Réinventer le « vivre ensemble »

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

L’avenir de l’Irak ne semble pas aussi rose qu’on l’avait promis. L’insécurité y est quotidienne. Les gens vivent dans une précarité insoutenable. Les structures sociales sont désintégrées. Et, surtout, les déchirures sociales ne laissent rien augurer de bon. Comment, en effet, bâtir un régime un tant soit peu stable quand la discorde est souveraine, les conflits d’aspirations de plus en plus violents ?
La plupart des observateurs sont d’avis que, si elle a mis fin à un régime vomi par la majorité de son peuple – ce qui n’était pas un des objectifs annoncés de la guerre -, celle-ci a créé des maux nouveaux difficiles à calmer. Elle a rendu le pays de plus en plus ingouvernable, d’autant que certains services secrets s’en mêlent et que leurs agissements sont loin de conforter les desseins proclamés de la Coalition.
En dépit de toutes ces alarmes, il faut néanmoins regarder vers l’avenir. Celui de l’Irak, lié à sa région, qui partage ses inquiétudes et qui est appelée, sans doute, à faire face aux mêmes défis, produits vénéneux de l’histoire et de la géographie, conjuguées. Trois mots les résument : le besoin de sécurité, de souveraineté et de dignité.
Ces valeurs, aujourd’hui, ne se conquièrent plus par la puissance des armes mais par la force des sociétés, leur cohésion et leurs capacités intellectuelles et économiques. C’est là l’unique matrice de tout destin national digne, à notre époque.

L’Irak, c’est vrai, sort à peine d’une invasion qui l’a mis groggy, a réveillé de funestes querelles ancestrales qu’on croyait apaisées. Il est vrai aussi que l’Irak avait, auparavant, vécu un calvaire qui l’a meurtri, sans résoudre les problèmes légués par des siècles de régression culturelle. Dépassant leurs dissensions ethniques et leurs antagonismes confessionnels, les Irakiens doivent prendre conscience qu’ils n’ont d’avenir qu’ensemble, mais dans une société multidimensionnelle qui puise dans les énergies de tous et assure, à toutes ses populations entremêlées, la dignité à laquelle elles aspirent.
Que les chiites ne croient pas qu’ils peuvent faire cavaliers seuls. Que les sunnites ne pensent pas qu’ils ont des privilèges à défendre. Les uns et les autres ont surtout le devoir de donner de l’islam une autre image que celle de ces hordes déchaînées qui n’ont appris à exalter leurs identités que par des cris et des gestes qui les apparentent à des peuplades primitives. Rompant avec tout ce qui les divise, il leur faut, ensemble, reconstruire les valeurs authentiques qui ont fait la sève et l’éclat de leur société, en ses périodes de gloire.
Que les Kurdes, de leur côté, n’oublient pas quelle fut leur contribution à la défense de l’arabité. Qu’ils ne se laissent pas bercer par de vaines illusions : leur avenir est dans cet ensemble, qui, depuis des siècles, a pour nom Irak.

la suite après cette publicité

Aujourd’hui, comme hier, cet ensemble connaît encore le crève-coeur. Mais il peut renaître fraternel, si tous ses enfants sont de concert. Pour l’Irak tout entier comme pour chacune de ses composantes, l’unique garantie de prospérité et de vie digne c’est de construire une société de fraternité à l’intérieur et de développer, avec tous ses voisins, des relations d’entente et de coopération.
Les voisins de l’Irak ont, eux aussi, aujourd’hui, des obligations redoublées à l’égard de ce pays désemparé. Il peut, demain, redevenir pour eux un rempart et une source importante de leur puissance. Assagi et bien gouverné, il aidera à la reconstruction de ce « monde arabe » que les uns comparent à un « bateau ivre » et que d’autres considèrent comme « l’homme malade » de notre époque. Cette reconstruction sera un leurre si elle ne se fait pas selon un paradigme de sociétés solidaires – et non plus, comme à chaque séisme, suivant un ordre régional d’États dérisoirement rivaux. La solidarité est leur unique chance, car leurs destins se confondent, pour peu qu’ils prennent une claire conscience des périls qu’ils courent et décident de réinventer le « vivre ensemble », jadis en honneur à Bagdad comme à Cordoue.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires