Bouteflika et les autres…

Un sondage réalisé au début de mars montre un regain d’intérêt pour la présidentielle, qui arrive à un moment charnière pour le pays. Le chef de l’État en titre arriverait largement en tête au premier tour, le 8 avril.

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Le 8 avril, les Algériens se rendront aux urnes pour élire leur président. Un scrutin décisif pour l’avenir d’un pays qui a besoin de profondes réformes et d’un nouvel élan. L’ « heureux élu », quel qu’il soit, aura la lourde tâche de répondre aux espérances d’une population meurtrie par la faillite d’un système, le terrorisme islamiste et des inégalités criantes. Pour la majorité des observateurs, nationaux ou étrangers, les cinq dernières années ont vu l’Algérie avancer : recul du terrorisme, nette amélioration de son image à l’extérieur, succès de certaines réformes (agriculture), etc. Mais tant reste à faire ! Une partie du pays est restée à l’écart du développement qu’a connu, par exemple, la capitale. La libéralisation de l’économie, si elle est une réalité, connaît de nombreux couacs – à commencer par la crise du secteur bancaire -, l’éducation et la santé sont restées les parents pauvres de la politique des différents gouvernements qui se sont succédé. Et le quotidien des Algériens n’a pas foncièrement changé : emploi, logement, pauvreté demeurent des problèmes non résolus dans leur ensemble. Deux événements tragiques – les inondations de 2001 et le terrible séisme de 2003 – les ont même aggravés.
Cette élection intervient en outre à un moment charnière de l’histoire du pays. Le système hérité des années Boumedienne semble en fin de course. Une nouvelle génération d’hommes et de femmes, nés après l’indépendance, monte en puissance et pousse la précédente vers la sortie. Ils ont d’autres références, une nouvelle approche de la gestion des affaires, des réflexes et des schémas de pensée différents. La période 2004-2009, celle du prochain mandat présidentiel, pourrait être une transition, progressive et en douceur, vers une nouvelle République. Pour certains, la véritable cassure avec le système actuel interviendrait à partir de 2009. D’où l’importance de l’élection d’avril : le futur chef de l’État sera l’élément catalyseur de ce(s) changement(s). La Constitution lui en donne les prérogatives, et la manne pétrolière les moyens.
L’exercice consistant à sonder les Algériens sur leurs intentions de vote et sur leurs attentes revêt donc une importance particulière. La société d’études et de conseil International Media & Market Research (Immar), basée à Paris, a réactualisé une enquête réalisée en septembre dernier et dont J.A.I. a rendu compte (voir J.A.I. n° 2237). Ce nouveau sondage a eu lieu début mars. D’Alger à Laghouat, en passant par Médéa, Tlemcen, Constantine ou Tizi-Ouzou, les enquêteurs ont recueilli l’avis de 1 392 personnes représentatives de la population algérienne en âge de voter (18 ans et plus). Un échantillon sélectionné selon la méthode des quotas. Critères retenus : sexe, âge, niveau d’instruction, catégorie socioprofessionnelle, habitat (rural ou urbain).
Premier enseignement : les Algériens montrent un regain d’intérêt pour l’élection. 64 % des personnes interrogées se déclarent très ou relativement intéressées par le scrutin présidentiel, contre 40 % en septembre 2003. Le passage d’une précampagne axée uniquement sur les querelles de personnes (guerre pour le contrôle du FLN, attaques « au ras des pâquerettes »…) à un début de réel débat, ainsi que la présence sur la ligne de départ de six candidats décidés à en découdre pourraient expliquer cet inversement de tendance. Tout comme la proximité du scrutin et la position de neutralité exprimée par l’armée. Du coup, ils sont 53 % à se déclarer certains de voter, contre 42 % en septembre. Les abstentionnistes impénitents représentent 22,5 % de l’échantillon. Ils se « recrutent » essentiellement chez les jeunes et les habitants du centre du pays. L’effet Kabylie…
Deuxième enseignement, les Algériens semblent confirmer que cette élection sera celle de la transition. Ils sont plus de 60 % à penser qu’elle constituera une nouvelle étape dans la consolidation de la démocratie et inaugurera une nouvelle ère pour l’Algérie. La fin du système monolithique tant décrié n’a jamais paru aussi proche. En outre, plus de 55 % des sondés estiment que le scrutin sera globalement libre et transparent. Une proportion qui explique également le regain d’intérêt pour la consultation du 8 avril.
Les résultats relatifs à la perception des candidats sont édifiants. Plus que l’appartenance politique ou régionale, ce sont l’image et la personnalité qui constituent des critères déterminants pour près de 40 % des sondés. Prime au sortant, prestige du zaïm (« chef », en arabe), charisme : pour plus de 82 % des Algériens, Bouteflika a une image positive (et même très positive pour 46 %). En deuxième position… Louisa Hanoune, candidate du Parti des travailleurs (PT, d’obédience trotskiste). Première femme candidate à une présidentielle en Algérie, elle est appréciée pour son franc-parler et son militantisme féministe. C’est donc tout naturellement auprès des femmes qu’elle recueille les meilleurs scores. Suivent Abdallah Djaballah (Mouvement de la réforme nationale, MRN-Islah) avec 32 %, Ali Benflis (Front de libération nationale, FLN) avec 26 % et Saïd Sadi (Rassemblement pour la culture et la démocratie, RCD), 20 %. Ali Faouzi Rebaïane, le candidat surprise quasi inconnu du monde politique, recueille 80 % de… sans opinion.
Image et perception ne signifient pas pour autant intention de vote. Au premier tour, Bouteflika l’emporterait haut la main. 55, 2 % des personnes interrogées lui confieraient les clés du pays. Un scénario qui exclurait donc un second tour. Ali Benflis, lui, recueillerait 17 % des voix et obtiendrait ainsi la deuxième position, loin devant Djaballah (un peu plus de 10 %). Puis Louisa Hanoune (8 %), Saïd Sadi (5 %) et Rebaïane (moins de 1 %). Au moment de l’enquête, le choix des électeurs semblait arrêté pour 88 % d’entre eux. Si l’on écarte l’hypothèse d’un tour unique, Bouteflika l’emporterait plus largement sur Djaballah (69,5 % des voix, contre 16 %) que sur Benflis (63,2 % des voix, contre 23 %).
Une fois le nouveau président élu, qu’attendraient de lui les Algériens ? Pour plus de 90 % des personnes interrogées, les priorités sont la réforme de l’administration et de l’État, la lutte contre la corruption et la simplification des démarches pour la création de petites et moyennes entreprises. Dans un deuxième temps, il faudra s’occuper du rajeunissement de la classe politique, de la réforme du système bancaire et… de la redéfinition du rôle de l’armée. En bref, il faudra changer de système. Le futur locataire d’El-Mouradia est prévenu…

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