Une nouvelle catastrophe s’annonce

Nouvelle conséquence de l’urbanisation galopante : les décharges sauvages se multiplient en Afrique. Avec leur cortège de risques sanitaires.

Publié le 29 janvier 2007 Lecture : 8 minutes.

Début janvier, Londres. Depuis deux mois, les avocats du cabinet britannique Leigh Day & Co sont sur le pied de guerre. Dans leur ligne de mire, la société Trafigura, affréteur d’un cargo qui avait débarqué en août dernier des déchets toxiques à Abidjan, en Côte d’Ivoire, causant le décès d’une dizaine de personnes et provoquant de sérieuses maladies chez plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Leur objectif : finaliser une class action – ces actions de groupe en justice – contre Trafigura. Et obtenir auprès des tribunaux londoniens des dommages et intérêts records en faveur des victimes. Pour l’opinion internationale, c’est le côté le plus visible, le plus choquant et le plus dramatique du problème des déchets en Afrique. Pour les habitants du continent et ceux qui le fréquentent, c’est une nouvelle illustration des négligences et du désordre qui règnent autour de la gestion de l’ensemble des déchets, toxiques ou non. Car la réalité de cette filière est visible chaque jour : des monceaux d’ordures qui s’accumulent dans certains quartiers des grandes villes, des sacs plastique qui jonchent les champs et les plages, des décharges à ciel ouvert. Chaque jour, entre 2,5 et 4 milliards de tonnes de déchets, industriels et ménagers, seraient collectées à travers le monde, note le Panorama mondial des déchets 2006, publié par Cyclope et Veolia Propreté.
Une simple estimation pour une certitude : l’Afrique collecte tant bien que mal ses déchets, mais ils finissent souvent dans des décharges sauvages ou mal contrôlées. Dans les pays peu développés du continent, les quantités s’élèveraient à 0,8 kg par personne et par jour, soit 800 tonnes chaque jour pour une ville de 1 million d’habitants. Le risque sanitaire, du coup, est croissant. Il est dû, principalement, à deux phénomènes : l’urbanisation galopante, avec son cortège de bidonvilles (selon les statistiques de l’ONU, plus de 60 % de la population urbaine africaine vit dans des habitations extrêmement précaires), et l’utilisation accrue d’objets chimiques (engrais, bouteilles et sacs plastique, pneus, etc.). Le phénomène ne semble pas prêt de s’arrêter : Lagos, par exemple, voit sa population augmenter chaque année de 5 %. Qu’en sera-t-il dans quinze ans, quand l’Afrique subsaharienne comptera 750 millions de citadins ? Face à cette situation nouvelle, cette pression extrême, tous les discours politiques vont dans le même sens : faire de la gestion des déchets un enjeu de premier plan. Sur le terrain, la réalité est différente. Avec, à une extrémité, le pire : l’indifférence et la mauvaise gestion. Et à l’autre extrémité, des pays, le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud, des villes, des ONG qui prennent le problème à bras-le-corps. Au milieu, un manque de moyens et de nombreuses microentreprises ou associations qui agissent là où rien n’est fait.
« Toutes les villes africaines ont un problème en matière de gestion et de ramassage des ordures, constate Malick Gaye, responsable de relais pour le développement urbain à l’ONG Enda Tiers-Monde. Il n’y a presque jamais de système de ramassage en régie. En général, l’opération est déléguée à de petites entreprises. Ainsi, à Bamako, ce sont des micro-entreprises qui collectent les déchets avec des charrettes. Elles sont payées directement par les usagers. » Au Caire, les zabalin sont partie intégrante du dispositif de nettoiement : ces hommes collectent les déchets auprès des ménages, voire des entreprises, moyennant une redevance, les trient et les livrent ensuite soit aux entreprises de recyclage soit dans les sites d’élimination. Le phénomène est à peu près le même dans de nombreuses villes africaines, sans que l’on sache réellement où finissent ensuite les déchets, notamment les plus toxiques. « On peut classer les villes africaines en trois catégories, synthétise Félix Adégnika, chargé de programmes au Partenariat pour le développement municipal, une institution panafricaine qui se consacre aux services de base. D’abord, il y a les villes qui ont de grands moyens et un système de gestion à l’occidentale. Entrent dans cette catégorie Rabat ou Johannesbourg. Viennent ensuite les villes qui veulent faire « comme les grandes » mais qui n’en ont pas les moyens, par exemple Dakar, Yaoundé, Abidjan. La troisième catégorie de villes s’appuie sur des associations ou des microentreprises pour la collecte et le traitement. C’est notamment le cas à Cotonou, Ouaga, Niamey ou Bamako. » Dakar a tenté l’expérience de déléguer à une société internationale la collecte et le traitement de ses déchets. Mais l’affaire a tourné court : Ama, la société retenue – une entreprise italienne inconnue créée par un Italien sans expérience des questions environnementales – n’a pas su assumer les tâches attribuées dans un contrat passé pour vingt-cinq ans. Elle s’est donc vu ôter ses attributions. Dans le centre de Dakar, Veolia a pris sa place. Le groupe français a parallèlement annoncé un accord de coopération technique de quatre ans et quatre mois avec Hygiène et Salubrité du Cameroun (Hysacam). Une entreprise en première ligne dans la collecte et le traitement des déchets. Cette société, privée, qui agit sous délégation de service public, s’occupe en effet de la propreté de Douala, de Yaoundé et de trois autres villes camerounaises, où elle collecte chaque jour plus de 2 000 tonnes de déchets. « Nous avons passé avec Veolia un contrat d’assistance technique, explique Michel Ngatanoun, directeur général d’Hysacam. L’objectif est d’améliorer nos prestations, en s’appuyant notamment sur les bureaux d’études de Veolia, et de travailler beaucoup sur l’aspect traitement des déchets. »
À travers le continent, Veolia est déjà actif au Maroc, en Égypte, en Tunisie, au Sénégal depuis peu et, plus marginalement, en Afrique du Sud. Au Maroc, l’entreprise dispose de contrats de propreté urbaine, collecte et nettoiement, pour les villes d’Oujda, Rabat et Safi. En Tunisie, elle collecte des déchets industriels auprès des clients privés et gère la collecte de la ville de La Soukra. En Égypte, elle a son plus gros contrat : 5 000 employés travaillent sur l’ensemble du gouvernorat d’Alexandrie pour la collecte des déchets ménagers et industriels, la gestion de deux centres d’enfouissement, la production de compost, la réhabilitation de deux décharges. Le contrat a été signé en 2000 pour quinze ans. Une broutille à l’échelle d’un groupe qui réalise 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires à travers le monde, mais un travail fondamental pour les villes africaines qui en bénéficient. « Après un fort développement de Veolia Propreté en Europe et en Amérique du Nord, le groupe intensifie sa présence aujourd’hui dans les autres zones du monde, dont l’Afrique et le Moyen-Orient, explique Yannick Morillon, en charge de la zone Afrique et Moyen-Orient pour Veolia Propreté. Dans ces pays, nous adaptons les structures de prix et d’investissements sur le long terme aux critères locaux, avec une approche de développement durable. » Un effort qui ne remporte pas l’adhésion de tous. « La solution adoptée par Dakar, ou toute solution qui consiste à faire appel à une multinationale, coûte cher, explique Félix Adégnika. Or, il existe d’autres solutions, notamment en séquençant la filière et en laissant la précollecte aux micro-entreprises. »
Au bout de la chaîne, le recyclage est quasiment absent du paysage africain. « Il y a très peu d’industries impliquées, souligne Félix Adégnika. Nous n’avons pas pris l’habitude de faire un tri, qui coûte beaucoup plus cher s’il est fait à la décharge. Ensuite, nous n’avons pas d’industrie de recyclage du papier. Seul commence le recyclage du plastique. » En Afrique, la prolifération des sacs plastique est l’une des conséquences les plus visibles du non-traitement des déchets. Notamment parce qu’un sac plastique mettrait entre un et quatre siècles à disparaître du paysage. Confrontés à ce ravage, plusieurs pays ont opté pour l’interdiction. Depuis plusieurs années, l’Afrique du Sud s’attaque aux sachets en plastique d’une épaisseur trop faible, plus difficile à recycler. Le Rwanda a ainsi interdit les plastiques d’une épaisseur inférieure à 100 microns, à coup de campagnes de sensibilisation à travers le pays. Les sachets noirs en plastique ont disparu de Kigali. En Érythrée, l’importation, la production et la distribution de sacs plastique sont passibles d’amendes. Récemment, l’île de Zanzibar, en Tanzanie, a également interdit l’utilisation de sacs plastique, dont l’arrivée présente un risque économique évident pour une île qui vit en partie du tourisme. Dans de nombreux pays, des associations ou ONG se mobilisent pour collecter les sacs. Elles sont même devenues en quelques années la principale source d’imagination en matière de recyclage. Deux cents ONG africaines ont participé en 2006 à l’initiative menée par l’association Clean The World et visant à collecter des déchets dans des lieux symboliques. Partout sur le continent, elles multiplient les initiatives en vue de recycler métaux ferreux, plastiques et autres déchets non toxiques.
Les conséquences du non-ramassage des déchets, de leur déversement dans des décharges sauvages, sont graves. En termes de santé, tout d’abord, puisque la stagnation des déchets favorise des maladies comme le choléra et la malaria. « Il faudrait sensibiliser les politiques sur le fait que la propreté est une nécessité, mais aujourd’hui, les difficultés économiques font que ce n’est pas une priorité, explique Michel Ngatanoun. Pourtant, la propreté, c’est la santé primaire, et si la ville est propre, il y aura davantage de touristes. » Les déversements sauvages dans des zones non contrôlées peuvent avoir un effet environnemental indirect en contaminant les sols et les eaux souterraines. Même l’incinération, si elle n’implique pas un filtrage, a des conséquences dommageables sur la santé des populations environnantes. Or, explique Malick Gaye, « les centres d’enfouissement des déchets sont très rares en Afrique et seuls quelques-uns parmi eux respectent des normes environnementales. Du coup, les eaux peuvent être polluées par les déchets d’origine industrielle. » Plus largement, les dangers sont innombrables. Selon des estimations reprises par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), l’Afrique compterait environ 50 000 tonnes de pesticides obsolètes. Selon des chiffres du PNUE cités par la BBC, la Méditerranée, qui borde des pays africains aussi touristiques que la Tunisie et l’Égypte, serait souillée par 60 000 tonnes de mercure et 36 000 tonnes de phosphates. 80 % des eaux usées provenant des villes côtières y sont rejetées sans traitement. Les mers et les océans de manière générale quotidiennement sur les côtes des tonnes de déchets, notamment plastique. À tout cela s’ajoutent les décharges sauvages de déchets industriels plus ou moins toxiques. Un ensemble de défis qui demande une réponse de taille pour ne pas faire de l’Afrique, que le sous-développement a encore préservée des catastrophes écologiques visibles aujourd’hui dans de nombreux pays asiatiques, une poubelle à ciel ouvert.

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