D’où vient le blues ?

Du Mali au Mississippi, de Martin Scorsese Sorti le 24 mars à Paris

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

« C’est en écoutant de la musique que j’ai compris que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient », confie le bluesman américain Corey Harris, linguiste de formation, longtemps installé au Cameroun et narrateur dans le documentaire Du Mali au Mississippi. « Quand on perd le passé, on se perd soi-même », insistera-t-il plus tard dans ce troisième volet des sept longs-métrages sur l’histoire du blues proposés par Martin Scorsese, par ailleurs « parrain » de l’ensemble du projet, pour fêter le centième
anniversaire de cette musique.
Voilà pourquoi il était logique d’attendre avec impatience ce film. Le seul, parmi les sept qui sortent tous les mois jusqu’à l’été prochain sur les écrans français, à s’intéresser aux racines africaines de « la » musique des Noirs américains. Une musique qui a essaimé partout pendant la seconde partie du XXe siècle, en particulier grâce au succès de sa « version blanche », le rock’n roll, dont la filiation directe avec le blues est d’ailleurs fort bien expliquée dans Sur la route de Memphis, le précédent (et excellent) volet de la série, réalisé par Richard Pearce.
À l’inverse de ce qu’indique son titre, toute la première partie du Mali au Mississippi
évoque la naissance et l’essor du blues dans le delta intérieur du Mississippi. Ici, outre des entretiens avec des musiciens connus John Lee Hooker, Muddy Waters ou l’extraordinaire Son House accompagnés d’images d’archives, nous découvrons les formes « primitives » du blues, notamment à travers l’étonnant orchestre familial d’Othar Turner, qui regroupe des joueurs de fifre accompagnés par des tambours.
Mais la suite, lorsque nous nous embarquons pour l’Afrique avec Corey Harris, ne tient malheureusement pas ses promesses. Les rencontres du musicien américain avec ses homologues maliens Salif Keita, Habib Koité ou Ali Farka Touré sont sympathiques, empreintes d’une véritable émotion quand ils évoquent leur commun amour du blues. Et chaque fois que le premier joue avec les seconds, ce qui ne peut que nous enchanter. Rien ne vient pour autant nous persuader que la musique du Mississippi « vient », comme les
ancêtres de ses interprètes, du continent africain. À écouter Ali Farka Touré et sa
guitare après avoir entendu John Lee Hooker, on aurait même plutôt l’impression que c’est la musique africaine qui a subi l’influence du blues et non pas l’inverse. Et il ne suffit pas que le même Ali Farka Touré évoque ses « frères » d’outre-Atlantique qui sont des « Africains d’Amérique » ou que Salif Keita nous dise qu’il chante comme les bluesmen « l’amour et la détresse » pour que ces déclarations de principe valent démonstration.
Les liens entre les deux musiques restent à explorer. Aussi bien du point de vue historique que de celui de la sensibilité. Même si le film se regarde avec plaisir, grâce aux personnages qu’il nous fait rencontrer et à leurs interprétations de superbes morceaux, il est difficile de ne pas être frustré par son incapacité à traiter, même en filigrane, le sujet qu’il annonçait. Faut-il incriminer Martin Scorsese ? Celui-ci, en réalité, s’est débrouillé avec les moyens du bord : il a utilisé des rushes tournés en Afrique par le producteur américain Samuel Pollard. Et, surtout, il n’a signé ce film que parce qu’un cinéaste qui avait donné son accord s’est désisté. Sachant que ce dernier se nommait Spike Lee, on ne peut s’empêcher de penser que la sensibilité afro-américaine exacerbée de l’auteur de Malcolm X aurait mieux convenu au thème que le regard talentueux,
mais moins subjectif du réalisateur de Taxi Driver et de Gangs of New York.

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