Communautarisation rampante
Dans le quartier de Yarmouk, à l’ouest de Bagdad, Saadoun Dulaimi, directeur du Centre irakien de recherche et d’études stratégiques, s’inquiète de l’aggravation des divisions sectaires. Pour lui, la composition du Conseil de gouvernement provisoire, mis sur pied par les Américains, n’y est pas étrangère.
Dulaimi, originaire d’une tribu arabe sunnite de la province d’Anbar, à l’ouest du pays, a séjourné à Washington en 2002. Avec d’autres Irakiens, il a suivi une formation qui devait lui permettre de prendre les rênes du pays une fois le régime de Saddam Hussein renversé. La réalité a été tout autre. « L’Irak a été morcelé », explique-t-il. Les ministères sont occupés par les représentants politiques des différents partis qui composent le Conseil de gouvernement provisoire. « Quand je vais au ministère des Télécommunications, c’est comme si je pénétrais dans un sanctuaire », renchérit Ahmed el-Mukhtar, un journaliste irakien. Et pour cause : ledit ministère est contrôlé par le parti religieux chiite el-Daawa d’Ibrahim Jaafari. « Quand je vais au ministère des Affaires étrangères, tous les vigiles sont kurdes », poursuit-il. Son locataire, Hoshyar Zebari, n’est autre qu’un membre imminent du Parti démocratique du Kurdistan (PDK).
Ce sont les velléités d’indépendance des Kurdes, que nombre d’Irakiens considèrent comme un obstacle à l’unité de leur pays, qui constituent aujourd’hui la source de conflit la plus vraisemblable, notamment aux yeux des chiites. Pendant douze ans, la minorité kurde a joui d’une relative autonomie dans le Nord. Hormis deux attentats suicide à Erbil, en février, l’atmosphère
dans les trois provinces du Nord est plus paisible que dans le reste du pays. Et les Kurdes n’ont pas la moindre envie de transiger sur leur souveraineté de facto. Ailleurs, la violence continue de faire rage.
Les Irakiens et les Américains ont aujourd’hui tendance à imputer les attentats aux étrangers, et notamment aux wahhabites, des islamistes intégristes originaires d’Arabie saoudite. Certains indices, comme le recours aux kamikazes ou encore la synchronisation des attentats de Kerbala et de Bagdad [le 2 mars], vont dans ce
sens. Pourtant, parmi les dix mille prisonniers de guerre constitués par les États-Unis, à peine cent cinquante ne sont pas des Arabes irakiens.
Une chose est certaine : la nature des attaques a changé. Les premiers jours de l’intervention militaire, les troupes américaines étaient la cible des tribus du fameux triangle sunnite, du nord à l’ouest de Bagdad. Puis la violence s’est étendue aux Irakiens qui travaillent au service de la Coalition, notamment au sein des nouvelles forces de police ou de l’armée. Quant aux attentats d’Erbil, puis de Kerbala et de Bagdad, ils rappellent plutôt les affres de la guerre civile.
Après les batailles nocturnes qui embrasaient la capitale lors des premières semaines de la guerre, les Bagdadis sont confrontés aux enlèvements et à la terreur semée par des gangs qui contrôlent des quartiers entiers. Le 30 juin, les États-Unis devront transmettre le pouvoir à un organe irakien. Ils laisseront derrière eux la plus grande ambassade du monde ainsi que cent mille soldats. Reste à définir et à aménager la structure irakienne qui reprendra les rênes du pays. La législation administrative temporaire prévoit des élections pour le 31 janvier prochain, à l’issue desquelles sera formée une Assemblée chargée à la fois d’élaborer une Constitution et de gouverner l’Irak.
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