Amérique du Nord : immigration choisie et fière de l’être

Publié le 29 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Seïdou, 22 ans, sénégalais, étudie l’administration des affaires à Winnipeg. Voilà un an et demi qu’il a débarqué dans la capitale du Manitoba, métropole impersonnelle de 600 000 habitants plantée en plein centre du Canada. Aucun doute, ce n’est pas le charme des lieux qui l’a attiré ici. Comme Grégoria, une Belge originaire de RD Congo, ou Aïssata, une Malienne, Seïdou fait partie des étudiants étrangers accueillis en priorité. Les trois camarades sont francophones, une espèce en voie de disparition au Manitoba, où l’anglais ne cesse de gagner du terrain. Pour ralentir le recul de la langue de Molière, les autorités locales ont lancé, il y a six ans, une opération séduction en direction des étudiants francophones. De même, leurs aînés africains qui souhaitent travailler à Winnipeg seront privilégiés s’ils parlent le français. À condition de se soumettre au délicat rite de passage, un long questionnaire que chaque candidat doit systématiquement remplir. Âge, niveau d’études, situation de famille, maîtrise de la langue Mesurée sous toutes les coutures, la recrue potentielle est notée en fonction de sa productivité : 18 points en cas de maîtrise parfaite de l’anglais et du français, contre 10 pour l’une des deux langues seulement ; 10 points en cas de soutien financier familial sur place ; 10 autres si elle a entre 21 et 49 ans, contre 0 si elle a plus de 53 ans.
La plupart des États du Canada pratiquent une telle sélection. Au niveau fédéral, les autorités ont également estimé leurs besoins : pour enrayer le déclin démographique, le Canada doit accueillir au moins 1 % de la population tous les ans, soit 320 000 personnes. À l’inverse, les États-Unis, le pays le plus attractif au monde – en 2000, on comptait dans le pays quelque 35 millions de personnes nées à l’étranger -, se sont fixé une limite : 1 million de visas de résident permanent délivrés en moyenne chaque année, dont deux tiers au titre de quotas répartis dans des catégories très précises (professions libérales, investisseurs, regroupement familial). En outre, l’Amérique déclenche chaque année une pluie de « cartes vertes » (l’équivalent d’un visa de résident permanent) qui tombe sur 55 000 heureux élus au hasard d’un programme informatique. Encore faut-il qu’ils aient rempli un long dossier, qu’ils soient détenteurs d’un diplôme de l’enseignement secondaire (ou d’une expérience professionnelle jugée équivalente) et qu’ils soient ressortissants des pays retenus par le département d’État pour garantir un équilibre entre nationalités. Pour la session 2007 – les résultats viennent de tomber -, Russes, Indiens, Chinois et Philippins notamment n’avaient aucune chance d’être tirés au sort.
Plancher ou plafond, le Canada et les États-Unis n’ont pas peur de contingenter leurs étrangers, usage honni par l’opinion française. Pays d’immigration depuis que l’Amérique figure sur les planisphères, les deux voisins ont une tradition d’accueil bien rodée. Au Manitoba, un service est à disposition des nouveaux arrivants francophones pour les aider à faire leurs premiers pas : accueil à l’aéroport, recherche d’un logement, scolarisation des enfants. Aux États-Unis, le « guide pour les nouveaux immigrants » leur fournit des renseignements pratiques sur leur installation, et, au passage, les encourage à participer à la vie civique et leur rappelle que la qualité de résident permanent est un « privilège » et non un « droit ».
Ottawa et Washington l’assument sans complexe : leur économie a besoin des immigrés. Pour contrebalancer la mollesse de la natalité au Canada, pour fournir quelques spécialistes et, dans la plupart des cas, une main-d’uvre bon marché aux États-Unis. C’est pourquoi le projet de loi de George W. Bush adopté par le Sénat le 25 mai – le président américain a fait de la réforme du système d’immigration son cheval de bataille dès sa première élection, en 2000 – prévoit la régularisation d’une partie des 12 millions de clandestins vivant aux États-Unis. À condition qu’ils paient leurs arriérés d’impôts, qu’ils s’acquittent d’une amende et puissent justifier d’un emploi pendant plusieurs années. Les républicains les plus féroces crient à l’amnistie. Mais qu’ils se rassurent : il a été aussi décidé de déployer sous peu 6 000 gardes nationaux à la frontière mexicaine pour endiguer les entrées sauvages.

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