Attention ! vous êtes fichés

Terrorisme ou immigration clandestine, le contrôle électronique de la circulation des personnes devient un marché lucratif.

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 6 minutes.

Depuis début janvier, dans le cadre du programme US-Visit, tous les étrangers entrant aux États-Unis avec un visa sont photographiés et donnent deux de leurs empreintes digitales. Les exemptés – les ressortissants de vingt-sept pays principalement européens -, devront être munis, à partir du 26 octobre 2004, de passeports à lecture optique comportant des données biométriques. En l’absence de ce nouveau sésame, il leur faudra demander un visa. Ces pays ont toutefois déclaré qu’ils ne pourraient pas tenir les délais. De nombreux problèmes subsistent : compatibilité des lecteurs optiques et des passeports, fiabilité et durée de vie des micropuces électroniques à intégrer dans les passeports, sans compter les lourds investissements nécessaires. Les passeports à lecture optique, à peine créés, sont la plupart du temps déjà obsolètes.
La sécurité des aéroports ou la restriction de l’accès à certaines zones protégées des entreprises reposent sur une vérification fiable et rapide de l’identité des personnes. Or les contrôles classiques par un douanier ou un vigile, même avec un badge ou un passeport infalsifiable, ont maintes fois montré leurs limites. En revanche, un ordinateur peut identifier chacun d’entre nous de manière certaine par le tracé des veines de son doigt ou la forme de son oreille. De nouveaux outils sont ainsi apparus : empreintes digitales, dessin de l’iris de l’oeil, forme de la main ou séquence ADN peuvent être analysés par une large gamme de capteurs et de lecteurs. Regroupées sous le nom de biométrie – la mesure du vivant -, ces techniques ont le vent en poupe.
Les États-Unis sont parmi les plus actifs dans ce domaine. Ainsi, le gouvernement de George W. Bush lancera dès cette année un nouveau passeport électronique intégrant une puce qui contiendra, outre la photo d’identité et des données personnelles, des informations biométriques sur le possesseur. Ce système sera mis progressivement en place, entre octobre 2004 et fin 2005. Le Canada a suivi le mouvement, tout comme le Royaume-Uni, lequel concocte un projet similaire de passeport, a priori opérationnel pour mi-2005. Quant à l’Union européenne, elle en a déjà accepté le principe. Les nouveaux passeports européens devront intégrer à terme une photographie numérique, lisible par machine. Seule l’image du visage de face a été retenue comme obligatoire, chaque État européen décidant de l’intégration ou non des empreintes digitales. L’identification par le dessin de l’iris a été abandonnée, car elle donne des indications sur la santé de son possesseur. Par ailleurs, un nouveau système de visa est prévu pour les pays de l’espace Schengen, qui comportera lui aussi des données biométriques. Plus de 1 million de personnes figurent déjà dans le fichier des personnes recherchées, dont 770 000 justifient d’un refus d’entrée sur le territoire, principalement pour avoir essayé de s’y introduire en fraude. La Grande-Bretagne a, de son côté, mis en place une expérience pilote dans son consulat du Sri Lanka, où les empreintes digitales des demandeurs de visa sont numérisées.
En attendant, les pays avancent en ordre dispersé. L’Italie effectue un relevé biométrique dans ses consulats depuis plus d’un an. La France est, elle aussi, en avance. Le Sénat a validé, en octobre dernier, un texte qui instaure la création d’un fichier d’empreintes digitales pour toute personne déposant une demande d’asile ou obtenant un visa pour la France. Par ailleurs, les expériences isolées se multiplient. Début janvier 2004, la société Aéroports de Paris (ADP) a installé un système biométrique avec empreintes digitales pour le personnel de Roissy en possession d’un badge, soit plus de 80 000 personnes. Pour les passagers pressés et habituels, un test de même nature sera effectué, et étendu à tous les passagers s’il donne satisfaction. Courant 2004, l’aéroport Arturo-Merino-Benítez de Santiago, au Chili, sera lui aussi équipé de technologies à base de biométrie faciale. La vidéo de la personne à identifier sera non seulement comparée à son passeport mais aussi à un fichier de 45 000 criminels recherchés par la justice chilienne et par Interpol (la police internationale). Le traitement est sophistiqué, le visage est reconstitué en volume pour s’affranchir des changements comme le port de lunettes ou de barbe, les effets de la chirurgie esthétique ou le vieillissement des traits.
Baisse des coûts, amélioration des performances, la biométrie s’invite sur de nouveaux marchés. Hitachi a annoncé la sortie avant la fin de l’année de guichets automatiques bancaires équipés de lecture infrarouge des veines du doigt. La Bank of Tokyo-Mitsubishi a déjà prévu d’ouvrir plusieurs guichets dotés de ce système. Le grand public voit aussi apparaître des systèmes bon marché pour sécuriser l’accès des ordinateurs personnels, des téléphones portables ou même des clés USB (outil permettant de garder en mémoire des données et de les transférer d’un ordinateur à un autre). Sony propose depuis peu une clé USB de 128 mégabits avec capteur d’empreintes digitales, la « Micro Vault Finger Print ». Vendue à 130 euros, elle peut enregistrer dix empreintes différentes.
Pourtant, les experts commencent à douter des prévisions optimistes de croissance du marché de la biométrie, qui devait doubler d’ici à 2005. Les techniques ne sont pas toujours aussi fiables qu’espéré. Les essais de reconnaissance faciale incluant la comparaison avec les fichiers de délinquants, par exemple à l’aéroport de Boston, n’ont pas donné les résultats escomptés. Il était facile de tromper la machine. Ces essais ont été abandonnés. Autre frein, le coût global de l’instauration d’un nouveau dispositif : l’efficacité a un prix. Le budget du nouveau système d’information sur les visas (VIS) des pays de l’espace Schengen est compris entre 130 millions et 200 millions d’euros. S’il peut permettre de refouler quelques milliers d’immigrants annuellement, il n’est pourtant pas certain qu’il soit efficace dans la lutte antiterroriste. Le coût est d’autant moins acceptable pour les Européens que le marché de la biométrie est dominé par les constructeurs nord-américains.
Autre souci majeur, l’absence de standards. Faut-il privilégier la reconnaissance de l’iris ou celle des empreintes digitales ? Faut-il saisir une empreinte à plat ou roulée ? Combien de points caractéristiques doivent-ils être retenus ? La reconnaissance du visage, par exemple, méthode la plus universelle, est aussi la moins fiable. Mais peu coûteuse et facile à mettre en oeuvre, elle a les faveurs de l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci). Chaque individu peut fournir sa photo, qui peut même être saisie à l’insu de l’intéressé, par caméra cachée notamment. La reconnaissance des empreintes digitales, très appréciée des services de police, est largement plus fiable. D’autant qu’en pratique l’ordinateur peut faire mieux et plus rapidement que l’oeil humain pour authentifier une empreinte, en s’appuyant sur certains points spécifiques, comme les bifurcations des lignes ou leurs extrémités. Sur la centaine de points décelables sur une empreinte, une dizaine ou une quinzaine suffisent à un ordinateur pour identifier un individu parmi des millions.
Encore plus fiable, mais plus coûteuse, la reconnaissance du dessin de l’iris de l’oeil, qui ne varie pas au cours de la vie d’une personne, contrairement aux empreintes digitales. Pour être identifié, il suffit de placer son oeil devant une caméra numérique. Unique pour chaque individu, l’iris compte presque autant de points caractéristiques que le code génétique. C’est une technique biométrique très appréciée dans les pays asiatiques et en Allemagne. Mais la donnée biométrique la plus sûre reste l’analyse du code génétique d’un individu, l’ADN. La Chine a adopté début 2003 le principe d’une telle carte d’identité, avec une empreinte génétique récoltée à partir d’une goutte de sang, d’un cheveu ou d’une cellule. Un numéro à dix-huit chiffres correspondant à un fragment de l’ADN est stocké sur une puce. Mais combien faudra-t-il de temps pour « ficher » 1,3 milliard de Chinois ?

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