Wade-Seck le grand retournement ?

Le chef de l’État a rencontré, pour la première fois depuis avril 2004, son ex-Premier ministre et « fils spirituel ». Une apparente réconciliation qui suscite bien des interrogations.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 7 minutes.

C’est fait, sans tambour ni trompette, un peu à la sauvette. Et à la surprise générale. Le président Abdoulaye Wade a rencontré le 22 janvier à Dakar – pour la première fois depuis avril 2004 – son ex-Premier ministre Idrissa Seck. Celui-ci est arrivé au palais peu après midi et en est sorti près de quatre heures plus tard par une porte dérobée. Seul le facilitateur, le marabout Abdoul Aziz Sy « Junior », porte-parole du khalife général de la confrérie des Tidianes, a assisté à l’entretien – pendant le premier quart d’heure seulement. Sur l’une des rares photos rendues publiques, on voit le vieil homme de 78 ans tout de blanc vêtu, presque en train de prier en son for intérieur pour que la poignée de main entre le père spirituel et le fils égaré, tous deux en costume strict, se prolonge et ne finisse jamais.
Mais que de faculté de persuasion, d’autorité morale, de petites attentions, d’amitiés et de relations entretenues, d’abnégation aussi de la part du médiateur pour réussir là où tant de bonnes volontés (le marabout Cheikh Béthio Thioune ou encore le bras droit de Seck, Awa Guèye Kébé) et d’intermédiaires plus ou moins intéressés ont échoué. Le marabout savoure le moment avant de laisser les deux hommes dans un tête-à-tête aux allures de grand oral. Dont le chef de l’État en personne donne le résultat : « Nous nous sommes expliqués sur les événements survenus qui m’ont amené à le sanctionner. J’ai expliqué que c’est sur la base d’informations que j’ai eues, pendant toute cette période, que j’ai pris cette décision. »
Et Wade lui-même de préciser ce que l’intéressé n’a cessé de crier urbi et orbi avec le bagout qu’on lui connaît : « Idrissa Seck conteste toutes ces affirmations et déclare qu’il ne demande pas mieux que de se confronter avec ses accusateurs qui sont incapables d’apporter la moindre preuve. Dès lors, je lui ai demandé de revenir à mes côtés. [] Il a accepté de revenir dans le parti. » Rideau. Le président semble soulagé et veut rassurer, surtout ses partisans qu’un tel retour inquiète : « Je précise, indique-t-il, qu’il n’y a pas de marchandages sur des postes ou quoi que ce soit. [] En ce qui me concerne, mon objectif est atteint. Car je considère que mon devoir, c’est de rassembler mes enfants, tous. En ce qui concerne Idrissa Seck, c’est fait aujourd’hui. Maintenant, vous le verrez cet après-midi pour des explications complémentaires. »
Il n’y en aura pas. Ni ce 22 janvier à 18 heures comme initialement annoncé, ni le lendemain à la même heure. Au grand dam de la présidence, agacée. Mais pas autant que Seck qui regrette que ses alliés et ses partisans soient mis devant le fait accompli. Un entretien de « clarification » devait d’ailleurs réunir à nouveau les deux hommes le 26 janvier. Un tête-à-tête qui pourrait réserver des surprises. Là se trouve peut-être l’explication du report sine die de la conférence de presse-explications attendue par les journalistes. De fait, Idrissa Seck – Idy, comme l’appellent la plupart de ses compatriotes -, d’ordinaire disert et bateleur en diable, est dans une tout autre logique. Il veut d’abord rendre compte aux rares personnes de son entourage à avoir été mises dans la confidence de sa rencontre avec le chef de l’État, celle à laquelle il s’est si longtemps préparé et qui semblait ne jamais devoir avoir lieu. Le 21 janvier, Idy s’était rendu auprès du khalife général des Mourides. « J’ai aussi pris le soin de consulter mes proches, mes camarades du parti [Rewmi – le pays, en wolof], mes alliés, explique au téléphone l’ancien homme de confiance du président Wade. J’étais prêt, mais, comme je l’ai toujours dit, à condition que ce soit ma bouche son oreille et sa bouche mon oreille. C’est ce qui s’est exactement passé, et je ne m’étendrai publiquement sur le contenu de l’entretien qu’après en avoir discuté avec ceux que j’avais consultés avant de me rendre au palais. »
Les nombreux partisans ou simples badauds, dont certains criaient « non à la réconciliation », qui battaient la semelle à l’entrée de son domicile au quartier du Point-E, à Dakar, ne sont guère mieux lotis que le reste des Sénégalais en quête d’explications. Pour leur champion, qui a fait déposer son dossier de candidature à la présidentielle le jour même de la rencontre avec le chef de l’État, le marathon des entretiens-comptes rendus a commencé. Avec ses lieutenants de Rewmi, bien sûr, qui l’ont accompagné dans sa disgrâce. Mais aussi avec ses alliés de la coalition Jamm-Ji (la paix, en wolof) : Ousmane Tanor Dieng, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) avec lequel il s’est par deux fois longuement entretenu ; Abdoulaye Bathily, chef de file de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) ; et Jean-Paul Dias, leader du Bloc des centristes gaïndé (BCG). Avec eux, il présente une liste commune aux législatives, chacun, en revanche, s’engageant à soutenir celui qui arriverait en tête à l’issue de la présidentielle du 25 février prochain. Idy, le Tidiane à la foi démonstrative et contagieuse, est également retourné voir les parrains moraux de ses retrouvailles avec Wade : le khalife général des Mourides et son homologue des Tidianes, qui ont été consultés par le chef de l’État.
Une démarche perçue par l’opinion à la fois comme la caution et la garantie de la paix entre les deux hommes. Ce luxe de précautions dont tient à s’entourer Idy est à la hauteur de l’enjeu. À en croire l’un de ses confidents, ce dernier se serait mis d’accord avec le chef de l’État sur un certain nombre de points : le retour dans les bonnes grâces présidentielles de quelques-uns de ses amis ou compagnons politiques, comme l’ancien ministre Modou Diagne Fada et Jean-Paul Dias, qui ont été d’ailleurs successivement reçus par le chef de l’État, le 23 janvier, quasiment dans la foulée de Seck ; son rôle dans la campagne législative du Parti démocratique sénégalais (PDS, la formation de Wade) ; sa place ainsi que celle de ses lieutenants dans la direction de celui-ci.
Objectif : une présence plus affirmée de lui-même et de ses affidés dans la prochaine Assemblée nationale et, à terme, un costume de dauphin. Idy ne confirme rien de ce qui ressemble à un deal. Le chef de l’État non plus, qui avait pris les devants en réfutant tout marchandage. N’empêche, dans les deux camps, les faucons sortent de l’ombre. Ceux du premier, persuadés que leur champion n’a pas besoin de se « rabibocher » avec le palais pour accéder au pouvoir. Ceux du second, convaincus que leur mentor ne doit pas faire appel au « traître » pour le conserver. Seule certitude : si les retrouvailles du 22 janvier devaient déboucher sur un mariage solide, les uns et les autres seraient privés de prétextes d’en découdre comme ils l’ont fait depuis le divorce Wade-Seck. Car, jusque-là, l’entourage des deux hommes, relayé par une presse gourmande de chicaneries politiques, n’a cessé de se tirer dessus à boulets rouges. Pour rien ou presque.
Le président, même fragilisé, est resté à la barre, et son « fils spirituel », quoique éprouvé par les épreuves, n’a renoncé à aucune ambition. Et a survécu à peu près à tout. À un limogeage sans préavis de la primature en avril 2004, du PDS en août 2005. À une arrestation suivie d’un embastillement de près de sept mois, de juillet 2005 à février 2006, pour malversations financières portant sur plusieurs milliards de francs CFA dans l’exécution des chantiers de la ville de Thiès, dont il est toujours le maire, corruption, faux et usage de faux, atteinte à la défense nationale et à la sûreté de l’État À la tentation (malgré quelques rodomontades) d’une vengeance précipitée, au lendemain de sa libération à la faveur d’un non-lieu partiel qui le plaçait encore sous la menace de la justice. Il n’est cependant pas sûr que tous ses camarades politiques sortent indemnes de la mise en place de l’attelage avec Wade, lequel n’est pas davantage certain de pouvoir tenir tout son monde.
« Wade lui-même, confie un de ses ministres conseillers, aura du mal à calmer le jeu dans le parti. Pour avoir en quelque sorte passé l’éponge sur les chantiers de Thiès et autres contentieux qui l’opposaient à son ancien Premier ministre, il risque aussi d’essuyer la colère de certains membres de l’Inspection générale d’État, dont les enquêtes, quel que soit leur sérieux, ont contribué à placer Idy en détention provisoire. De même, il devra probablement affronter la levée de boucliers des magistrats jaloux de leur indépendance. Il a réagi en sentimental et cherche à rassembler tous ceux qui le traînaient hier dans la boue, comme Ousmane Ngom, aujourd’hui ministre de l’Intérieur, ou encore Jean-Paul Dias. Avec Idy, qu’il a toujours aimé, il s’est comporté en père et non en politique. Cela peut se révéler être une erreur, un marché de dupes. Comme celui qui, en novembre dernier, l’avait amené à inviter l’opposition à rejoindre un gouvernement d’union nationale. Avec le résultat qu’on connaît, tous les ténors ayant décliné l’offre. »
C’est sans doute ce que la presse locale appelle déjà les « inéluctables dégâts collatéraux » de l’onde de choc provoquée par la rencontre du 22 janvier. En attendant d’en mesurer l’ampleur, journalistes et classe politique se perdent en conjectures et supputations de tous ordres. Et s’interrogent sur la crédibilité politique des dirigeants. Surtout en cette période de campagne électorale.

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