De Bamako à Cotonou : le service après-vente

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Il y avait eu « racaille » et « Kärcher » en novembre dernier. Puis, en avril, l’assassine exclamation : « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter ! » Il y avait eu le vote, par les députés de l’UMP (droite), de la loi sur les bienfaits de la colonisation. Puis celui, le 17 mai, d’une autre sur l’immigration (voir pp. 24-25), qui porte son patronyme et sa marque personnelle.
Pour beaucoup d’Africains, avant même que Nicolas Sarkozy ne mette le pied sur le continent, la coupe était pleine. Que, de surcroît, le ministre français de l’Intérieur ait eu le toupet d’effectuer une visite au Mali et au Bénin alors que l’encre de sa loi n’était pas encore sèche, la frontière entre audace et provocation avait été franchie.
Aux yeux du principal intéressé, l’exercice relevait surtout du courage politique, de la pugnacité face à l’adversité et du goût pour le défi. À peine l’avion de la République qui l’emmenait à Bamako avait-il décollé, le 17 mai, vers 19 h 30, que Sarkozy savourait déjà l’enjeu : « Je fais voter une loi sur l’immigration, et après, je vais en Afrique pour m’expliquer. C’est pas mal, non ? »
La concomitance des deux événements était en réalité fortuite puisque les collaborateurs du ministre préparaient depuis longtemps un voyage en Afrique. Mais Sarkozy a su, comme bien souvent, tourner la situation à son avantage. Il avait déjà été forcé de capituler devant les protestations des Martiniquais, en janvier, reportant son déplacement dans les départements d’outre-mer. Pas question, sous prétexte qu’une vingtaine de députés maliens de la région de Kayes s’étaient élevés contre sa venue, d’essuyer le même affront en Afrique.
Pendant les deux jours de sa visite, de Bamako à Cotonou, il s’est donc livré à une explication de texte à l’intention des Africains. Pour l’épauler, le rapporteur de la loi, Thierry Mariani (député du Vaucluse), qui a assisté à tous les rendez-vous avec les officiels maliens et béninois. En outre, trois membres de son cabinet – les conseillers Maxime Tandonnet, Guillaume Larrivé et Cédric Goubet – briefaient les nombreux journalistes français « embarqués », avec force précisions, chiffres et arguments. Alors que le document est aujourd’hui à l’étude au Sénat, il s’agissait autant de s’expliquer auprès des Français que de rassurer les Africains, qui se sont sentis, à tort ou à raison, visés par la loi.
Sarkozy s’est dit peu troublé par « 40 manifestants manipulés alors que Bamako compte 2,5 millions d’habitants ». Ils étaient en réalité environ 200 à protester, le 18 mai, au rythme des chansons de Tiken Jah Fakoly devant le consulat de France, et une centaine le lendemain près du ministère de l’Intérieur, à Cotonou. Il s’est davantage agacé des images retransmises en boucle par la télévision française qui donnaient l’impression qu’un grand nombre d’Africains lui en voulaient et s’est vexé qu’on puisse le traiter de raciste.
Tombant eux-mêmes dans les excès qu’ils entendaient dénoncer (« Sarko nazi », « Sarko néo-esclavagiste »), les protestataires ont surtout exprimé la terrible crainte de voir se tarir une source importante de leurs revenus : l’argent envoyé par leurs familles résidant en France. Dans des termes plus modérés, le Premier ministre malien, Ousmane Issoufi Maïga, a fait comprendre à Sarkozy que « nous avons le souci de partager avec vous les inquiétudes et les espérances des Maliens d’ici ou de l’extérieur. La France incarne des valeurs de liberté. » Ne négligez donc pas « ceux de nos compatriotes qui sont allés chez vous à la recherche du bien-être ».
Lors d’un débat animé avec la société civile malienne, le 18 mai, Sarkozy a dû recourir à ses talents d’orateur pour répondre aux critiques. « Un jeune qui vient étudier chez nous devra revenir exercer son métier pendant quelques années chez lui, a-t-il suggéré. C’est un contrat, pas une contrainte. » Avec un zeste de mauvaise foi – « présenter ma loi comme anti-immigrés, c’est absurde. Si elle était anti, elle refuserait toute immigration. Moi, je la choisis » ; « je veux une immigration où on peut donner du travail à vos travailleurs et pas des gens qui viennent s’entasser dans des taudis pour y mourir, sans espoir de trouver logement ou emploi » -, il a habilement transformé son discours et s’est employé à convaincre que, chaque année à partir de 2007, le gouvernement français réviserait les objectifs d’immigration, et ce en concertation avec les pays d’origine. Le Mali pourrait être l’un des « pays-test » de la nouvelle collaboration et de la promotion du codéveloppement, puisque ses ressortissants constituent, avec les Sénégalais, la première communauté subsaharienne de l’Hexagone et que les « Maliens de France » ont « l’amour du travail et la volonté de respecter nos valeurs ». De « choisie », l’immigration est devenue « concertée ». « On choisit ensemble l’immigration idéale pour tous, et il n’y a plus de polémique. Avant ma loi, les pays d’origine n’étaient pas consultés. Demain, ils le seront. »
Reste à savoir dans quel cadre. Mais là n’était pas vraiment l’enjeu pour le candidat à la présidentielle de 2007. Sarkozy n’a pas oublié que si les Africains l’ont froidement reçu, 60 % des Français approuvent son texte de loi. « La France est le premier contributeur d’aide au Mali et en Afrique », a-t-il rappelé avec fermeté à ses contestataires à Bamako. « Je n’accepte pas que le contribuable français soit traité comme vous le faites. Il y a des gens en France qui trouvent que je ne suis pas assez contre les immigrés. Il y a tant de souffrances et de chômage chez nous que beaucoup se demandent pourquoi nous avons la responsabilité d’autres misères. » Sarkozy, comme à son habitude, a eu le mérite d’être clair. Mais, en Afrique, on retiendra surtout de son passage la chanson de Tiken Jah Fakoly, reprise en chur par les manifestants bamakois : « Arrivé comme un sauveur, il est parti comme un voleur. Je l’avais pourtant prévenu de la déception de mon peuple. Arrivé comme un héros, il est reparti à zéro. Je l’avais pourtant prévenu de la présence des vautours autour »

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