence ne se mesure pas à la popularité La présence sur cette liste de Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, en est la preuve. États-Unis versus Iran, voilà l’un des antagonismes les plus marquants de l’année. Mais, plus amusant, le président iranien, « belliqueux, naïf, ancien fondamentaliste et nationaliste », d’après l’auteur de l’article, est placé sur la même page que le pape Benoît XVI, qui semble le regarder d’un air bienveillant. Les deux hommes, chacun dans son domaine, sont tout aussi influents pour Time.
Dans la série des ennemis de l’Amérique, on retrouve l’inévitable Hugo Chávez – il figurait déjà sur la liste l’année dernière – en harangueur de foules, coiffé d’un béret à la Che Guevara. Son rayonnement n’est pas mesuré à l’aune de sa popularité au Venezuela, mais de ses critiques à l’encontre du président Bush ainsi que de ses liens grandissants avec l’Iran. Par un procédé récurrent, une image du « bien » vient s’opposer à « l’incarnation du mal » : sur la même page, sous Chávez, un Pervez Musharraf bonhomme, celui que Bush appelle my buddy (« mon pote »), vient rappeler que l’Amérique a aussi des alliés.
Dans l’ensemble, la liste fait la part belle aux Américains. C’est particulièrement vrai dans la catégorie des intellectuels, où se côtoient une chercheuse d’Atlanta, un physicien de Santa Fe et un scientifique de la Nasa. La présence chinoise, elle, est inversement proportionnelle à l’importance grandissante de l’empire du Milieu dans les préoccupations américaines. Wen Jiabao, le Premier ministre – qui succède à Hu Jintao, présent dans la liste 2005 -, deux avocats, Ma Jun et Chen Guangcheng, défendant respectivement les causes de l’environnement et des villages, et Huang Guangyu, l’homme le plus riche de Chine, sont les seuls ressortissants de ce Far East peuplé de 1,3 milliard d’habitants. L’Inde, considérée comme la deuxième étoile montante du siècle, n’est guère mieux représentée, avec seulement deux élus. Quant à la France, son universalisme en prend pour son grade. Pas un seul homme politique, pas un seul philosophe, scientifique ou chef d’entreprise (il y en avait deux l’an dernier) L’unique Gaulois est un illustre inconnu, Nicolas Ghesquière, directeur artistique de la maison de haute couture Balenciaga. La raison du choix est de la plus haute importance : « Il sait ce que vous avez envie de porter avant vous », justifie le plaidoyer.
Les Africains ont beau devenir chers à l’oncle Sam, ils ne sont que deux. Ellen Johnson-Sirleaf, présidente du Liberia, et l’archevêque nigérian anglican Peter Akinola. La première est présentée par Laura Bush, la première dame, qui a assisté à son investiture et qui confie que l’ancienne fonctionnaire de la Banque mondiale, soutenue par les États-Unis pendant la campagne présidentielle, est pour elle une source d’inspiration. Peter Akinola, qui a « la force d’un lion », est pour sa part considéré comme le symbole du « déplacement du centre de gravité du christianisme du Nord vers le Sud ».
Le monde arabo-musulman n’a pas recueilli les mêmes faveurs. Parmi les six Arabes de la liste, on trouve deux islamistes, l’Irakien Sadr et l’Égyptien Zawahiri, qui a remplacé son « collègue » jordanien Zarqaoui, retenu l’an dernier par la rédaction du magazine. Représentés sous des traits menaçants, la barbe fournie et le regard conquérant, les deux hommes campent une belle caricature de l’islam, nécessairement destructeur et maléfique du point de vue des censeurs de Time. Ces derniers ont également retenu la psychologue américaine d’origine syrienne Wafa Soltane, arguant que cette dernière eut l’audace de qualifier l’islam de religion du Moyen-Âge il y a quelques mois sur la chaîne d’information qatarie Al-Jazira. Ismaïl Haniyeh, le nouveau Premier ministre palestinien et membre du Hamas, fait son apparition sur la liste. Son principal fait d’arme : avoir fait disparaître « jusqu’à l’illusion de la paix » avec Israël.
Les seuls à ne pas être vus à travers le prisme des clichés sur le monde arabe sont le cheikh Mohamed Ibn Rachid al-Maktoum, gouverneur de Dubaï, qui a essayé d’avaler les ports américains, et Zahi Hawass, le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités égyptiennes, celui qui « décide ce qui doit être déterré et par qui ». De l’influence, ils en ont certainement, comme les 98 autres. Mais, comme le souligne l’épilogue avec un recul qui mérite d’être salué, il n’est pas sûr que l’un d’entre eux ait vraiment transformé votre vie. L’influence des élus est finalement aussi relative que le point de vue des auteurs de ce palmarès est subjectif.

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