ADM : David Kay enfonce le clou

Publié le 29 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

David Kay a beau avoir travaillé pour l’administration Bush, c’est un honnête homme. Chef des mille quatre cents inspecteurs américains chargés de découvrir les armes de destruction massive (ADM) dont l’existence supposée a servi de prétexte au renversement de Saddam Hussein, il a démissionné à la fin du mois de janvier, en avouant publiquement : « Nous nous sommes tous trompés. » Autrement dit : les stocks d’agents chimiques et biologiques dont l’Irak disposait avant 1991 « ont été en grande partie détruits sous la supervision des Nations unies » et n’ont pas été reconstitués par la suite. Quant au programme nucléaire, il « n’était que l’ombre de lui-même et ne menaçait personne ». C’est ce qu’il explique dans un passionnant entretien avec notre confrère français Le Figaro publié le 19 mars.
Kay est un spécialiste de ces questions. Dans les années 1990, il avait déjà travaillé en Irak, pour le compte de l’ONU. À son retour à Bagdad, en juin 2003, il ne doutait donc pas une seconde de découvrir des ADM, même si, compte tenu des pillages qui ont suivi la chute du régime baasiste, il ne sous-estimait pas la difficulté de la tâche. Six mois après, il lui faut se rendre à l’évidence : ses hommes n’ont trouvé ni installations, ni personnels, ni documents attestant de la production de telles armes.
Bien sûr, l’attitude des dirigeants irakiens a contribué à entretenir la suspicion. Pourquoi se sont-ils comportés comme s’ils possédaient des ADM ? « La menace, explique Kay, était surtout à usage interne. Les armes biologiques et chimiques avaient été décisives contre les chiites et les Kurdes, en 1991. Saddam Hussein avait surtout peur d’un coup d’État ou d’une révolution. Il n’avait pas peur des États-Unis, alors qu’il aurait dû. » Quant aux scientifiques irakiens, ils « ne faisaient même pas de recherches » et se contentaient « de retourner voir Saddam pour lui demander de l’argent ».
Kay, qui est membre du Parti républicain, s’interdit d’envisager, fût-ce à titre d’hypothèse, une possible manipulation de l’administration Bush et se contente de regretter son incapacité à reconnaître ses erreurs. C’est la limite de son témoignage. En revanche, il tire à boulets rouges sur les services de renseignements américains, et singulièrement sur la CIA. « Je ne pense pas être invité chez George Tenet [le directeur de la centrale] pour Noël », estime-t-il. C’est en effet probable. Que lui reproche-t-il au juste ?
D’abord, de privilégier de manière outrancière le renseignement technologique au détriment du renseignement humain. « La plupart des secrets qui valent la peine d’être volés sont des secrets d’intention, qui échappent aux photos satellites : que pense un dirigeant, que prépare-t-il ? Ces choses-là exigent des espions, et nous sommes très médiocres à ce jeu. »
Ensuite, d’avoir fondé son analyse de la situation sur les témoignages des seuls « transfuges » irakiens. Il ne cite pas le Conseil national irakien d’Ahmed Chalabi – généreusement financé, douze ans durant, par la CIA -, mais tout le monde l’aura reconnu. Ces gens-là, commente-t-il, « avaient d’autres objectifs que les nôtres : ils voulaient se débarrasser de Saddam. La tragédie, c’est qu’ils se sont rendu compte que la seule chose qui nous intéressait, c’étaient les ADM. On se moquait des droits de l’homme ou du million d’Irakiens tués par Saddam. Alors ils sont venus à nous avec des histoires d’ADM. Et nous avons été incapables d’en faire une évaluation indépendante. »
« Des têtes vont-elles tomber à la CIA ? » interroge notre confrère. Non, estime Kay, « les sociétés secrètes sont très fortes pour s’autoperpétuer ». Sans doute, mais il n’est quand même pas acquis que Tenet soit reconduit dans ses fonctions en cas de réélection de Bush, en novembre.
Question : « Sachant ce que l’on sait aujourd’hui, les États-Unis avaient-ils des arguments pour faire la guerre ? » Réponse : « Elle eût été beaucoup plus difficile à justifier. » C’est le moins que l’on puisse dire.

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