[Tribune] Mali : « Le processus électoral n’a pas été inclusif »
Les organisations de la société civile maliennes n’ont pas été assez impliquées dans le processus électoral, faute de moyen et de volonté politique, ce qui a accentué le fort taux d’abstention lors de la présidentielle. C’est l’avis d’Ibrahima Sangho, à la tête du Pool d’observation citoyenne du Mali (Pocim), qui a déployé plus de 2 000 observateurs lors des deux tours du scrutin.
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Ibrahima Sangho
Président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali. Journaliste, il est également à la tête du Pool d’observation citoyenne du Mali (Pocim), qui a déployé plus de 2 000 observateurs lors des deux tours du scrutin présidentielle de 2018.
Publié le 29 août 2018 Lecture : 3 minutes.
La période préélectorale au Mali s’est caractérisée par la faible implication des organisations de la société civile (OSC) dans le dialogue politique. La véritable communication électorale, à travers l’information, la sensibilisation et la mobilisation des citoyennes et des citoyens par les OSC, a été amputée du processus. Les OSC avisées sur les questions de monitoring, de veille, d’alerte et de contrôle citoyen depuis plus de vingt ans au Mali n’ont pas pu jouer correctement leur rôle. Le processus électoral n’a pas été inclusif.
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Le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation a conçu et diffusé des spots de sensibilisation à la télévision nationale. Mais ce n’est pas suffisant. La télévision ne peut toucher l’ensemble de la population.
Les organisations de la société civile n’ont pas été mises au premier plan, et c’est un tort, car elles agissent traditionnellement, en ville comme dans les villages, pour conscientiser les citoyennes et les citoyens par des approches novatrices.
Les opérations de porte-à-porte, le théâtre ambulant dans les villages, les activités de communication électorale et de mobilisation sociale ou encore les conférences publiques de vulgarisation sur le contenu de la loi électorale… Autant d’actions qui auraient dû être légion, mais qui n’ont malheureusement pas bénéficié de suffisamment de financement des partenaires traditionnels, tel que le PNUD.
Conséquence immédiate : la faible implication des organisations de la société civile explique en partie les taux de participation timorés observés lors du scrutin, de l’ordre de 42,70% au premier tour du 29 juillet et de 34,42% au deuxième tour du 12 août 2018.
Un contexte de crise postélectorale
Pour comprendre les racines du mal, il faut remonter un peu en arrière. En en particulier aux élections communales du 20 novembre 2016, à l’issue desquelles le Mali a traversé une crise postélectorale émaillée de violences dans plusieurs localités du pays.
L’opposition a alors dénoncé des « fraudes massives », accusé ses adversaires de s’être livrés à des « achats de consciences ». Une motion de censure a été déposée contre le gouvernement dirigé par le Premier ministre Modibo Keïta, et l’opposition a exigé un moratoire de deux ans sur la tenue des élections, ainsi que la mise en place d’un organe unique de gestion des élections.
C’est dans ce contexte que le gouvernement, conformément aux dispositions constitutionnelles, a commencé à organiser le scrutin présidentiel des 29 juillet et 12 août dernier. Dès janvier 2018, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation a mis en place un comité d’experts chargé de la relecture de la Loi électorale. La société civile électorale n’y a pas été associée.
Le 23 avril, à trois mois des élections, une nouvelle loi électorale a été promulguée par le président de la République. L’adoption tardive de cette loi a joué sur la participation citoyenne. Le temps entre son adoption et son appropriation par les citoyennes et les citoyens du Mali apparaît d’autant plus court qu’il faut souligner que plus de 80% des Maliens n’ont pas accès au français, langue dans laquelle la loi est rédigée.
Un processus électoral n’est crédible que si tous les acteurs concernés le comprennent et s’impliquent
D’autre part, la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), pose question. Elle devait en théorie compter les représentants de dix partis politiques et cinq membres de la société civile. Mais un des sièges dévolus à la société civile a été attribué au pouvoir judiciaire, à travers le Syndicat autonome de la magistrature.
En outre, l’article 5 de la loi électorale stipule que les démembrements de la Ceni sont constitués de représentants des partis politiques et de la société civile. Or, aussi bien au niveau national qu’au niveau de ses démembrements locaux, la Ceni est dirigée par des magistrats, qui incarnent le troisième pouvoir.
La Déclaration de Bamako, adoptée le 3 novembre 2000 par l’ensemble des pays membres de la Francophonie, dont le Mali, érige en principe la consolidation de l’État de droit pour la tenue d’élections libres, fiables et transparentes et précise qu’il faut « s’attacher au renforcement des capacités nationales de l’ensemble des acteurs et des structures impliquées dans le processus électoral ».
Un processus électoral n’est donc crédible que si tous les acteurs et groupes concernés le comprennent et s’impliquent de façon active et responsable. C’est dire qu’en plus du défi sécuritaire, l’inclusivité a aussi été le maillon faible de l’organisation de ce scrutin. La notion « cycle électoral » doit désormais être mise en exergue.
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