C’était Joséphine Baker

La première star noire de la scène parisienne aurait eu 100 ans le 3 juin. Manifestations et publications en tout genre célèbrent cet anniversaire.

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 5 minutes.

Joséphine Baker Pour beaucoup, ce nom évoque une jeune fille à la peau caramel portant fièrement une ceinture de bananes pendant les Années folles parisiennes Derrière ce cliché se cache une femme aux multiples visages, devenue aujourd’hui une icône pour les Noirs de France. Joséphine Freda Mac Donald, décédée à Paris le 12 avril 1975, est née le 3 juin 1906 à Saint Louis, Missouri. Sa mère est noire, son père est d’origine espagnole, tous deux artistes dans le besoin. Joséphine travaille comme bonne à 7 ans, arrête l’école à 12 et se marie à 13 avec Willie Wells Baker. Une précocité qu’on retrouve dans sa carrière de danseuse. Elle gagne son premier cachet en 1918, fait ses débuts au Hooker Washington Theater à 14 ans et connaît le succès à 16 !
Une fois sa carrière lancée aux États-Unis, elle est repérée pour participer à la Revue nègre qui doit avoir lieu à Paris. En 1925, elle débarque en France. Elle a 19 ans et son apparition sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées fait sensation. Seins nus, elle mêle dans son show un cocktail inédit d’érotisme et de comique. Sa danse « des jambes en caoutchouc » est une série de mouvements à la mode chez les danseurs de jazz américains, mais inconnus en France. Son apparition fait frémir les uns et s’enthousiasmer les autres. « Démon noir » pour certains, « Vénus d’ébène » pour d’autres Le côté sulfureux de la revue est entretenu par les critiques – parfois acerbes et blessantes -, et le spectacle reste à l’affiche dix semaines au lieu des deux prévues.
Le scandale se mue rapidement en engouement général. Joséphine devient « l’enfant gâtée de Paris », comme l’affirme alors le journaliste Pierre Lazareff. Sa personnalité, son exotisme sont dans l’air du temps. Égérie des cubistes, elle inspire Alexander Calder et Georges Rouault, ainsi que l’écrivain Ernest Hemingway. Alors que le poète surréaliste André Breton clame qu’« il faut briser les carcans de la raison » et que le jazz débride Paris, Joséphine et sa liberté de mouvement cristallisent les aspirations de l’époque. Au moment où les femmes abandonnent le corset grâce à Coco Chanel, le look à la garçonne de Joséphine fait fureur. En 1926, elle lance d’ailleurs avec succès le Bakerfix, une pommade pour cheveux courts. Artiste accomplie qui danse, chante et joue la comédie, elle devient la première star noire de la scène parisienne.
Après avoir chanté en 1931 ses deux amours, son pays et Paris, elle devient française en 1937 en se mariant avec Jean Lion, un industriel juif. Quelques années plus tard, la guerre éclate. Elle entre alors en Résistance, un pan de son histoire méconnu, relaté dans le livre de Charles Onana, Joséphine Baker contre Hitler, qui vient de paraître. On y découvre une ardente patriote, prête à donner sa vie pour la France. Gaulliste de la première heure, l’artiste sert de couverture au capitaine Jacques Abtey, chef du contre-espionnage militaire. Elle transmet des renseignements écrits à l’encre sympathique sur ses partitions et épingle des documents dans son soutien-gorge. Elle refuse de chanter à Paris tant que les Allemands y sont et, entre 1939 et 1940, elle effectue plusieurs tournées sur la ligne Maginot et le long de la frontière nord-est pour motiver les soldats. Titulaire d’un brevet de pilote, elle rejoint, pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, les Infirmières pilotes secouristes de l’air (Ipsa), une section de la Croix-Rouge française.
En 1941, elle part pour Alger avec Abtey et sera très active en Afrique du Nord, notamment au Maroc. Elle organise des galas bénévoles ou reverse l’intégralité de ses cachets à l’armée française. « Elle vit, en dehors des galas, une vraie vie de soldat, avec ses risques et ses contraintes. À Mostaganem comme dans le désert libyen, Joséphine mange du corned-beef et partage la popote avec le capitaine Jacques Abtey et ses hommes. Seule femme parmi les soldats, elle prend les mêmes risques qu’eux et n’est aucunement traitée comme une star », écrit Charles Onana. Qui note « sa propre discrétion et sa modestie sur ce volet de son histoire », qu’elle aura de la peine à faire reconnaître à sa juste valeur. Car si elle reçoit la Médaille de la Résistance à la fin de la guerre, la Légion d’honneur ne lui sera attribuée qu’en 1957.
Joséphine poursuit son combat, contre le racisme cette fois. Elle a été marquée par son enfance dans le Sud américain, où les discriminations sont institutionnalisées et où une émeute raciale dans sa ville natale avait fait, en 1917, trente-neuf victimes chez les Noirs. Déléguée générale de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) en 1953, elle participe à de nombreux colloques tout en renouant avec sa carrière internationale et ses tournées. Mélangeant le show et la lutte antiraciste, elle multiplie les coups d’éclat. Comme lors de cette soirée de 1951 où elle impose un public mixte au très sélect Copa City de Miami. Cet engagement déteint sur sa vie personnelle. Avec le chef d’orchestre Jo Bouillon, son nouveau mari, elle crée sa « tribu arc-en-ciel ». Ne pouvant avoir d’enfants, elle en adopte douze, de nationalités et de religions différentes. Elle ramène les bébés au gré de ses voyages. La drôle de famille vit au château des Milandes, dans le Périgord, une région pour laquelle Joséphine a eu le coup de foudre. Elle transforme l’endroit en centre touristique, qui accueillera jusqu’à 500 000 visiteurs par an.
L’un des enfants de la tribu, Brian, lève le voile sur cette vie de château dans Joséphine Baker, le regard d’un fils. « Nous vivions dans une colonie de vacances perpétuelle. Et privée. À ceci près que l’encadrement et les valeurs inculquées étaient plutôt rigides. [] Il y avait deux Joséphine. L’artiste d’avant-garde jazzy, se déhanchant et agitant frous-frous ou popotin. Elle-même refoulée par la maman pudique et conservatrice. » Pour Joséphine, « pas question d’une formation artistique, ni d’un futur flou de bohémien ». Celle qui « ne supportait aucune forme de narcissisme personnel » interdisait à ses enfants d’écouter ses disques en sa présence.
Minée par des problèmes d’argent, Joséphine Baker perd sa propriété en 1968. Soutenue par la princesse Grace de Monaco, elle installe sa tribu dans le sud de la France. Elle alterne périodes de faiblesse (deux infarctus) et périodes de forme éblouissante où elle remonte sur scène. « Pas le genre à se mettre en retraite », précise son fils. En avril 1975, elle fête ses cinquante ans de music-hall à Bobino, un « fabuleux retour gagnant ». Le lendemain d’une soirée donnée en son hommage, victime d’une hémorragie cérébrale, elle ne se réveille pas de sa sieste. Des funérailles nationales télévisées sont organisées. « Pour la première fois, la République décrète des obsèques nationales en l’honneur d’une femme noire », souligne Charles Onana. La dépouille de l’artiste, recouverte de la robe qu’elle portait lors de sa dernière scène, repose à Monaco.

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