Communication de l’extrême
Marena Diombokhou, un petit village dans la région de Kayes, au Mali. Ici, la population vit sans eau courante ni électricité. Mais la téléphonie satellitaire n’a plus aucun secret pour les villageois.
Dans cette zone frontalière du bassin du fleuve Sénégal, les hommes émigrent depuis toujours. « Ceux qui partaient en Europe avaient du mal à communiquer avec leur famille restée au village », raconte l’association Ader, qui a installé six cabines téléphoniques par satellite dans la région de Kayes. La zone, enclavée, est isolée du reste du territoire malien et ne dispose pas d’infrastructures permettant son raccordement au téléphone classique. D’où l’intérêt de la téléphonie satellitaire pour maintenir les liens familiaux.
Non seulement cette technologie est devenue plus abordable pour les populations rurales, mais elle est aussi très rentable pour la dizaine d’opérateurs prospérant sur ce marché.
Alimenté par des panneaux solaires, le système se passe d’électricité. Il est relié au réseau de satellites géostationnaires Inmarsat. Cette solution permet aux villageois, avec une simple télécarte, d’appeler comme depuis n’importe quelle cabine du monde. « Avec le GSM ou un réseau filaire, les coûts d’installation auraient été multipliés par dix », explique Arnaud Mahy, directeur marketing à France Télécom Mobile Satellite Communications (FTMSC). Son groupe vient d’équiper une réserve animalière au Kenya d’un système par satellite.
Cette technologie offre en effet un avantage décisif qui a conquis nombre de villages au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Togo et en Guinée. Elle permet d’installer par exemple un cybercafé en plein désert !
Pourtant, à ses débuts, la technologie satellitaire était loin de faire recette. En 1998, au lancement du réseau Iridium par exemple, la minute de communication était facturée 7 dollars, contre 1,5 dollar aujourd’hui. Les téléphones Iridium étaient vendus quelque 2 000 dollars. Des sommes astronomiques qu’aucun Africain ne pouvait se permettre de dépenser. Normal : « Pendant longtemps, les opérateurs satellite ont vendu leurs portables comme des gadgets high-tech pour agents secrets », ironise Bruno Maynard, analyste télécoms de la société française CDC Ixis. Depuis, le marché s’est considérablement restructuré. Les prix des téléphones démarrent désormais à 800 dollars. La minute de communication est tombée en dessous de 1 dollar, à 0,80 cents. Les terminaux en location sont proposés pour des besoins ponctuels. Comme avec le GSM, les cartes prépayées deviennent le modèle dominant.
Désormais, les opérateurs ne se contentent plus de leurs clients traditionnels comme les services de sécurité et de secours, les armateurs ou les navigateurs de plaisance. Ils veulent séduire les entreprises. En premier lieu, celles travaillant hors des zones GSM ou filaires. Ils souhaitent aussi toucher les nouveaux businessmen africains très nomades. Même le consortium Iridium, le plus important réseau satellitaire au monde, qui visait à l’origine une clientèle d’hommes d’affaires, s’est réorienté vers les ONG et les administrations.
Du coup le marché a explosé. À en croire FTMSC, il croît de 50 % tous les ans. Actuellement, on compte plus de 700 000 abonnés au téléphone satellitaire dans le monde. Certes, cela peut sembler faible, en comparaison des 45 millions d’abonnés au GSM sur le continent. « Mais derrière chaque puce satellitaire on compte de dix à vingt utilisateurs, car l’usage est mutualisé », analyse Arnaud Mahy.
Les opérateurs de satellite ont particulièrement adapté leurs offres au continent. Le mauvais état des réseaux fixes, la limitation de la couverture GSM aux portes des grandes villes, l’absence d’électricité et d’infrastructures de base favorisent le satellite, une des solutions pour désenclaver un village. Les grands opérateurs mondiaux ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Ils poussent fortement leurs investissements vers l’Afrique et le Moyen-Orient. C’est la zone où la demande est la plus forte et les besoins les plus divers. Les touristes occidentaux très fortunés et en quête d’itinéraires inexplorés participent à ce boom. « Autrefois, les Blancs partaient en Afrique avec un fusil à l’épaule ; maintenant c’est avec leur portable par satellite », plaisante Sabine Rouhier, responsable communication de TDCom, l’un des principaux distributeurs de terminaux satellitaires. En offrant la possibilité d’appeler à tout moment et de n’importe quel endroit du globe, le satellite s’est découvert une autre vocation : rassurer les voyageurs de l’extrême.
Iridium, construit par l’américain Motorola à partir d’une constellation de 66 satellites, dessert ainsi toute la planète, y compris les pôles. Seuls les appels à l’intérieur des immeubles sont impossibles. Mais, en Afrique, ce n’est véritablement pas un frein, surtout en zones rurales… Inmarsat, le pionnier, lui, est accessible depuis 98 % des régions terrestres et à partir de quelques zones maritimes. Enfin, Thuraya, l’entreprise née dans le golfe Arabo-Persique, en 1997, se concentre sur une stratégie régionale. Ses satellites desservent surtout les pays aux infrastructures de télécommunications peu développées. Cette approche lui permet de faire de la téléphonie mobile à partir d’un seul relais géostationnaire, tandis que ses concurrents sont obligés de déployer une flotte. Thuraya peut ainsi réduire ses coûts et proposer des tarifs très compétitifs. Son réseau, desservant déjà 2,5 milliards d’habitants, afficherait ainsi une « rentabilité exceptionnelle », indique sans plus de précision la société.
Les marchés émergents sont donc porteurs. À l’exception d’Iridium, tous (Inmarsat, Geolink et Thuraya) affirment gagner de l’argent, tout en restant assez discrets sur leurs résultats. Seul TDCom affiche 6 millions d’euros de bénéfices nets pour 120 millions en chiffre d’affaires (CA). Cinquante pour cent de ses ventes sont réalisées sur le continent.
Chez FTMSC, qui réalise 178,4 millions d’euros de chiffre d’affaires et qui achemine près de 20 % du trafic mondial, on indique avoir multiplié par cinq le CA en six ans sur le continent. Inmarsat réalise déjà 40 % de son trafic sur l’Afrique, Iridium 25 % et Thuraya 15 %.
Et nous n’en sommes qu’au début : « Il faudra au moins vingt ans pour que le continent se dote d’infrastructures de communication capables de remplacer nos satellites », pronostique Arnaud Mahy.
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