De l’assassinat considéré comme un argument politique

Plusieurs responsables de premier plan ont été, ces derniers mois, la cible de tueurs à gages. Comme au temps de la dictature.

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Tandis que la police continue de s’interroger sur l’identité des assassins de Philip Olorunnipa, le président de la Commission électorale de l’État de Kogi (centre du pays), abattu le 8 mars, George Akume, le gouverneur de l’État de Benue (centre), a essuyé des coups de feu sur la route d’Abuja, la capitale. Et son collègue de Lagos, Ahmed Tinubu, a été pris pour cible, à deux reprises, par des tireurs embusqués au cours d’une visite officielle dans les États de Delta et d’Anambra (Sud-Est). Les deux hommes n’ont dû la vie sauve qu’au courage de leurs gardes du corps. S’ils n’y prennent garde, leurs noms risquent de s’ajouter à une liste déjà longue sur laquelle figurent, entre autres, l’opposant Harry Marshall, vice-président du All Nigeria Peoples Party, (ANPP), assassiné chez lui le 23 mars 2003, et Aminosoari Kala Dikibo, le vice-président national du Peoples Democratic Party (PDP), la formation au pouvoir, éliminé deux mois plus tôt.
L’assassinat politique n’est pas vraiment une nouveauté au Nigeria, où, pendant les années de dictature, il était presque une pratique courante. En 2002, les arrestations opérées après le meurtre de Bola Ige, le ministre de la Justice (et ami personnel du président Olusegun Obasanjo), ont convaincu l’opinion que les « années de fer » étaient de retour. Parmi les accusés figurent Alani Omisore, le jeune frère du sénateur Iyiola Omisore, l’ancien gouverneur d’Osun, la région natale d’Ige, dans le Sud-Est, mais aussi un député de ce même État et plusieurs collaborateurs d’Ige.
En réponse à une lettre du gouverneur d’Abia, le président Obasanjo a promis de renforcer les services de sécurité. Le 11 mars, il a réuni à Abuja les trente-six gouverneurs provinciaux pour leur annoncer une augmentation du budget de la sécurité civile en 2005, sans toutefois en préciser le montant. Il est favorable à un partage des responsabilités entre l’État fédéral, les autorités locales et les communes, afin d’accroître l’efficacité des antennes de police et éviter la constitution de milices privées plus ou moins incontrôlables.
Mais la vraie question reste posée : pourquoi ces meurtres ? Les inculpés dans l’affaire Bola Ige, dont le procès traîne en longueur en raison de problèmes de procédure, n’ont encore rien révélé de leurs motivations, ni même de leur degré d’implication dans cet assassinat. Au point que l’écrivain Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature 1986 et grand ami d’Ige, est convaincu que les véritables meurtriers courent toujours. Dans une lettre ouverte à Obasanjo publiée par le Daily Times of Nigeria en août 2003, il dénonçait même l’existence d’un « nid de tueurs » au sein même du PDP et suggérait au chef de l’État de prendre garde à sa sécurité.
Cinq ans après l’arrivée au pouvoir, en 1999, d’un président civil régulièrement élu, les mauvaises habitudes ont décidément la vie dure. Ni le gouvernement ni l’opposition n’ont de solutions miracles aux problèmes économiques et sociaux auxquels le pays est confronté. Les analystes les plus cyniques vont jusqu’à parler d’un simple « partage du gâteau » : pour garantir la stabilité, il suffirait de garantir à chaque groupe politique sa part des richesses du pays et des postes à pourvoir. On reproche aussi beaucoup à Obasanjo d’avoir utilisé l’appareil d’État pour assurer sa réélection et obtenir une majorité au Parlement.
L’assassinat de plusieurs membres de l’ANPP ne serait-il qu’une diversion destinée à occulter une entreprise de déstabilisation du pouvoir ? Avant de réduire la politique nigériane à une simple guerre des gangs à tendance mafieuse, mieux vaut sans doute laisser à la justice le temps de faire son travail.

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