[Tribune] Fatwa sur la Tunisie

Face aux détracteurs du rapport de la Colibe, Fawzia Zouari expose les points qui, selon elle, montrent que ce texte sur les libertés et l’égalité ne fait qu’ancrer la Tunisie dans sa tradition des Lumières et ne s’oppose en rien à sa Constitution.

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Fawzia Zouria

Publié le 31 août 2018 Lecture : 3 minutes.

J’ai dénoncé dans une précédente chronique la « schizophrénie à la tunisienne », sans me rendre compte que je suis atteinte du même mal. Puisque, tout en pointant du doigt les travers et les ratages de mon pays, je m’empresse de le défendre. Surtout quand on critique ses orientations modernistes – et alors même que je connais les difficultés qu’il a à les suivre.

Cela pour dire que je me suis sentie pousser des griffes quand j’ai su que partout en terre d’islam des cheikhs nous insultent et nous crachent dessus, prétextant le caractère « hérétique » du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), dont les propositions révolutionnaires visent précisément à protéger lesdites libertés et à éliminer la discrimination à l’égard des femmes.

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Les partisans de la « nation arabe » sont en voie d’extinction

Selon la rumeur, des imams et des théologiens choqués par ce rapport veulent « sortir la Tunisie de la carte du monde arabe ». Comment donc ? Ils vont nous découper et nous jeter à la mer ? Nous empaqueter et nous pousser, plus au nord, en territoire « infidèle » ? J’ai regardé la carte et je me suis renseignée sur le passé. La menace des barbus ne rime à rien.

Le rapport de la Colibe réitère le refus de traiter les femmes comme des objets et les minorités comme des esclaves

Géographiquement, nous n’avons jamais fait partie des frontières arabes. Nous sommes un pays du continent africain et de la mer Méditerranée. Historiquement, nos racines sont multiples : berbères, romaines, carthaginoises avant la conquête islamique. Nous n’avons en partage ni Hannibal, ni Jugurtha, ni Didon. Et, chez nous, les derniers militants baasistes partisans de la fameuse « nation arabe » sont en voie d’extinction.

Dans le sens de l’Histoire

Alors que certaines régions arabes formaient encore des tribus, nous étions une nation. Celle qui s’est dotée d’une Constitution et a aboli l’esclavage dès le XIXe siècle. A édicté un pacte pour protéger les minorités. A enfanté Bourguiba, artisan du code du statut personnel, consacrant, avant nombre de pays d’Orient et d’Occident, l’égalité des sexes, l’abolition de la polygamie et le droit à l’avortement.

>>> A LIRE – Ce jour là : le 23 janvier 1846, Tunis abolit l’esclavage

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A permis aux femmes de conduire voitures et avions depuis des décennies, là où certains royaumes ont attendu 2018 pour enclencher la première vitesse d’une émancipation de façade. A tout misé sur l’éducation et non sur les armes et n’a jamais massacré ses opposants comme chez les despotes orientaux. A osé se révolter contre son raïs sans provoquer de guerre civile, quitte à se voir réduite à la misère, parce que son peuple comme ses élites ont toujours répugné à courber l’échine.

La Tunisie sortira de votre giron avec plaisir. Car elle entend faire partie des nations libres et justes

Alors, vous, obscurantistes de par le monde qui voulez exclure la Tunisie, sachez que le rapport de la Colibe ne fait que l’ancrer dans sa tradition des Lumières et ne s’oppose en rien à sa Constitution. Il réitère le refus de traiter les femmes comme des objets et les minorités comme des esclaves. Il répugne à considérer le Tunisien comme un croyant avant tout, car il est d’abord un citoyen libre de choisir sa religion, son identité et son partenaire sexuel.

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« Faire partie des nations libres et justes »

Si c’est pour cela que vous ne voulez plus de nous, nous ne voulons plus de vous non plus ! La Tunisie sortira de votre giron avec plaisir. Car elle entend faire partie des nations libres et justes, alors que vous avez fait de la soumission et du châtiment les bases de votre justice et de votre pouvoir.

En attendant, continuez à brimer vos peuples, à enfermer vos femmes, à décapiter vos militants de la liberté et à lapider vos homosexuels. Tout cela au nom d’une religion qui ne se reconnaît plus en vous. Et qui s’honorera d’accéder à l’universel grâce à un tout petit pays, lequel, si vous regardez bien, se fraie un chemin sur une autre carte et marche dans le sens de l’Histoire.

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