[Édito] Mali : le jour d’après
En deuil d’une élection qu’ils pensaient acquise et qu’ils estiment usurpée par Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à coups de fraudes et de bourrages d’urnes, Soumaïla Cissé et ses partisans n’ont ni le temps ni le goût de l’introspection.
-
François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 26 août 2018 Lecture : 4 minutes.
On peut les comprendre : le moment est encore à la mobilisation de ce qui peut l’être, au fantasme d’un troisième tour dans les rues de Bamako et au remake, deux ans après, de la pièce gabonaise jouée par Jean Ping au lendemain de la victoire d’Ali Bongo Ondimba. L’amertume, comme la déception, n’est jamais propice à l’autocritique.
Certes, de ce que l’on croit savoir du déroulement du scrutin présidentiel des 29 juillet et 12 août, les accusations de grivèlerie électorale localisée ne sont pas tout à fait sans fondement. De part et d’autre, d’ailleurs, la seule différence résidant dans l’inégalité d’accès à la fraude entre le candidat du pouvoir et celui de l’opposition. La dose d’artifice a-t-elle cependant été suffisante pour qu’il faille remettre en cause le résultat du second tour et estimer que, sans elle, l’alternance l’aurait emporté ? Vraisemblablement pas.
Érigées a priori en juges de paix par toutes les parties, les missions d’observation de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ainsi que la représentation de l’ONU et les chancelleries installées à Bamako ne doutent pas de la validité de la réélection d’IBK, même si certains pensent qu’un écart d’une vingtaine de points entre les deux concurrents aurait été plus conforme à la réalité que les trente-quatre reconnus par la Cour constitutionnelle.
Dans un pays en pleine crise sécuritaire, où la citoyenneté est encore balbutiante et où l’équivalence entre bulletin de vote et billet de banque est toujours largement établie, on nous permettra de ne pas exiger une transparence à la norvégienne et de nous contenter de l’essentiel : Ibrahim Boubacar Keïta est bien celui qui a récolté le plus de voix au soir du 12 août 2018.
« Fake »
Serai-je critiqué par la frange radicale de l’opposition malienne pour avoir écrit cela ? C’est probable, et c’est son droit. Mais cela ne devrait pas pour autant lui éviter, à terme, de faire le compte de ses propres erreurs.
Ne pas avoir su mobiliser en amont une frange significative de la jeunesse pour qu’elle s’inscrive sur les listes électorales a été la plus fondamentale. En zone urbaine, les suffrages de ces primo-votants, très présents lors des meetings de Soumaïla Cissé, lui étaient pourtant largement acquis.
C’était aller trop vite en besogne, sous-estimer le poids de l’électorat traditionnel du président candidat
Autre handicap pour « Soumi » : ne pas avoir réellement cherché à rallier entre les deux tours les candidats arrivés en troisième et quatrième positions, soit plus de 15 % des voix. Cissé, qui voulait garder les mains libres, n’entendait pas gager les postes gouvernementaux, encore moins promettre qu’il ne ferait qu’un seul mandat pour se mettre à égalité avec IBK – dont le départ est acté pour 2023. Posture louable sans doute, mais préjudiciable en termes de désistements.
Erreur d’appréciation également que celle d’avoir pensé que l’élection d’IBK en 2013 ne reposait que sur trois piliers : le soutien de la junte militaire sortante, celui des grands leaders religieux et celui des pays étrangers – en particulier la France de François Hollande. Les militaires étant hors jeu, les chefs religieux ayant tourné casaque et François Hollande désormais démissionnaire, un IBK affaibli et discrédité ne pouvait que tomber comme une mangue mûre.
C’était aller trop vite en besogne, sous-estimer le poids de l’électorat traditionnel du président candidat, tout comme l’indéniable apport du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, pour ce qui est de la crédibilité, et se laisser inutilement griser par le microcosme bamakois.
Quant à la France… Nous avions écrit ici même il y a quelques mois que, à la différence du Quai d’Orsay et du ministère de la Défense, où l’« IBK bashing » était monnaie courante, Emmanuel Macron se montrait compréhensif à l’égard d’un homme qui avait su trouver les mots pour le séduire.
Pourtant, la célérité avec laquelle l’Élysée a confirmé, dès le 16 août et via un communiqué, le coup de téléphone de félicitations de Macron à IBK, révélé par jeuneafrique.com, a totalement pris de court l’entourage de l’ancien ministre des Finances. Au point que ce dernier a, un moment, cru à un « fake ».
Une vague de mécontentement ne fait pas un tsunami capable de renverser un régime
Enfin, le côté clivant et parfois inutilement agressif de la campagne menée par Soumaïla Cissé, sous l’influence des membres les plus durs de sa garde rapprochée, l’a sans doute desservi aux yeux de ceux qui redoutaient qu’une crise politique ne vienne s’ajouter à la crise sécuritaire. Face à cette attitude, IBK a eu beau jeu d’adopter la posture du sage, enjoignant à celui qu’il appelle son « jeune frère » de « garder son sang-froid ».
Comète
« Il aurait fallu un raz-de-marée populaire pour que Cissé l’emporte », juge, sur place, un observateur attentif. Sans doute. Une vague de mécontentement ne fait pas un tsunami capable de renverser un régime, elle produit juste un taux d’abstention préoccupant, dont a pâti en premier lieu le challenger du président Keïta.
Dans le fond, pour nombre de Maliens et quelles que soient ses indéniables qualités, Soumaïla Cissé ne représentait pas, à 68 ans, une véritable alternance, mais la queue de comète d’une génération – à laquelle appartient également IBK – arrivée au pouvoir après la chute de Moussa Traoré, en 1991, et qui, après avoir incarné le renouveau démocratique, a globalement déçu. Dans cinq ans, elle passera la main à la suivante. Et Dieu sait si les volontaires prêts à escalader la colline de Koulouba ne manquent pas.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...