Muhammad Yunus

Fondateur de la Grameen Bank (banque rurale)

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

« Les pauvres aussi ont du talent, mais il leur manque le premier dollar pour générer le deuxième », explique d’une voix assurée Muhammad Yunus, fondateur de la première institution bancaire ayant décidé de se battre contre « l’apartheid financier ». Depuis près de trente ans, cet homme, qui a aujourd’hui 64 ans, mène un combat sans relâche contre la pauvreté. Loin des caméras, le « banquier des pauvres » sort chaque année des dizaines de milliers de personnes de leur existance misérable. Grâce à lui, plus de trois millions de Bangladais, presque exclusivement des femmes, bénéficient aujourd’hui de prêts sans garantie. « La moitié d’entre eux ne vivent plus dans la misère », se réjouit Muhammad Yunus.

Étrange destinée que celle de ce fils de joailler, né en 1940 à Chittagong, sur la parcelle de l’Empire britannique des Indes, qui deviendra sept ans plus tard le Pakistan occidental. Économiste de formation, il obtient une bourse et part aux États-Unis au milieu des années 1960 avant de rentrer au pays en 1972. Au terme d’une guerre sanglante, le Bangladesh, tout juste sorti du giron d’Islamabad, a proclamé son indépendance. Mais le sort s’acharne contre le jeune État, victime deux ans plus tard de l’une des pires famines de l’Histoire. À l’époque, Muhammad Yunus enseigne l’économie dans la faculté de sa ville natale. « Je me sentais inutile dans mon campus face à toute cette misère. » Le jeune homme s’intéresse alors au sort de quarante-deux tresseurs de bambou. « Ils vivaient dans des conditions proches de l’esclavage puisque le fruit de leur travail leur permettait à peine de rembourser leurs fournisseurs. » Yunus leur prête 27 dollars de sa poche… Peu de temps après, tous sont en mesure de le rembourser. Fort de cette expérience, il tente de convaincre les banques de faire crédit de sommes minimes aux pauvres et aux déshérités. Sans succès.
Il décide donc de mettre en place une structure financière pour mener à bien son projet. Au départ, il emprunte pour prêter. Puis, en 1983, la Grameen Bank (banque rurale) voit officiellement le jour. Muhammad Yunus devient le premier banquier dans le monde à proposer des crédits aux plus défavorisés sans demander aucune garantie. « Et ça marche ! » crie le professeur à qui veut bien l’entendre. Avec un taux de recouvrement de 98 %, il peut en effet se féliciter de réussir là où beaucoup échouent. « Contrairement aux idées reçues, les pauvres remboursent plus que les riches. Si vous leur donnez une chance, ils ne la laissent jamais passer car il y va de leur survie. L’expérience Grameen prouve qu’ils sont capables de se prendre en main si on leur en donne l’occasion. » Au fil des années, le microcrédit fait école. Aujourd’hui, plus de 55 millions de familles en bénéficient dans cent quinze pays. À la grande joie de l’inventeur du concept, qui multiplie les déplacements – il passe plus d’un quart de son temps à l’étranger – en grande partie en réponse à des invitations « pour que les responsables politiques se rendent compte que c’est le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté ». Ses relations avec les grands de ce monde n’ont pas toujours été au beau fixe, et sa vision révolutionnaire du développement – « les grands projets ne servent à rien car les habitants n’en bénéficient pas directement » – n’a pas toujours fait l’unanimité. Mais depuis quelques années, le microcrédit est à l’honneur. Le sommet mondial qui s’est tenu sur le sujet à Washinghton en 1997 a prévu de faire passer le nombre de bénéficiaires à 100 millions d’ici à 2005. Et les Nations unies viennent de proclamer 2005 « l’année du microcrédit ».

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Nommé ambassadeur auprès de l’Onusida en novembre 2002, le banquier révolutionnaire contribue à diffuser le message de la prévention auprès des plus démunis. « L’accès au microcrédit réduit l’impact du VIH à l’échelon familial », explique le professeur. Refusant toute étiquette politique, Muhammad Yunus n’a qu’une idée en tête : la création d’un monde où la pauvreté ne serait plus qu’un mot dans les dictionnaires. Et il reste bien déterminé à ne jamais baisser les bras.

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