Le voile, sans oeillères
Notre collaboratrice Fawzia Zouari publie une analyse rigoureuse sur la perception du foulard islamique en France. Et élargit le débat.
Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.
Fawzia Zouari est une personne subversive et discrète. Ce mélange, on le sait, est le plus détonnant qui soit. Il conduit non aux clameurs des pamphlétaires mais aux démonstrations implacables des gens de conviction. Or, s’il est un sujet, ces derniers mois, sur lequel on a pu entendre les propos les plus saugrenus et les opinions les plus extrêmes, c’est bien celui du voile à l’école. Au point, souvent, que les premiers mélangeaient tout et les secondes dégageaient davantage une bouillie idéologique qu’elles ne proposaient une vision cohérente. Fawzia Zouari, elle, agit à l’inverse. À la façon d’un chirurgien, elle dissèque le débat, elle sépare les arguments des uns et des autres, elle expose les différents problèmes soulevés à cette occasion, elle élargit la polémique pour arriver à des questions que la société française n’ose aborder ou préfère cacher, par lâcheté et souci du consensus. Bref, elle informe, usant du microscope pour mettre l’accent sur un aspect particulier de la querelle et recourant, d’autres fois, au grand angle pour mieux élargir et dépasser l’affaire du moment. En tout cas, elle préfère toujours le fait reconnu à l’idée reçue. C’est pourquoi, notamment, elle s’est attachée à écouter la parole des jeunes filles voilées.
Toute cette démarche est faite scrupuleusement, honnêtement, rigoureusement. Du coup, quelques vérités, soigneusement tues par les idéologues de tous bords, apparaissent comme des évidences. On en donnera juste quelques exemples. De fait, il est pour le moins paradoxal d’admettre que la formation de toute personnalité jeune passe par la révolte, ne serait-ce que vestimentaire, et de dénier ce droit à celles qui choisissent, pour cette raison, de porter le foulard. De même, il est surprenant de constater combien la France ne cherche pas à connaître l’islam, religion avec laquelle elle coexiste pourtant depuis longtemps. Au contraire, elle se comporte souvent comme si elle était entrée en résistance et se refuse à traiter la religion islamique comme les autres. Il est tout aussi étonnant de constater le refus du féminisme occidental, arc-bouté sur ses certitudes et volontiers dominateur, d’accepter que de nouvelles émancipations empruntent d’autres voies que celles qu’il a tracées. Enfin, dernier exemple, l’identité française serait exaltée si on s’habille en minijupe et trahie lorsqu’on porte un foulard.
On pourrait multiplier les cas de ces « secrets » enfin révélés et de ces notations dans lesquelles Fawzia Zouari excelle. Au point que pour la paraphraser, le résultat de son travail pourrait être intitulé : « Ce livre qui dévoile la France ». Mais Fawzia n’est pas que l’observatrice attentive et lucide des faux-semblants français. Si témoin il y a, il est engagé. Et, comme toujours avec elle, ce n’est pas le chemin le plus facile qui est emprunté : Fawzia Zouari est à la fois hostile au port du foulard et à son interdiction, critique vis-à-vis d’une certaine utilisation de la laïcité tout en étant favorable à celle-ci. « Partisane de la laïcité, écrit-elle, je reste réfractaire au laïcisme, surtout lorsqu’il sous-tend une défiance à l’égard d’une religion en particulier. » En fait, pour elle et pour tous ceux qui entendent sortir de l’absurde binôme – voile ou non – créé pour la circonstance, il est plus que temps de réfléchir, sur des bases neuves, à des réalités jusqu’à présent volontairement occultées par les élites françaises. Ces questions-là ont pour noms l’immigration musulmane, le risque d’islamophobie, l’intégration, politique qui doit être enfin liée à la notion de « citoyenneté ». C’est pourquoi Ce voile qui déchire la France n’est pas seulement un livre pour comprendre hier et même aujourd’hui. Il est indispensable à un autre titre : pour imaginer demain.
Ce voile qui déchire la France, de Fawzia Zouari, éditions Ramsay, 266 pages. 17,50 euros.
