A portée de voix
Du mobile au centre d’appels ambulant, le continent s’adapte à tous les besoins et surtout à toutes les bourses. Objectif : faciliter la communication de citoyens adeptes de l’oralité, et souvent coupés de leur lieu d’origine.
L’Afrique ne compte que 2 % des lignes téléphoniques mondiales, mais enregistre un taux de croissance annuel des mobiles supérieur à 40 %, soit l’un des plus élevés au monde. Dès 2001, le nombre d’abonnés au téléphone GSM (voir lexique) est devenu supérieur à celui de la téléphonie fixe, avec respectivement 22 millions et 20 millions. En 2005, il devrait passer à plus de 90 millions, contre à peine 25 millions pour le fixe, dont l’essor est freiné par de nombreux handicaps, dont le coût d’installation.
La diffusion de la téléphonie mobile dans l’ensemble des pays africains s’est accompagnée de la multiplication de nouveaux services. En témoigne l’utilisation des SMS, ces petits messages courts, qui servent aussi bien pour les rendez-vous amoureux que pour les paysans voulant s’informer des prix pratiqués en ville pour les produits agricoles. Autre exemple révélateur, celui des téléphones tricycles à Libreville. Ces engins sont conduits par des personnes handicapées (voir pp. 52-53), qui transportent un téléphone mobile, dont ils font payer l’usage. D’après une étude du cabinet Merrill Lynch, un « portable » est utilisé au Nigeria 200 minutes par semaine, contre 154 minutes en France et seulement 88 minutes en Allemagne. Achetés par les clients les plus aisés, ces derniers refacturent souvent son usage à ceux qui n’en sont pas équipés.
Les sociétés privées de télécoms, grâce à leurs capacités d’autofinancement, demeurent capables d’investissements importants. Ainsi Celtel (autrefois MSI), qui a réalisé 128 millions d’euros d’investissement en 2003, compte doubler ce chiffre en 2004. Des sociétés qui font le pari d’avoir 4,5 millions de clients en 2004, soit une hausse de 80 % par rapport aux 2,5 millions d’abonnés en 2003. Cette forte croissance s’effectuera en partie par l’achat de licences existantes, les zones les plus rentables à couvrir, comme les grandes métropoles, étant déjà largement couvertes. Pour l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate), le taux de pénétration du mobile devrait se stabiliser d’ici à trois ans aux alentours de 10 % à 15 % dans certaines régions, notamment en Afrique de l’Ouest.
Du côté de la téléphonie fixe, la situation est moins brillante. L’extension des réseaux est plus lente que pour le mobile, alors que le service est moins coûteux et offre un meilleur débit. De nombreux réseaux nationaux sont en mauvais état, atteignant des taux catastrophiques de perte de transmission, comme en Mauritanie, où il est estimé à 70 % voire 90 % dans certaines localités. C’est aussi le cas du réseau panafricain Panaftel, installé dans les années 1970, par faisceaux hertziens analogiques. De nombreuses infrastructures (câbles, émetteurs, relais) de ce réseau, qui concerne au total vingt-deux pays africains, sont devenues obsolètes.
La construction de nouveaux tronçons à base de fibre optique change peu à peu la donne. La mise en service en mai 2002 de SAT3, un câble sous-marin de 28 000 kilomètres, a permis de relier Lisbonne à l’Afrique du Sud en longeant une dizaine d’États ouest-africains. Les capitales de ces pays sont devenues à leur tour des noeuds d’interconnexion régionaux pour faire partir de nouvelles lignes vers les métropoles de l’intérieur. L’Afrique de l’Est n’est pas encore couverte par ce réseau, mais plusieurs projets sont en discussion. L’idée d’un nouveau réseau fixe panafricain fait des émules. Pour Jean-Louis Fullsack, expert auprès de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’objectif prioritaire est de déployer un réseau d’interconnexion africain (RIA) pour prendre le relais de celui de Panaftel. « Vingt milliards d’euros seront au minimum nécessaires pour réaliser ce projet qui s’appuie techniquement en grande partie sur la fibre optique et les liaisons satellites et hertziennes là où les câbles ne peuvent être installés dans le sol. Il serait judicieux de commencer par relier les capitales économiques et politiques de chaque pays, comme Brazzaville/Pointe-Noire ou Dakar/ Saint-Louis. En générant du trafic, la connexion des zones rurales pourra alors être financée. »
Hormis l’Afrique du Sud, plus de 85 % du trafic international sur le continent africain passe actuellement par le satellite, comparé à moins de 10 % pour l’Amérique du Nord et l’Europe, et 50 % pour l’Amérique latine. Ce mode de transmission demeurera encore de nombreuses années le moyen le plus rapide pour raccorder une région excentrée. D’ailleurs, le projet satellitaire Rascom(*), de l’Organisation régionale africaine de communications, est attendu avec impatience, car il permettra de favoriser la téléphonie à moindre coût en milieu rural. Le lancement du premier satellite est prévu pour 2005 grâce à un contrat passé avec Alcatel, pour un budget de 150 millions d’euros.
Malgré le succès actuel du mobile, le contexte de dérégulation des télécommunications au plan international n’a pas joué en faveur des pays pauvres. Jusqu’en 2002, les États se partageaient équitablement les revenus d’une communication téléphonique internationale. Recevoir des appels de l’étranger était ainsi pour certains pays africains une importante source de devises. Après la libéralisation du marché, devenue effective en 2002, la situation a complètement changé.
De nouveaux opérateurs privés ont pris position sur le marché. Ils négocient des droits de communication au meilleur tarif avec les opérateurs nationaux. Or les appels sont beaucoup plus importants dans le sens Occident-Afrique que l’inverse. Les revenus des communications vont donc davantage aux opérateurs des pays occidentaux. Comme le résumait Annie Chéneau Loquay dans Le Monde diplomatique de janvier 2002, les États-Unis ne paient plus au Sénégal que 23 centimes d’euros pour une minute de trafic, au lieu de 1,8 euro auparavant. Par ailleurs, les communications, Internet ou téléphoniques, entre pays africains transitent encore largement par l’Europe ou les États-Unis, ce qui se traduit par un manque à gagner pour les opérateurs du continent. D’où l’intérêt du Réseau d’interconnexion africain et du projet satellitaire Rascom. « Cela générerait entre 1 millard et 2 milliards d’euros de revenus supplémentaires par an pour l’Afrique et permettrait d’entretenir les infrastructures », s’exclame Jean-Louis Fullsack.
* Regional African System of Communication.
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