Une bougie et des braises

Un an après le début de la guerre, l’avenir du pays, malgré quelques rares sujets de satisfaction, semble tous les jours un peu plus incertain.

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 6 minutes.

Le président George W. Bush n’en démord pas. Un an après les premières frappes aériennes contre l’Irak, il a déclaré devant les ambassadeurs de quatre-vingt-quatre pays réunis à la Maison Blanche que la guerre menée pour « défendre notre sécurité et libérer ce pays d’un tyran » a été « un succès historique, un tournant pour le Moyen-Orient et une avancée cruciale pour la liberté humaine ». « Quelle qu’ait été sa position passée, a-t-il ajouté, chacun a maintenant intérêt à un Irak libre, prospère et stable. »
Aux États-Unis mêmes, l’opinion s’interroge désormais sérieusement. Les pertes qui s’accumulent donnent à réfléchir (voir infographies p. 26). En avril 2003, 70 % des personnes interrogées dans les sondages étaient persuadées qu’il valait la peine de faire la guerre, contre 27 % qui pensaient le contraire. En février 2004, 50 % des personnes interrogées estiment que cette guerre était inutile, pour 48 % qui jugent qu’il fallait la faire.
La question « Comment s’en sortir ? » a été posée publiquement par l’hebdomadaire Time, qui titrait en couverture de son numéro daté du 15 mars « Looking for a Way Out » (« À la recherche d’une issue »). Et consacrait dix-sept pages à examiner les solutions envisagées par Bush et par le candidat démocrate à la Maison Blanche, John Kerry. Dans le même temps, le 9 mars, un « groupe de travail indépendant » constitué par le Council on Foreign Relations (CFR) a rendu public un rapport où il analyse la situation actuelle et fait ses recommandations à l’administration Bush. Cette Task Force était coprésidée par James Schlesinger, ancien secrétaire républicain à la Défense et à l’Énergie, et Thomas Pickering, ancien représentant permanent des États-Unis à l’ONU et ancien sous-secrétaire d’État.
Son rapport rappelle les difficultés qu’ont rencontrées les États-Unis et la communauté internationale dans les « efforts de reconstruction d’après-conflit » au cours des années 1990, d’Haïti au Timor oriental en passant par les Balkans. Il souligne la nécessité d’un « Irak stable » : « Une guerre civile en Irak risquerait d’entraîner une intervention de ses voisins, une instabilité à long terme de la production et de la livraison de pétrole, et l’apparition d’un État faible qui pourrait offrir un asile aux terroristes. Il constituerait un échec politique monumental pour les États-Unis, accompagné d’une perte de pouvoir et d’influence dans la région. » La Task Force recommande donc « un engagement soutenu et déterminé des États-Unis dans les mois et les années à venir » avec une aide financière de plusieurs milliards de dollars, des mesures sécuritaires, « l’inclusion des femmes » et la participation des Nations unies.
Le CFR a invité un autre groupe de travail, coprésidé par l’ancien secrétaire d’État républicain Henry Kissinger et l’ancien secrétaire au Trésor démocrate Lawrence Summers, à « plancher » sur la politique étrangère de l’administration. La crainte, ici, est que certains pays européens ne se laissent influencer par des groupes « qui n’ont pas intérêt à encourager la coopération transatlantique », et que les États-Unis n’aient pas le soutien de la communauté internationale pour assumer les conséquences de la guerre en Irak.
Même si le rapport, publié le 26 mars, rappelle que les Européens et les Américains « partagent des traditions », cette crainte n’est pas, en effet, sans fondement. Élu dans la foulée des attentats perpétrés par el-Qaïda à Madrid le 11 mars et après le cafouillage du très bushophile José María Aznar sur la responsabilité de l’ETA, José Luis Rodriguez Zapatero, le leader du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), nouveau président du gouvernement, a aussitôt fait savoir qu’il comptait rapatrier les mille trois cents soldats espagnols envoyés en Irak pour renforcer la coalition (ils y ont laissé onze morts). Dans une interview au quotidien El País, le 21 mars, il affirme que « la guerre en Irak est une énorme erreur. Il n’y avait aucune raison de la faire. Elle a été entreprise sans l’accord de la communauté internationale, et la façon dont s’est déroulée l’occupation est un désastre. » Il indique cependant qu’il veut « maintenir les meilleures relations avec les États-Unis ». La Pologne, qui a aussi un engagement militaire en Irak, n’a pas l’intention d’imiter l’Espagne, mais son président Aleksander Kwasniewski a nettement manifesté sa mauvaise humeur, le 18 mars, devant des journalistes étrangers. « Washington, a-t-il déclaré, nous a menés en bateau avec les armes de destruction massive. » Il n’est pas question, de toute façon, que la Pologne envoie d’autres troupes. Se pourrait-il un jour que l’allié le plus complice, le Royaume-Uni, dont quatorze soldats ont été blessés le 22 mars, se décourage lui aussi ? En attendant, peu de pays se pressent au portillon.
Qu’en est-il sur le terrain ? « L’Irak, selon la formule de la Task Force Schlesinger-Pickering, entre dans une phase exceptionnellement difficile et dangereuse. » L’administrateur civil en chef, Paul Bremer, a réussi à faire adopter une Constitution intérimaire, et il est entendu que les Irakiens accéderont à la souveraineté le 30 juin. Mais il n’y a actuellement aucun consensus sur la manière dont l’autorité de transition irakienne sera mise en place. Tous les observateurs sont, certes, d’accord pour reconnaître que le commerce de détail est florissant, que les Irakiens se sont arrangés pour importer des centaines de milliers de voitures, des millions d’antennes paraboliques, de postes de télévision, d’ordinateurs et de téléphones portables. « Malheureusement, comme l’écrit dans le Financial Times James Dobbins, un ancien « envoyé spécial » de Bush en Afghanistan et de Clinton en Somalie, en Haïti, en Bosnie et au Kosovo, il est peu probable que le regain de prospérité s’accompagne rapidement d’une plus grande sécurité. Au contraire, la perspective à court terme est qu’après le transfert des pouvoirs on ait davantage encore de violence et de tensions ethniques. Toutes les factions – anciens baasistes, terroristes, milices locales, communautés kurde, chiite et sunnite – vont tenter de mettre le nouveau pouvoir à l’épreuve, soit pour s’y opposer directement, soit pour se positionner en vue de futures élections. » Un nouveau pouvoir qui n’aura de toute façon qu’un embryon de police et pratiquement pas d’armée.
L’un des hommes clés de cette période « exceptionnellement difficile » sera l’ayatollah ozma (« grand ayatollah ») et marjaa (« source d’imitation ») Ali Sistani, aujourd’hui figure politique et religieuse dominante de l’Irak. Pour une raison simple : il est le chef des chiites, qui représentent 60 % de la population, mais furent réduits au silence sous Saddam Hussein. Ce vieillard de 73 ans ne reçoit pas dans sa modeste demeure de la ville sainte de Nadjaf, et il n’en sort pas. Mais il a envoyé des centaines de milliers de fidèles dans la rue pour faire savoir à Paul Bremer qu’il n’acceptait pas son projet d’Assemblée nationale qui aurait mis les différentes communautés sur un pied d’égalité, et Bremer a reculé. On peut compter sur lui pour veiller sur « le respect de l’identité culturelle irakienne, dont la plus importante fondation est l’islam ».
« Les habitants de la région ont maintenant une idée de ce que c’est que de vivre dans un pays libre ! » s’est exclamé Bush devant les ambassadeurs. Il est heureux pour les pays libres que, malgré el-Qaïda, il y ait chez eux moins d’attentats qu’en Irak. « La liberté est une grande chose, conclut pour sa part un reportage de l’hebdomadaire Newsweek, dans son numéro daté du 29 mars. La paix aussi, mais personne ne sait quand elle viendra. »
Dans le pessimisme général, une longue analyse de The Economist veut apporter « une lueur d’espoir ». L’hebdomadaire anglais a fait réaliser, du 9 au 28 février, un sondage qui montre qu’en effet une majorité d’Irakiens veut y croire encore. Ils sont 56,5 % à considérer que les choses vont mieux qu’il y a un an, contre 18,6 % qui pensent qu’elles vont plus mal. Et 71 % à espérer qu’elles iront encore mieux dans un an, contre 6,6 % qui craignent qu’elles n’aillent plus mal. Mais ils sont 42,4 % à faire confiance aux chefs religieux, et 11,3 % seulement au Conseil de gouvernement provisoire…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires