Présidentielle au Mali : comment IBK a conquis les voix du Nord
Bien que Soumaïla Cissé soit originaire du nord du Mali, les régions septentrionales ont massivement voté en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta. Comment expliquer ce phénomène ?
Mali : Ibrahim Boubacar Keïta reconduit pour cinq ans à la tête du pays
IBK a été réélu avec 67,17% des suffrages à l’issue du second tour, face à Soumaïla Cissé (32,83%). De nombreux chefs d’État ont félicité le président sortant pour sa victoire. Le chef de file de l’opposition ne reconnaît pas ces résultats et son parti a lancé un « appel à la mobilisation citoyenne pour exercer une pression populaire, pacifique et démocratique ».
Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a enregistré quelques-uns de ses meilleurs scores dans les régions du nord, battant son rival Soumaïla Cissé, pourtant natif de Niafunké, aux environs de Tombouctou, dans la quasi-totalité des centres de vote. « Dans plusieurs bureaux des régions de Tombouctou, Gao et Kidal, IBK a même totalisé 100% des suffrages », fait remarquer Ibrahim Maïga, analyste à l’Institut de recherche en sécurité (ISS).
>>> A LIRE – Mali : la victoire d’IBK validée par la Cour constitutionnelle
C’est le cas dans 107 bureaux de vote sur les 1.337 recensés dans la région de Tombouctou ; dans 88 des 881 bureaux de la région de Gao ; et dans 7 des 110 bureaux de Kidal, selon les chiffres de la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (Cocem), un regroupement d’associations de la société civile malienne. Les chiffres rendus publics, bureau par bureau, après la proclamation des résultats provisoires vont dans le même sens. A Tessalit, dans le nord de la région de Kidal, dans un bureau comptant 460 inscrits, 448 ont voté, dont 450 pour IBK. A Rahrous, une ville au bord du fleuve Niger, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Tombouctou, un bureau a enregistré 458 votants pour 458 inscrits : et 449 ont voté pour IBK !
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Des chiffres qui alimentent les accusations de « fraude » et de « bourrage d’urnes » lancées par l’opposition. Mais si Soumaïla Cissé continue de rejeter les résultats, la victoire d’IBK a bel et bien été validée, le 20 août, par la Cour constitutionnelle, avec 67,16% des suffrages. La Cour, à l’instar des observateurs de l’Union européenne, affirme en effet qu’il n’y a pas de preuve de fraudes massives.
Accord de paix
Comment, alors, expliquer ce vote massif en faveur d’IBK dans le nord du pays, où les populations lui étaient pourtant hostiles au tout début de son premier quinquennat ?
Soumaïla Cissé n’a pas proposé de solution alternative au processus de paix
La question de l’application de l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés du Nord a été centrale pendant la campagne. Or les populations se sont lassées. Depuis 2012, elles sont victimes d’une insécurité chronique, d’abord du fait de la rébellion touarègue, puis de l’occupation jihadiste, avant d’être désormais frappée par des conflits à caractère ethnique ou tribal.
>>> A LIRE – Sécurité, dialogue, relance économique… les grands chantiers d’IBK au Mali
Sur ce point, « Soumaïla Cissé n’a pas proposé de solutions alternative au processus de paix. Il ne s’est pas assez démarqué de celles proposées par IBK. Et comme beaucoup d’autres, Cissé a exprimé des réserves après la signature de l’accord de paix et cela explique la méfiance des groupes armés envers lui », estime Ibrahim Maïga.
Soutien des anciens rebelles
Dans le nord du Mali, « les électeurs de base ne votent pas pour élire un candidat à l’élection présidentielle mais plutôt par rapport aux consignes données par les responsables locaux », affirmait à Jeune Afrique, pendant l’entre-deux tours, Ilad Ag Mohamed, un ex-porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Bilal Ag Achérif, secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA, composante de la CMA), assurait quant à lui qu’« aucune consigne de vote n’a été donnée ».
« La population de Kidal est très attachée à l’application de l’accord de paix, c’est la raison pour laquelle les électeurs ont voté massivement pour IBK. Il vaut mieux continuer à travailler avec quelqu’un qu’on connaît déjà plutôt que de s’aventurer dans l’inconnu », estime Mohamed Ag Intalla, l’Amenokal de l’Adrar des Ifoghas, basé à Kidal, où les ex-rebelles de la CMA ont sécurisé les opérations de vote.
Quatre ans après les affrontements meurtriers à Kidal, ce sont les mêmes qui se sont engagés pour IBK dans le Nord
Un véritable retournement
En mai 2014, les combattants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et ceux du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) – tous deux membres de la CMA – avaient déclenché une offensive sur Kidal lors de la visite du Premier ministre d’alors, Moussa Mara. Des affrontements meurtriers avaient éclaté entre l’armée régulière et les combattants des groupes séparatistes pendant plusieurs jours. Quatre ans après, ce sont les mêmes populations qui se sont engagées pour qu’Ibrahim Boubacar Keïta remporte une large victoire dans le Nord.
Le 19 juillet dernier, alors en visite à Kidal pour la première fois depuis cinq ans, IBK avait été accueilli à sa descente d’hélicoptère par Mohamed Ag Intalla, Bilal Ag Achérif et Alghabass Ag intalla, le très influent secrétaire général du HCUA. Le président sortant, en campagne électorale, avait même passé la nuit à Kidal, promettant le retour effectif des services de base, ainsi que la construction d’un aéroport international et d’un hôpital de niveau régional.
La « dette » de Taoudénit
Dans la région de Taoudénit, au nord de Tombouctou, IBK a enregistré 85% des suffrages (contre 15% à son rival Soumaïla Cissé). La localité, qui a accédé au statut de région en 2016 et où les autorités intérimaires sont en cours d’installation, avait une forme de « dette » envers IBK.
« Il y a quatre mois, nos chefs de faction ont pris un engagement auprès d’IBK : lui faire un cadeau après avoir érigé Taoudénit en région. Et la seule manière pour eux de le remercier, c’était à travers le vote », explique Safia Moulaye Mohamed, une militante du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti présidentiel. Pendant des semaines, dans la région de Taoudénit, elle a battu campagne pour la réélection de celui qu’elle appelle affectueusement « Boua » [« Papa », en bambara, le surnom donné à IBK par les militants du RPM].
Les choses avancent avec IBK et les gens n’ont pas envie de casser cette dynamique
A Ménaka, où la CMA a participé à la sécurisation du scrutin, lors des deux tours, aux côtés du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), des Forces armées maliennes, des soldats de l’opération Barkhane et de ceux de la Minusma, les leaders insistent : selon eux, seule l’application de l’accord de paix peut mettre fin aux affrontements intercommunautaires qui ont cours dans cette région.
« Les gens cherchent la paix. Il y a eu la guerre en 2012, et maintenant nous sommes dans conflit intercommunautaire. La population connaît IBK, les gens ont pu discuter avec lui. Les choses avancent et ils n’ont pas envie de casser une dynamique qui s’est mise en place difficilement », explique à Jeune Afrique Ibrahim Ag Idbaltanate, leader de Ménaka.
>>> A LIRE – Présidentielle au Mali : les abstentionnistes, entre lassitude et déception
Dernier élément, loin d’être négligeable et susceptible d’expliquer l’écart de voix entre Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé : « L’abstention des militants de Cissé a été forte dans les grands centres urbains comme Gao et Tombouctou », analyse le politologue Ibrahim Maïga. Au niveau des résultats nationaux, Soumaïla Cissé a aussi été pénalisé par les nombreux bureaux de vote qui n’ont pu ouvrir dans le centre du pays du fait de l’insécurité. Une région considérée comme l’un de ses bastions électoraux.
De son côté, si IBK a recueilli les dividendes politiques de la signature de l’accord qui a ramené la paix entre le gouvernement et les groupes armés du Nord en 2015, il devra également répondre aux attentes du septentrion malien : consolider la paix et relancer le développement régional.
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Mali : Ibrahim Boubacar Keïta reconduit pour cinq ans à la tête du pays
IBK a été réélu avec 67,17% des suffrages à l’issue du second tour, face à Soumaïla Cissé (32,83%). De nombreux chefs d’État ont félicité le président sortant pour sa victoire. Le chef de file de l’opposition ne reconnaît pas ces résultats et son parti a lancé un « appel à la mobilisation citoyenne pour exercer une pression populaire, pacifique et démocratique ».
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